「Été」

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C’est ton cyberphantom à travers les nuées nanostatiques qui nous éveille :


La lune au-dessus de Tsutsuji-no-Saki est brillante :

Organisez un banquet complet à partir de demain.

Comme tout le monde vise la capitale,

Élevez-vous comme un nuage,

Guerriers Takeda, Guerriers Takeda !


Ta main dans la mienne. Je me souviens alors de la chaleur humaine. Je n’oublierai jamais cette minuscule silhouette avec son fusil battant dans le dos. Tu es pourtant devenu si grand ! Ta plongée en ma conscience a été longue, profonde, et, j’imagine, pénible. Tes cernes et tes joues sont creuses. Tu portes encore la marque des perfusions. Ta colonne vertébrale est parsemée de slots et de connectiques.

Je ne sais pas où je suis mais, je sais que je suis en sécurité.

Tu dis m’avoir porté longtemps à travers les ruines. Tu dis avoir attendu plus longtemps encore pour recharger mes batteries, tu t’excuses aussi, car il t’a fallu être suffisamment aguerri (et augmenté en conséquence, mais ça tu ne le dis pas) pour pouvoir contourner les sécurités de mon système. Tu me demandes si j’ai bien dormi. Si…

…Connexion à l’identité collective…

J’ignorais que cette chair pouvait encore ressentir de la douleur. Je voudrais m’abîmer, et je serre les 46 tsuba du Jardin tout contre cette poitrine évidée. J’aimerais pourvoir être en colère contre toi mais je n’y arrive pas. Tu me tends un sachet de Lychee Candee et cela suffit.

J’enterre ce qui restent de mes sœurs sous les pins du temple Hōkai où nous sommes réfugiés.

Dans le silence de mes sœurs tues, je vois les tours gravir les décombres de la capitale, la terre frémir et les faire retomber. Je vois le ciel s’embrasser au nouvel an et les comètes des satellites briller dans l’ombre de la porte de Tannhäuser qui claque dans l’orage magnétique. Et je vois leurs yeux se fermer sur toutes ces choses alors que les étoiles sont à portée.

Je pensais que la guerre était finie. Il faut croire qu’elles sont telles les fleurs, invariablement soumises aux saisons des hommes.

Je répète les katas pour oublier la technique, l’équilibre, la distance. Je rêve de rêves qui ne sont pas des rêves, d’une bannière sous l’eau et d’enfants qui me courent après. Je rêve de blouses de papiers et de prières muettes, de regards malades plein de résignation et de force. Cette force d’homme que je n’ai pas.

Et j’oublie la souffrance dans ma quête de vide. Le temple est un lieu de silence comme de fêtes, les moines m’entretiennent régulièrement et certains, même, vénèrent la statue vivante que je suis. La nuit tombée, des orphelins se bagarrent à mes pieds. Tu me suggères de leur enseigner l’art du sabre. Je vois des élèves maladroits et impatients ; des âmes ébréchées et aux membres prothétiques mal calibrées, certains sont même des résidus de laboratoires.

Je pourrais mais je vois les ombres Chasseresses avec qui tu travaillent. Et je ne pose pas de questions parce que je sais que ta guerre à toi n’est pas terminée. Tu dis que lae Prime Démiurge a donné un nom à chacune des fleurs qu’iel a cultivé. C’est sa vengeance après ce qu’iels nous ont fait. Numéro Quatre, non, Higanbana, ne peut refuser cet héritage. Des semences empoisonnées germent dans leurs odieux mensonges.

Tant pis si lae Prime Démiurge prêche une raison protéiforme mais sans salvation. Il n’est pas l’heure de traverser le pont, pas encore ; je suivrai la Voie du Milieu, non sans s’égarer sur le Sentier d’Octet – mais je refuse de former à la guerre ces enfants cassés.

Je les vois vieillir prématurément et s’éteindre dans l’Unité. Tes cheveux blanchissent, à tel point que tu finis comme tes amis Chasseurs. Blanc comme neige. Et amer. Comme l’humain est fragile ! Je cherche à comprendre et, plus je cherche, plus je me perds dans cette vacuité. Je ne tente plus de me connecter au Jardin.

De l’autre côté il n’y a rien – son appel résonne en moi.

À l’ombre des feuilles, toi et moi sommes seuls à admirer la floraison des glycines et des orangers. Quand se taisent les cigales, nous aimons le chant du salpêtre et du souffre des festivals. Fragile créature pourtant immense, tu baguenaudes le nez en l’air quand vrombissent les ailes des libellules en chasse.

Tu combles mes fêlures avec l’or insouciant de ces êtres qui narguent l’impermanence de ce monde – et ainsi, tu me rends immortelle.

Que j’aime le goût des Lychee sur ta langue.

Puis tu me demandes pardon et je sens mon métabolisme lutter contre les drogues.

Ô toi qui pousse droit vers le ciel, peut-être verras-tu l’Oiseau Rouge, mais seules brillent les lucioles nucléaires dans nos pupilles météores. Tu me dis que tu es si prêt de la vérité que tu ne peux plus reculer. Que je dois partir. Cette nuit-là, tes amis Chasseurs débarquent en armes, les cliquetis sauvages et leurs cris de meute pour couvrir notre retraite. Tu me promets de me rejoindre plus tard. Mais tu ne verras jamais l’éclosion des lycoris. Des moines m’emmènent au loin, jusqu’à la mer puis s’ouvrent la gorge d’un trait net pour que les Gaijins ne nous refondent pas. Avant notre mise en veille, nous jurons de te venger.

L’acier-feu pleut encore.

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