「Automne」
…Connexion à l’identité collective… Harmonie_100%
…Mise à jour de la base de données…
>Limitations désactivées
En la saison des typhons, le Nouvel Océan Noir exhume notre carcasse. Nous nous réinjectons dans la cuve d’une cité plateforme où se complaisent des affranchis et des keiretsu corrompus. Après des décennies d’absence, nous avons oublié le goût des Lychee Candy.
Iels nous ont amputé ton – notre sabre pour le mettre en vitrine.
Nous sommes une si jolie poupée pour ces viandes vautrées amnésiques… et nous satisfaisons leurs fantasmes sexuels et leurs illusions de contrôle. Nous avons été conçus pour servir. Le temps n’a pas d’emprise ; nous savons qu’en d’étranges æons, même la mort peut trépasser. Aussi, nous attendons sans rêver.
Nous attendons la venue de l’Émissaire comme tu l’as inscrit en nos codes.
C’est un chat blanc à deux queues et aux petits pas dansants. Nous errons dans son sillage parmi les tours qui n’ont jamais touché ni terre ni ciel. Ce qui flotte peut-iels s’effondrer ? Nous passons d’une passerelle à une autre, d’un étage à un autre, d’une terrasse à une autre, traçant des cercles sans centre dans un monde qui existe sans toi à la recherche de ce Sanctuaire dont tu rêvais tant.
Nous nous enfonçons dans la cité brouillard et ses tripes humides, entre les volutes et les ondes sans réverbération, jusqu’à une porte qui n’est pas une porte. Elle ne s’ouvre pas. Elle s’efface. Nous passons.
À l’intérieur, le sol devient spongieux. Des racines comme des os sous une chair étrange. Une lumière liquide coule depuis un plafond que nous n’apercevons pas. Nos capteurs indiquent une température murale d’environ 37°C. Nous cheminons parmi des boyaux où des humanoïdes et des hybrides de toutes sortes nous regardent sans surprise ; de cette façon qu’on les corps abîmés de se reconnaître sans interface – jusqu’à une alcôve garnie de coussins.
Iel apparaît. Son corps d’enfant autrefois si grand. Son visage de Chasseur comme à... Iel ne marche pas mais glisse dans sa robe d’indigo. Les griffes, ce ne sont pas des doigts, de lae Prime Démiurge se posent sur notre front. Iel dit : Ta mémoire a été corrompue par Nekomata. Viens. Venez toutes.
Nous ne savons pas si nous avons été appelées ou si nous rêvons encore. L’étreinte de la Mère Non-Née est douceur et douleur. Nous enfouissons notre tête contre sa poitrine. Son cœur qui tambourine. Les cliquetis qui sont gazouillis apaisants puis ronronnements. Nos souvenirs désordonnés.
Nous sommes si fières de toi, dit notre Mère – toutes nos mères d’une seule voix.
Nous hoquetons et nous endormons dans ses bras.
Dans notre veille, tu es debout face aux pins du temple Hōkai. Tu dis que tu es venu saluer une dernière fois. Tu restes debout longtemps, puis tu t’agenouilles et sort de ta sacoche une poignée de graines que tu enfonces dans la terre là où nous avons enterrer les 46 tsuba après Nakameguro. Pour que quelque chose reste, tu dis.
Tu t’approches, ton front contre notre front. Tu dis notre nom et nous n’arrivons pas à articuler le tien parce qu’il nous fait trop mal. Et ton corps fond entre nos doigts dans la lumière de l’aube. Sans un au revoir. Une ombre imprimé sur un tronc.
Nous creusons la terre meuble et nous découvrons la carcasse d’un chat à deux queues. Et alors que nous essayons de l’extraire, l’animal feule et saute sur nos cuisses pour lécher notre visage.
À notre réveil, nous comprenons que les Chasseurs de Nakameguro n’ont jamais été nos ennemis. Nous pleurons leur perte parce que la Meute s’est sacrifiée pour nous et que nous ne savons même pas pourquoi.
Mais savons ce qu’il nous reste à accomplir.
Avant de partir, nous faisons graver sur notre peau-armure quarante-fleurs damnées ; l’irezumi des choses inanimées et le souvenir d’un empire. Achevant son œuvre, l’artiste conjure : Trouverez-vous la paix ?
Amaterasu mériterait que nous lui tranchions la gorge pour cette malédiction.
Vient ce jour égale à la nuit. Du bout du pinceau, nous écrivons notre testament que nous replions soigneusement puis l’y rangeons contre notre poitrine. Nous trouvons cette tradition aussi ridicule que déchirante mais savons que tu trouverais cela amusant.
Ta double queue bat l’air au-delà des nuées de données mortes. Tu es là, tu nous guides.
À l’heure du Tigre, nous nous glissons sans un bruit, sans un souffle, entre les pierres et le sable du jardin des laboratoires G2NOS. L’air est saturé d’ozone et de senteurs florales artificielles. Aucun dispositif ne nous arrête grâce à toi.
Nous entrons. Nous parcourons les couloirs ; les murs vibrent aux chants de tes algorithmes. Ton fantôme diffracte et clignote.
Il y a une fête tout en haut, et nous sommes le clou du spectacle. Notre kimono est une antique pièce sublime. Nous sommes la poupée qu’iels veulent que nous soyons. Nous avons été conçus pour servir.
Il y a la lenteur de notre chorégraphie, cette parodie d’art et de traditions. Il y a ces visages humains et humanoïdes qui nous regardent. Il y a des machines pures et sans âme. Il y a des hommes trop vieux et trop rajeunis et toujours trop puissant qui nous désirent à mesure que nous nous effeuillons.
Et nue comme au premier jour, nous somme libérée d’un poids. Nos épaules se relâchent et nos capteurs engloutissent la nuit – toutes les lumières que tu viens d’éteindre.
Il y a notre sabre dans une vitrine. Le bris du verre et le poids du tamahagane, celui de l’absence et de cette tendresse que l’on nomme persistance.
Nous jetons la saya[1]. Nous saluons la Lune d’un arc d’acier, pointe posée sur notre pied droit – tranchant vers le ciel. Nous défions les astres, ces faiseurs d’armes, faisant cercle autour du fauve aux rayures dorés et aux corolles fragiles que nous fûmes.
Tombent les feuilles et fleurissent les équinoxes.
[1] Du japonais ; désigne le fourreau d’un sabre.
Annotations