Chapitre 8 – Tirta Empul, L’eau sacrée
Le ciel était encore laiteux quand le chauffeur est arrivé.
Il avait les traits calmes de ceux qui savent attendre les silences des autres. Il m’a saluée d’un sourire léger, sans chercher à meubler. Juste un regard, et ces mots posés doucement :
— Tirta Empul, Madame ?
J’ai acquiescé.
La voiture s’est engagée sur la route sinueuse, bordée de cocotiers tordus et de rizières encore engourdies. Des femmes marchaient en équilibre, leurs plateaux d’offrandes posés sur la tête. Je n’ai rien dit. J’ai sorti mon carnet. Pas pour écrire. Juste pour le tenir. Comme une ancre.
Dans l’air déjà chaud, l’odeur d’encens se mêlait à celle, plus discrète, d’une pluie nocturne encore présente sur les feuillages. Chaque respiration me faisait descendre un peu plus profondément en moi-même. Je sentais mon ventre lourd, pas douloureux, mais chargé. Mes seins aussi, sensibles, comme s’ils réagissaient à quelque chose d’invisible.
Je portais un simple sarong noué bas sur mes hanches, et un haut court en coton blanc. Pas de soutien-gorge. Pas de sous-vêtements non plus. Mon sexe respirait à travers le tissu. Et je voulais qu’il respire.
Le temple apparut au bout d’un sentier pavé de pierres noires. Tirta Empul. Le nom lui-même me paraissait trembler, comme une source. "Eau sacrée". Un lieu où les corps se purifient et se laissent traverser.
À l’entrée, une prêtresse m’attendait.
Elle avait les cheveux noués très haut, un sarong blanc et or parfaitement ajusté, et des yeux d’un calme déroutant. Elle n’a pas souri, mais a posé une main légère sur mon épaule. Pas pour me guider. Pour me reconnaître.
Elle parlait peu. Un anglais simple, presque chanté. Elle m’a indiqué un vestiaire, m’a tendu un sarong plus long, bleu profond. Je l’ai noué comme elle me le montrait. Elle a ajouté un fichu léger sur ma tête, comme un voile. Puis elle a murmuré :
— No words, now. Just feeling.
J’ai suivi ses pas sur la pierre tiède. Pieds nus. L’eau courait déjà au loin. Une vibration, un chuchotement. Des filets continus s’échappaient des bouches de pierre, tombant dans le bassin rituel avec une régularité ancienne.
Autour de moi, quelques femmes priaient. Certaines fermaient les yeux, les mains jointes, le front baissé sous les jets. Un homme pleurait doucement, accroupi dans l’eau jusqu’à la poitrine. Des corps de toutes formes. Des silences de toutes origines.
Je suis entrée dans l’eau à mon tour.
Elle était fraîche. Un froid presque cruel au début. Mais après deux pas, elle devint une caresse. Mes pieds glissèrent légèrement sur les pierres moussues. Mon sarong gonflait autour de mes jambes, comme une fleur lente.
Je m’approchai de la première fontaine.
La prêtresse m’observait de loin. Elle hochait la tête. Lentement. Comme si tout était juste.
Je m’agenouillai, pris l’eau dans mes mains. La portai à mon front. À mes lèvres. À mon cœur. Puis je plongeai la tête entière sous le jet.
Et tout s’arrêta.
Le bruit, le monde, le nom que je portais.
Il ne restait que l’eau. Qui battait sur mon crâne. Qui coulait entre mes seins. Qui glissait jusqu’à l’intérieur de mes cuisses.
Je ne bougeai plus.
Je me suis sentie… lavée, oui. Mais pas propre. Lavée comme on dépouille une fleur de ses pétales fanés. Il restait la tige, nue, droite. Et elle tenait.
Je suis passée à la deuxième fontaine. Puis à la troisième.
Chaque jet était différent.
L’un frappait fort, presque autoritaire.
L’autre s’écoulait en filet chaud, comme une langue fluide.
J’ai ressenti une chaleur basse dans le ventre. Pas une excitation. Une invitation. Une montée lente. Un feu discret. Mon sexe, immergé, battait au rythme de l’eau.
Je n’ai rien fait.
Je suis restée là, les yeux fermés.
La pluie fine avait repris au-dessus du temple. Elle tombait sur la surface du bassin, dessinant de petits cercles qui venaient mourir contre ma peau.
Et dans ce silence, quelque chose en moi a dit :
Laisse-toi.
Je n’ai pas encore joui.
Mais j’ai senti que ça venait.
Que cette eau-là, sans aucune main, allait me prendre.
Je suis restée immobile sous la dernière fontaine.
L’eau tombait plus doucement ici, comme un souffle tiède sur la peau. Elle glissait depuis mon front jusqu’à ma nuque, filait entre mes seins, s’infiltrait dans le tissu trempé, épousait chaque courbe. Mon sarong collait à mes cuisses, dessinait mon sexe sans vergogne.
Mais il n’y avait pas de honte.
Seulement une présence.
Ma main s’est posée sur mon ventre, lentement, presque sans moi. Un geste simple. Ancré. Une caresse de l’intérieur. Mes doigts ont glissé, dans l’eau, sur le tissu. J’ai senti l’arrondi chaud de mon pubis, la tension douce qui remontait depuis le centre.
Personne ne regardait.
Et même si quelqu’un le faisait… je ne pouvais plus revenir en arrière.
Ma main s’est glissée plus bas, entre mes jambes, à travers le tissu détrempé. Ma paume entière épousait mon sexe. Je ne frottais pas. Je tenais. J’écoutais.
Mon clitoris palpitait, gonflé par l’eau, la fraîcheur, le silence.
Ma tête était toujours sous le jet. L’eau tombait en cascade contre mon cuir chevelu, se répandait le long de ma nuque, de ma colonne, comme une pluie venue de l’intérieur. Ma bouche entrouverte buvait un peu d’air, un peu d’eau, un peu de ciel.
Et là, sans bouger, j’ai joui.
Ce n’était pas un orgasme comme ceux que je connais. Pas une secousse. Pas une montée.
C’était… une dilatation.
Une ouverture.
Mon sexe a tremblé une fois. Mon ventre s’est creusé. Mes épaules se sont affaissées. Un soupir m’a échappé. Court. Muet. Une note à peine soufflée dans la gorge.
Je suis restée ainsi, à genoux, dans l’eau, la tête baissée, les bras relâchés. L’eau coulait toujours. Le monde reprenait doucement son rythme autour de moi. Des voix, des chants, des murmures de familles. Mais rien ne me touchait.
J’étais… bénie.
Par l’eau.
Par moi.
Quand je me suis relevée, j’ai croisé le regard de la prêtresse. Elle m’attendait au bord du bassin. Elle ne m’a pas souri. Elle n’a rien dit.
Mais dans ses yeux, il y avait un calme très ancien. Et une reconnaissance. Comme si elle savait exactement ce qui venait de se passer.
Elle m’a tendu une serviette sèche. J’ai essoré mon sarong, enfilé un second autour de mes hanches. Puis elle a noué une fleur blanche dans mes cheveux, sans mot.
— Now you are clean, dit-elle simplement.
Puis elle ajouta, les yeux dans les miens :
— But not empty.
Je l’ai remerciée, la gorge serrée.
Sur le chemin du retour, mes jambes tremblaient légèrement. Mon sexe était calme, vidé mais vivant. J’avais l’impression d’avoir laissé quelque chose dans ce bassin. Ou peut-être de m’y être retrouvée.
Je n’ai rien noté dans mon carnet.
Pas encore.
J’ai regardé mes mains.
Elles avaient touché Dieu.
Et c’était moi.
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