Épilogue
La guerre vient de s'achever.
Quatre années d'horreur se sont abattues sur nous tous. Mango, Giuseppe et moi nous sommes engagés pour rejoindre les Poilus, tandis qu'Aleksandra, qui est devenue mon épouse, restait en retrait pour soutenir les troupes françaises en arrière-front. Ma mère la forma aux rudiments nécessaires pour extraire une balle, recoudre une plaie ou encore amputer un membre. De notre côté, nous avons connu l'enfer dans les tranchées. Nous avons perdu bon nombre d'amis. Mango n'a pas tenu le coup. Ses dernières pensées, ses derniers mots furent pour Papaye. J'aime à penser qu'il a fini par le rejoindre.
La guerre vient de s'achever.
Nous avons rejoint Paris qu'aucun de ceux qui ont vécu la Belle Époque reconnaîtraient. Mais la ville tient bon, autant qu'elle le peut, et débute à peine sa reconstruction. Le Gang des Cœurs Brisés a lui aussi connu ses pertes, mais si nos cœurs demeureront à jamais fêlés, je sais que nos âmes seront à jamais liées.
Le passé érode mon humeur. Mais le futur me laisse rêveur. Je ne cesse de penser à ce père que j'ai connu l'espace de quelques heures, sans même savoir qui il était. Ce père brisé qui nous a offert ses derniers fragments pour nous laisser vivre. La journée à ses côtés m'inspire et me motive à devenir père à mon tour, pour lui rendre hommage et pour offrir à notre héritage le prodigieux cadeau de la vie. Puis, un jour, ce sera à eux d'écrire la grandeur de leur propre histoire et sans doute devoir vivre la décadence à laquelle nous sommes tous soumis.
Sous cette pluie battante qui dressent les parapluies noirs pour nous camoufler du traumatisme de la Grande Guerre, celle qui pour beaucoup a été la dernière, pendant que nous vivons encore, nous oublions que nous ne sommes pas éternels, que d’autres furent à notre place avant nous, et que certains nous la prendront, tôt ou tard, sans crier gare.
Car chaque itinéraire comporte sa destination finale, celle qui signe la conclusion d’un chef d’œuvre qu’on voudrait insipide pour qu’il dure plus longtemps, celui qu’on voudrait sien au détriment du vôtre…
Car la décadence des uns fait la grandeur des autres.
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