Chapitre 3 : Ocarina

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Je devins un autre étudiant de mon père, à faire des exercices tous les jours et à patrouiller dans la forêt à la recherche de voyageurs et marchands pour les guider jusqu’à notre village. Je n’étais jamais laissé seul, toujours en binôme avec quelqu’un, qui m’ignorait quand ce n’était pas mon père.

La saison des pluies arriva. Je fêtai mes huit ans. Elle repartit. Mes cheveux se détachèrent totalement et les femmes qui les avaient attachés des lunes plus tôt s’occupèrent de les nettoyer, les laver puis de les teindre au henné, la deuxième étape du deuil. Ma tête était de nouveau libre et c’était si étrange. Je m’étais habitué au poids de la natte dans mon dos. C’était comme si j’étais plus léger. Ma mère me manquait tous les jours, avec la même intensité que lorsqu’elle avait brûlé, mais cela ne me faisait plus mal au cœur. Plus autant.

En tout cas, j’étais enfin débarrassé des poux qui m’avaient attaqué ces deux dernières petites lunes et mon crâne ne me grattait plus. À la fin, la graisse de mes cheveux aurait pu suffire à fabriquer une bougie ! Tenter de les nettoyer tout en les gardant attachés n’avait pas donné grand-chose pour mon cas.

La chevelure de mon père, elle, était encore bien attachée. Et propre. Il devait sûrement y faire très attention. Lorsqu’elle se détendit finalement, j’avais retrouvé mes cheveux noirs et la saison sèche s’était terminée. Je trouvai cela plus étrange de le voir les cheveux détachés que lorsque c’était arrivé pour les miens. Il n’était plus… pareil. Et ses cheveux teints en orange n’arrangeaient rien.

Je m’habituai à cela, à vivre chez lui, à apprendre auprès de lui. Maintenant, il parlait presque couramment le langage des mains. Il avait surtout enfin appris à se servir de son visage.

J’étais avec lui lorsque l’on trouva un voyageur dans la forêt. Mon père l’arrêta d’un signe de la main. Il ne ressemblait en rien aux autres visiteurs que j’avais pris l’habitude de voir. Ses vêtements étaient propres et soignés, d’un raffinement que même moi je pouvais reconnaître. Mais surtout, malgré la chaleur étouffante de la saison des pluies, il portait un haut en lin. Déjà, c’était rare – mais pas étrange – de voir quelqu’un avec un haut pendant cette période mais quand en plus le vêtement était d’une matière chaude comme du lin… Peut-être le portait-il pour sa protection contre l’humidité ?

Il n’avait pas d’affaires avec lui, hormis son étagère à médicament portable, sûrement déviée de son utilisation originale pour transporter d’autres choses. Elle était bien usée. Son parapluie en paille la protégeait d’ailleurs plus que sa propre personne. Toutefois, ce que je remarquai le plus fut ses lunettes, rondes et petites, cachant un regard qui me fixa tout le long du chemin qui nous ramena au village.

Mon père lui fit la conversation pendant tout le trajet – il débordait d’enthousiasme – ignorant l’intensité tranquille avec laquelle l’étranger ne me quittait pas des yeux. Son regard n’était pas méchant, ou rempli de mauvaises intentions. Il était juste… curieux et perplexe. Voilà.

Il n’avait pas la tête de quelqu’un qui ne ferait que passer pour continuer sa route ensuite. Il ne ressemblait pas à un marchand non plus et même s’il en avait été un, où étaient ses produits ? Peut-être dans sa commode portable aux multiples tiroirs ? Peut-être vendait-il des pierres précieuses après tout.

Je m’évertuai à l’ignorer même si mes tentatives étaient peut-être évidentes pour lui. Une fois arrivé au village, mon père l’accompagna voir les anciennes. Ayant été congédié, j’allai m’amuser à la rivière. Plus en amont de celle-ci, les autres enfants jouaient ensemble et sautaient depuis un amas rocheux dans l’eau. Ils riaient de toutes leurs dents. Je les regardai de loin commencer et finir des jeux. J’aurais voulu les rejoindre mais la dernière fois que j’avais fait ça, ils m’avaient poussé dans l’eau sans prévenir et s’étaient moqués de moi en me pointant du doigt quand j’étais ressorti en toussotant. Puis ils m’avaient tourné le dos et étaient aller jouer plus loin.

À la place, je sortis l’ocarina que j’avais trouvé dans la maison de mon père. Je soufflai dedans. Puis je soufflai de nouveau. Je regardai le morceau de bois sculpté d’un air accusateur. Qu’est-ce qu’il avait de si bien ? Quel intérêt y avait-il à souffler dedans ? Était-ce une énième méthode de purification qu’on ne m’avait pas expliqué ? Je jetai l’ocarina dans l’eau, vexé. Et regrettai aussitôt mon geste. Mon père n’allait pas être content que j’aie fait ça. Je me relevai en soupirant, enlevai mon pantalon de toile et entrai dans l’eau pour chercher l’objet.

L’eau était froide et délicieuse par rapport à l’air chaud et humide. Il pleuvait toujours, j’étais complètement trempé. Les coudes dans le courant, je tâtonnai et remontai multiples pierres qui n’étaient pas l’ocarina. C’est seulement lorsque je cherchai un peu plus loin que je le trouvai. Il avait été emporté par les flots plus loin que je ne le pensais.

Quand je revins, triomphant, vers la berge, le groupe d’enfants m’attendait. Je déglutis, redoutant ce qui allait se passer. J’amorçai un mouvement de la main mais la cheffe du petit groupe avec une queue de cheval me pointa du doigt. Ou, non, elle pointa mon ocarina. Elle parla et je crus reconnaître mon nom sur ses lèvres. Et ce qu’elle dit devait être une moquerie car tous les autres rirent, certains avec un air supérieur dans le regard. Queue de cheval me tendit une main ouverte avec du mépris sur les lèvres. Je la regardai sans comprendre. Elle s’énerva et me prit mon ocarina des mains. J’ouvris la bouche en protestation et lui signai de me le rendre. Elle me singea et tout le monde suivit son mouvement en faisant des gestes absurdes avec leurs mains.

Je tentai de reprendre mon bien mais la fille était plus grande que moi et leva le bras hors de ma portée. Elle n’avait pas le droit de me prendre mes affaires ! Je la poussai de toutes mes forces mais contrairement à mes espérances, elle tangua au lieu de tomber. Son visage se peignit aussitôt d’incrédulité et de colère. Elle me poussa de sa main libre, m’envoyant tituber en arrière. Elle était forte, mon torse me fit mal là où elle m’avait touché. Derrière moi, quelqu’un tira sur mes cheveux, grippant au passage ma boucle d’oreille, ce qui me fit crier. Je me débattis malgré les larmes qui me montaient aux yeux et réussi à griffer mon agresseur. En réponse, une autre fille me frappa au visage et je m’effondrai par terre, goûtant le sang couler dans ma gorge. Je portai ma main à mon nez et la retirai couverte de sang. Aïe.

Mon visage n’était plus qu’un désastre de sang, de larmes et de morve. Je relevai la tête vers Queue de cheval, seulement pour la voir exagérément faire tomber mon ocarina d’un faux air coupable. Elle l’écrasa sous son pied. Son visage grimaça horriblement quand elle se rendit compte qu’il ne s’était pas brisé. Je fis voler ma main vers lui pour le récupérer mais son sous-fifre m’écrabouilla les doigts de sa sandale. Queue-de-cheval récupéra une pierre et martela, martela, martela mon ocarina avec. Je la regardai faire, impuissant, la douleur à ma main, à mon nez, m’aveuglant tellement plus que mes larmes que je crus entendre quelqu’un me dire :

Que se passe-t-il ? Est-ce que ça va ?

Mais la voix disparut de mon esprit aussitôt que ma tortionnaire libéra ma main. On bougea autour de moi mais j’étais trop battu et essoufflé pour comprendre ce qu’il se passait. Ma tête pulsait contre mon crâne. Et. Ça. Faisait. Mal. Je ramenai doucement ma main contre ma poitrine et la berçai en espérant que cela ferait disparaître la douleur.

Ils avaient cassé mon ocarina. L’ocarina de mon père. Il allait être furieux. Il n’aimait pas que je touche à ses affaires. Comment étais-je censé réparer un ocarina ? Si ma mère avait été là, elle aurait su quoi faire. Elle l’aurait réparé. Son travail, c’était fabriquer des objets. Sûrement qu’elle aurait été capable d’en réparer un ? Des larmes de tristesse se mêlèrent à celles de douleur.

Je ne respirais plus que par la bouche, le sang ayant séché et bouché mon nez. Au moins, il s’était arrêté de couler. Je rouvris les yeux, ne sentant plus de mouvements autour de moi. J’étais seul avec la pluie heurtant mon visage, les débris de l’ocarina juste devant moi. De ma main valide, je les récupérai. Je ne pouvais pas montrer ça à mon père. Lentement et précautionneusement, je me relevai, tenant fermement les bouts de bois contre moi. Il fallait que je les cache quelque part. Je regardai autour de moi, à la recherche d’une cachette. Il y avait la rivière, les herbes gorgées d’eau, la terre meuble, les rochers mais rien qui criait « cachette secrète ! »

Je me résignai donc à enterrer les débris de l’ocarina. Je choisis un coin près des rochers et creusai avec mes mains. Celle que Sous-fifre avait écrasée me faisait encore mal alors je dus me résoudre à n’en utiliser qu’une. Je jetai les bouts de bois dans le trou et le rebouchai, plaçant une pierre par-dessus pour le sceller et me rappeler du lieu. Puis je joignis mes mains et priai Mère Nature de bien vouloir récupérer ce qui lui avait autrefois appartenu. Je pleurai tout du long.

Puis, j’entrai prudemment dans l’eau pour me laver de tout le sang qui devait peindre mon visage en rouge. En touchant mon nez, des étoiles dansèrent devant mes yeux et je perdis l’équilibre. Malgré tout, je persistai pour faire disparaître toute trace de ma figure. J’envisageai de dire à mon père ce qu’il s’était passé avec les autres enfants. Il les aurait immédiatement amenés devant leurs mères et aurait demandé des comptes, la violence étant toujours un grand non, non. Plusieurs raisons me convainquirent de ne rien dire. Tout d’abord, c’était moi qui avais commencé en poussant Queue de cheval. Qu’elle ait pris l’ocarina de mes mains n’avait aucune importance. Le village n’acceptait aucune violence physique. Ensuite, cela nécessitait de savoir pourquoi je l’avais poussée, et ce que j’essayais de faire, là, maintenant, c’était de faire croire à mon père qu’il avait perdu son ocarina pour ne pas qu’il se fâche contre moi de le lui avoir pris et cassé. Enfin, si je les dénonçais, je perdais toute chance de jamais pouvoir jouer avec eux. Même si je les détestais, au fond de moi, je brûlais de faire partie de leur groupe.

Quand je fus à peu près certain que j’avais fait disparaître toutes les traces de sang, j’allai chercher mon pantalon que j’avais enlevé il y avait maintenant une éternité, me semblait-il. À cause de la pluie, mes cheveux collaient à mon visage. J’étais dépité, blessé et horriblement triste. Pourquoi est-ce que ça m’arrivait ? Pourquoi me rejetait-on ou m’ignorait-on complètement ? Pourquoi étais-je différent ? J’avais une bouche, deux yeux, un nez (cassé), de longs cheveux, deux bras, deux jambes et un cœur qui battait au fond de la poitrine.

Je ne pouvais juste.

Pas entendre.

Était-ce suffisant pour que tout le monde me déteste ?

Je ne pleurai pas, j’avais déjà usé de la totalité de mes larmes. J’étais juste vide et seul.

En rentrant, je vis qu’ils avaient installé l’étranger dans la maison de ma mère.

*

Je savais que c’était avant tout une maison du village avant d’être celle de ma mère. Que lorsqu’elle était morte, elle était revenue au cercle décisionnel à redistribuer à quiconque aurait besoin d’un toit. Mais d’habitude, on offrait aux étrangers des maison-arbres, pas celles en pierre. C’était ma maison. On ne pouvait pas y laisser dormir quelqu’un d’autre ! Où est-ce que j’allais aller, les soirs où je ne voulais pas dormir chez mon père ? Ce soir ?

Je n’étais qu’à quelques mètres de la maison en pierre et l’étranger discutait avec d’autres personnes du village. Puis il me vit et me fit un petit geste de salut de la main. Je fronçai les sourcils et me cachai derrière les arbres. Je le détestais, je le détestais, je le détestais !

N’ayant nulle part ailleurs où aller, je rentrai chez mon père. Quand il me vit, son visage se décomposa et il se précipita vers moi en me parlant d’un air inquiet avant de se reprendre et de me signer :

« Que s’est-il passé ? Pourquoi ton nez est tout violet ? »

Ah. Je sortis le premier mensonge qui me passa par la tête :

« Je suis tombé d’un arbre. »

Ce qui n’était pas faux en soi, je tombais régulièrement des arbres. J’avais l’habitude d’y grimper pour regarder les autres jouer sans être vu.

« Sur le nez ? Cela a dû faire mal, mon fils. »

J’acquiesçai, les larmes refaisant leur apparition. Il me prit dans ses bras, caressant gentiment mes cheveux. Puis il sortit son kit de soin et me fit asseoir sur une chaise. Il toucha précautionneusement mon nez et je grimaçai. Il secoua la tête et dit :

« Ton nez est cassé, je dois le mettre de nouveau droit. Ça va être plein de douleur. Prêt ? »

Je me préparai et serrai les dents. Il prit mon nez dans sa main et d’un mouvement sec et vif le remit en bonne place. Je sentis le crac des os se remettre en place et ouvris la bouche sous la douleur. Mon père tapota doucement mon épaule avec un sourire contrit. Petit à petit, le soulagement remplaça la souffrance, faisant disparaître un élancement que je n’avais pas remarqué s’être installé sur mon visage. Mon père appliqua ensuite une crème qui me fit soupirer de contentement. Je pouvais enfin inspirer normalement même si cela me faisait mal. J’allais continuer à respirer par la bouche pendant un moment.

« Pourquoi l’étranger dort dans la maison de maman ? »

Il cligna des yeux, ne s’étant pas attendu à cette question.

« Ce n’est plus la maison de la femme que j’aime.

— Mais pourquoi ? insistai-je.

— L’étranger est un dessinateur. Il a besoin d’une maison de pierre pour que son matériel ne s’abime pas, comme pour l’entrepôt où la nourriture devient mauvaise moins vite. »

Cela ne me plaisait pas. Et je ne pouvais rien y faire, ce qui m’agaçait encore plus. Ce dessinateur n’avait pas le droit de prendre ma maison !

*

Le lendemain, mon père accepta que je n’aille pas à l’entraînement pendant quelques jours. Je mis ce temps à profit pour observer le dessinateur. Mon père et lui allaient sûrement vite s’entendre, il adorait gribouiller des dessins sans aucun sens et d’une seule couleur. À croire que les adultes ne comprenaient plus l’intérêt de faire de jolies images.

Il passa les premiers jours en compagnie des anciennes du village puis il ne bougea plus de l’environnement immédiat de la maison de ma mère. Progressivement, des enfants commencèrent à venir et ils commencèrent à faire des dessins d’une seule couleur comme l’étranger. J’étais horrifié. Je ne pouvais pas m’empêcher de les observer avec une morbide obsession. Qu’est-ce qu’il y avait de si fascinant là-dedans pour qu’au fil des jours, de plus en plus d’enfants viennent le rejoindre – parfois même un ou deux adultes ? En quoi cela bénéficiait-il au village de laisser les enfants apprendre ces étranges dessins plutôt que le travail de leurs mères ?

Je ne comprenais pas et je voulais en faire partie. Mais la rancune que je gardais contre l’étranger – qui semblait s’être en fait installé pour de bon – m’empêchait de rejoindre le groupe dans ma maison ou à son entrée.

Quand on me demanda si je voulais aider à reconstruire le bastion, je me jetai sur l’occasion. Il était resté en ruine depuis bien avant ma naissance et je ne voyais pas pourquoi d’un coup on décidait de le réhabiliter mais tout était bon pour me distraire. J’étais chargé d’aider les hommes à transporter un chariot à trois bonnes heures de marche à travers la forêt jusqu’à la carrière où l’on passait ensuite le reste de la journée à récolter des pierres. Une femme dirigeait bien sûr toute l’opération tandis qu’une autre nous nourrissait. On retournait ensuite au village avant la tombée de la nuit où un beau festin nous attendait toujours et où les villageois nous applaudissaient pour notre travail. D’habitude, c’étaient les agricultrices qu’on célébrait ainsi, alors cette attention était la meilleure des récompenses.

De façon générale, depuis que le dessinateur était arrivé, tout le village semblait en fête. On lui donnait toujours le meilleur bout de potage, le meilleur fruit, la meilleure part de la tarte. On pelait même ses bananes. Certaines cuisinières allaient même jusqu’à lui offrir des gâteaux hors des périodes de repas. Tout le monde était à ses petits soins et je ne pus m’empêcher de faire le rapprochement avec la ruine de pierre qu’était notre centre d’entraînement. Allait-il donner ses cours là-bas ? Où est-ce que l’on nous relocaliserait alors ? Cet homme me prenait tout. Et en plus, il ne me portait plus aucun intérêt. Pas que cela m’importait, non, non. Juste… il avait invité tous les enfants à venir chez moi pour leur apprendre des gribouillis noirs sauf moi.

Je le haïssais tellement qu’un soir je jetai une pierre à travers sa fenêtre. La saison des pluies avait bientôt fini de pleuvoir et il avait gardé ses volets ouverts d’où s’échappait de la lumière. J’avais une vue complète de son atelier de dessin et, incidemment, de son flacon d’encre. Que ma pierre fracassa bien accommodement. C’était de sa faute après tout, d’avoir laissé son matériel à côté de la fenêtre.

J’étais déjà caché en haut d’un arbre quand il passa la tête à travers l’ouverture. Je ris dans mes mains. Il leva la tête dans ma direction. Zut, j’avais oublié que rire faisait du bruit. Je grimpai plus haut dans les arbres. S’il me voyait, il se plaindrait à mon père et je n’aurais plus le droit de sortir après dîner. Il regarda encore un moment en l’air avant de retourner dans ma maison dormir dans le lit de ma mère.

Au début de la saison sèche, le bastion était suffisamment rénové pour que le dessinateur s’installe dans une des salles avec toute sa petite cour. Heureusement, cela ne voulait pas dire que l’on nous virait de la place où nous faisions nos entraînements. J’étais devenu pas mal avec ma lance et je sentais les autres garçons et filles adolescents commençaient à me respecter à défaut de m’apprécier.

Rien ne changeait à nos cours donnés par mon père. Sauf que nous avions maintenant une audience. Et je n’avais pas l’habitude d’être au centre de l’attention de cette façon. Même le dessinateur nous regardait parfois nous exercer. Et en retour, nous le regardions de temps en temps donner ses cours à ses élèves. La motivation avait un peu baissé depuis ses premières fois et certains enfants ne venaient plus. Mais les anciennes durent dire quelque chose car ils revinrent tous assez vite. Malgré les absents, l’étranger continuait à remplir sa salle et parfois, des adultes libres pour quelques heures y passaient.

De temps en temps, le dessinateur ramenait des e-maki et c’étaient mes moments préférés. C’étaient enfin de vrais dessins, qui racontaient une histoire en plus. Je continuai à lui jouer des farces. Pour lui montrer que tout le monde ne l’appréciait pas forcément. Pour qu’il quitte ma maison et s’installe ailleurs. Je n’étais pas contre son implantation au village. Juste… pas dans la maison de ma mère. Je montais sur son toit et bouchais la cheminée avec une grosse pierre plate, je volais ses vêtements pour les « laver » dans la boue, je perçais des trous dans ses feuilles et je vidais ses flacons d’encre dans ses cruches. La première fois que j’avais fait ça, il avait eu la bouche bleu-noir pendant au moins plusieurs jours. Maintenant, il vérifiait toujours tout ce qu’il buvait.

Un jour où mon père était malade, je décidai que c’était le moment parfait pour faire la plus grosse des farces pendant que le dessinateur enseignait au bastion.

J’entrai sans être vu dans ma maison. C’était toujours excitant et nostalgique de s’y retrouver. Puis la colère venait toujours par derrière. Parce que ça ne sentait plus pareil. Parce qu’il avait changé l’agencement des meubles et la décoration. Parce que mon lit n’était plus là.

Je commençai par soulever la fine couverture du lit de ma mère. Je sortis un bocal de mon panier torsadé et vidai son contenu – des insectes que j’avais passé la veille à récolter – sur les draps, refermant la couverture dessus. Puis je sortis méthodiquement toutes ses tuniques et chemises et les jetai au sol. C’était plaisant au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer. J’ouvris ses placards pour faire de même avec ses affaires. Et juste par méchanceté, utilisai son pot de chambre sans le vider après. Je me servis dans sa réserve de nourriture et essuyai mes doigts collants de sucre sur ses papiers. J’avisai alors un pinceau et commençai à faire de vrais dessins sur ses gribouillis. Sauf que le noir, ça bavait sur mes couleurs et mes dessins ne valaient plus rien. J’utilisai donc son papier blanc pour en faire de bien jolis. Je me perdis complètement dans la pratique. Ça faisait longtemps que je n’avais pas dessiné comme ça. J’avais les jambes qui battaient contre la chaise et je hochais la tête au même rythme qu’un tambour imaginaire.

Une main se posa sur mon épaule. Je bondis de mon siège. Je serais tombé si on ne m’avait retenu par la taille. C’était le dessinateur. Zut, zut, zut ! Je n’avais pas fait attention au temps qui passait ! Je regardai le désordre de la pièce. Par ma faute. Je déglutis. Là, ce n’était pas fâché qu’allait être mon père, c’était tout rouge. Le dessinateur me lâcha pour poser les mains sur ses hanches, les sourcils plus que froncés. Il ne s’énervait jamais. Évidemment, c’était sur moi le premier qu’il allait se lâcher.

Bon.

Ce n’était pas comme s’il n’avait pas de raisons de le faire.

Il embrassa la pièce du regard, relâchant deux secondes son attention sur moi. C’était le moment ! Je plongeai vers la fenêtre, passant au travers juste alors qu’il attrapait mon pied. Je m’écrasai contre le mur extérieur en grognant. Je me débattis comme un diable, lui donnant des coups de pied. Sa prise se relâcha et je réussis à m’enfuir. Sans un regard en arrière, je me réfugiai dans le premier arbre qui venait, celui où je m’étais caché d’innombrables fois pour l’espionner. Je ne pouvais pas vaincre un adulte à la course. Seul mon agilité et mon poids pouvaient me sauver. Je grimpai dans les branches.

C’est seulement quand je me considérai suffisamment en hauteur que j’osai un œil en bas. Le dessinateur m’attendait, les bras sur les hanches, à me parler puis à me pointer du doigt. J’étais bon à donner à manger aux fourmis. Jamais mon père n’allait me pardonner.

Je respirai de nouveau quand il disparut, seulement pour revenir une dizaine de minutes plus tard avec mon père, furibond en me voyant. Des sueurs froides coulèrent sur ma nuque. Il me cria de descendre tout de suite. Ses mains étaient erratiques. Il était vraiment en colère. Comme je disais non de la tête, il commença à grimper l’arbre, malgré le fait qu’il soit malade. Je paniquai et montai encore plus haut. Sûrement qu’il ne pourrait pas m’attraper si j’étais à la cime ? Mon père m’ordonna de descendre mais c’était bien la dernière chose que j’allais faire.

Son pied glissa sur une branche. Ma main s’agrippa plus fortement à l’arbre. Mais il ne tomba pas. Il hésita, grimpa un peu plus haut puis son visage se crispa avant d’être finalement acceptant. Il redescendit et je ne repris ma respiration que lorsqu’il posa le pied à terre.

« Tu ne pourras pas rester là-haut à l’infini ! » s’énerva-t-il.

Il croisa les bras et s’assit, me fixant avec le feu du soleil dans les yeux. Il dit quelque chose au dessinateur qui redisparut vers le village. Probablement parti chercher une des anciennes.

« Tu es dans un gros pétrin, mon garçon ! Pourquoi as-tu fait ça ? »

Prudemment, je changeai de position pour lui montrer mon dos et ne plus avoir à voir ce qu’il me disait. J’étais mal, très mal. Le dessinateur avait à coup sûr compris que c’était aussi moi pour toutes les autres fois.

Combien de temps pourrais-je rester suspendu à ma branche comme un singe ? J’allais devoir dormir là, hein ? Mon père avait raison, je ne pouvais pas rester là éternellement. Ma vision se troubla. Comment pouvais-je éviter la punition ?

Je jetai un œil en bas pour voir que le dessinateur avait ramené tout le conseil décisionnel. Les vieilles dames entrèrent toutes dans ma maison et en ressortirent en secouant la tête. Mon père était profondément honteux et s’excusa maintes fois. Inconsciemment, il utilisait ses mains pour quelques signes, comme des tics. Voir ça retourna mon cœur, le battit plat et le renfonça sanguinolent dans ma poitrine. Il utilisait inconsciemment ses mains. Je me mis à pleurer dans mes mains. Toutes les têtes se levèrent vers moi.

J’étais coupable de toute façon. Je n’avais aucune échappatoire.

Je ravalai mes larmes et ma morve et entrepris ma descente. Quand j’atteignis les branches les plus basses, je sautai au sol et mon père me récupéra. Dans ses bras, j’éclatai en sanglots, de grosses larmes du fond de ma gorge.

« Pardon », pleurai-je.

Il lissa mes cheveux.

*

La décision du groupe des anciennes était sans appel. Je devrais nettoyer mon bazar et faire le ménage du dessinateur pendant une petite lune. Pour les blessures morales que je lui avais faites, je devrais lui donner un de mes objets les plus chers. De plus, je devrais le refournir en encre et en papier. Je décrochai ma mâchoire à cela. Fabriquer de l’encre et du papier prenait quatre cycles complets de grande lune ! Mais pire que tout, on m’obligea à servir le dessinateur pendant deux saisons entières ! À ne rien faire d’autre que ce qu’il me dirait (ce qui n’allait pas être facile non plus). Je n’arrivais pas à croire qu’on me faisait faire ça. C’était indigne, honteux et faisait de moi un moins que rien. Personne ne servait personne ! C’était la règle.

Mon père refusa de plaider mon cas, disant que c’était une juste punition. Je le suppliai de me laisser continuer l’entraînement, que je serais un élève modèle, que j’allais oublier comment on maniait la lance, que j’allais le rendre fier en devenant un grand guerrier pour le village, comme lui. Il tiqua à mon utilisation de « fier » et me dit :

« Tu m’as toujours rendu très fier. »

Ce qui n’était pas possible car j’étais la honte du village. Même les adultes me regardaient méchamment maintenant. Je préférais encore quand je leur faisais pitié.

Mon année de servitude commença dès le lendemain. Le dessinateur m’accueillit chez lui, chez moi. Il ne souriait pas mais il ne paraissait pas en colère non plus. Je me baissai et me mis à genoux, front au sol pour m’excuser. Je restai prostré ainsi jusqu’à ce qu’il m’effleure l’épaule. Je me relevai et retirai mon collier filial. La gorge serrée, je le lui tendis. J’avais plein d’objets précieux ; ma maison, le lit de ma mère où elle avait passé ses derniers instants, un de ses arcs caché sous mon lit, l’ocarina de mon père depuis qu’il était cassé et enterré à la rivière mais rien que je ne pouvais déclarer mien. Sauf mon collier.

Le dessinateur arbora un air confus. Je déglutis et forçai mon bijou contre sa poitrine. Il le prit avec raideur et je réprimai un sanglot. Mon seul lien disant que j’étais le fils de ma mère, entre les mains de l’homme que je détestais. C’était d’une évidence pénible qu’il ne savait pas quoi en faire. Il choisit finalement de le déposer sur son bureau. Il me jeta un regard, ouvrit la bouche. Aussitôt pour la refermer. Ses yeux étaient posés sur ma boucle d’oreille.

Je détournai le regard et commençai à nettoyer. Il prépara ses affaires, hésita à la porte, posa gentiment sa main sur mon épaule et partit au bastion donner ses cours de dessin. Dès qu’il fut parti, je m’effondrai dans un coin et pleurai toutes les larmes de mon corps. Il me fallut un moment pour me calmer. Donner un coup de pied dans le mur aida à divertir la tristesse par la douleur.

J’entamai ma punition. Le dessinateur avait été clément, il avait rangé le plus gros de mon bazar. Il avait même nettoyé le pot de chambre. Je rougis. Il aurait pu être beaucoup plus cruel avec moi s’il l’avait voulu. Mais c’était un homme gentil. Je le savais, j’avais passé des lunes à l’observer. Que tous les enfants tournent autour de lui en-dehors des cours en était une preuve. Il avait toujours un air agréable et ne se mettait jamais en colère. Il acceptait toujours ce qu’on lui offrait et il se découpait en quatre pour rendre la pareille. Il avait même rejoint le vieux narrateur pour raconter des histoires. J’avais toujours adoré participer à ces soirées quand ma mère faisait la traduction.

Ce fut une très longue journée. Comment quelques heures de bêtises pouvaient demander le quadruple du temps à nettoyer ?

Dans la poubelle, je trouvai les feuilles pleines de gribouillis sur lesquelles j’avais dessiné. Je les sortis et contemplai mes méfaits. Bon, j’avoue, ça me faisait un peu plaisir de voir ce que j’avais fait. Je le remis dans la corbeille en bambou. Je pouvais peut-être commencer à faire de l’encre maintenant, haussai-je les épaules. J’amenai la poubelle dehors ainsi que le matériel pour récolter de la fumée. Je froissai les papiers et autres déchets, en mis dans chaque petite coupelle et les remplis d’huile de tung, y ajoutant plusieurs mèches à brûler. Techniquement, rajouter des déchets ne faisait pas partie de la recette mais c’était ma petite revanche contre le dessinateur. Savoir que son encre aurait peut-être une couleur inhabituelle me réjouissait.

J’allai récupérer du bambou dans sa réserve et le découpai en plusieurs tronçons de la même longueur que mon bras. Puis je pris chaque tronçon, les calai entre mes jambes et découpai la longueur en six, m’arrêtant un peu avant le nœud quand je pouvais. Je coinçai les coupelles vides entre les tiges et les retournai tête en bas pour vérifier que cela tenait et qu’elles ne glissaient pas. Je plaçai ainsi les coupelles retournées au-dessus de celles remplies. Grâce au bambou, elles étaient surélevées de quelques centimètres. Je pouvais y passer la main. La fumée de l’huile s’y accrocherait. J’allumai les mèches.

Pendant que l’huile brûlait, je continuai mon rangement à l’intérieur, vérifiant de temps en temps si le feu continuait à faire son travail. Le dessinateur rentra avec mon père quand j’entamai ma première tournée à racler la fumée agglomérée contre les coupelles avec un pinceau dans un sac en tissu. Cela me demanderait plusieurs jours avant de pouvoir le remplir. Ils me laissèrent terminer, faisant le tour de ma maison. Puis, quand je renouvelai les coupelles, mon père demanda :

« Pourquoi as-tu donné ton collier ? »

Il le tenait dans ses mains. Je tripotai avec nervosité mes mains.

« L’ancienne a dit que je devais donner mon objet le plus précieux.

— Tu ne peux pas donner ton collier. »

Le soulagement m’envahit mais je ne le laissai pas se peindre sur mon visage.

« Donne autre chose.

— Je n’ai rien d’autre.

— Donne n’importe quoi. Il ne saura pas que ça ne t’est pas précieux. »

Cela me mit mal à l’aise qu’il parle du dessinateur alors qu’il était juste à côté. J’hésitai. Papa voulait défier l’autorité des anciennes. Ce n’était pas bien. Je pris une grande inspiration. Je pouvais le faire.

« Je lui donne la maison de Maman. »

Ses sourcils s’arquèrent et de la peine s’inscrit dans ses yeux.

« Elle lui appartient déjà.

— Je lui donne la maison de Maman », insistai-je.

Il hésita puis transmit mon choix au dessinateur. La surprise envahit aussitôt celui-ci. Il pointa son regard sur moi puis sur la maison et son visage s’éclaira comme s’il avait compris quelque chose. Il dit à mon père qu’il acceptait. Je tripotai mes doigts, le regardant, regardant ma maison qui ne m’appartenait plus et quelque chose se brisa en moi. Je m’accroupis au sol et me mis à sangloter. Mon père me prit dans ses bras et me serra contre lui. Il embrassa mon crâne et glissa mon collier entre mes mains. Je l’empoignai et ne le lâchai plus. Il échangea quelques mots avec le dessinateur puis partit en me portant jusqu’à sa maison. Ma maison. Il m’allongea sur mon lit et ébouriffa mes cheveux avec un petit sourire.

« Je n’avais pas compris que cette maison était très importante pour toi. Pardon. »

Je fis la moue. Je ne voulais pas en parler.

« Est-ce que tu étais en colère contre le dessinateur à cause de ça ? C’est pour ça que tu abimais tout le temps ses affaires ? »

Je grimaçai. Évidemment, ils avaient compris que toutes les autres farces étaient de moi. Ma grimace passa pour des aveux pour lui car il se passa une main sur le visage.

« Ce n’est pas bien de faire ce genre de choses, mon fils.

— Je suis désolé. Je ne le ferai plus. »

Mon père caressa mes cheveux et mon visage. Il avait de grandes mains. Elles étaient chaudes et gentilles.

« Est-ce que tu veux un objet de ta maman ? »

J’acquiesçai, aussitôt intéressé. Mon père s’éloigna de mon chevet pour farfouiller dans ses tiroirs. Il en tira un long tissu jaune sur lequel la lumière glissait. Il me l’apporta. Il était tout doux au toucher.

« Elle portait ce tissu dans ses cheveux. Elle me l’a donné quand elle t’a eu. Il vient de son pays. »

Je serrai le tissu contre moi.

« Il est où ce pays ?

— Très très loin au Nord. Là-bas, les gens sont tous de couleur blanche.

— Comme Maman ?

— Comme ta maman.

— Comment tu l’as rencontrée si elle habitait très très loin ? »

Mon père s’installa plus confortablement pour mieux me raconter.

« Ma mère était marin et parfois, je partais avec elle dans plein de pays. Un jour, j’ai rencontré ta mère dans une auberge où l’on séjournait.

— C’était chez elle ?

— Non, rit-il. Elle était déjà partie de son pays. Elle voulait visiter le monde. Elle nous a rejoints sur notre bateau et nous sommes tombés amoureux. Nous nous sommes installés ici quand elle est tombée enceinte de toi. »

Son air se fit triste.

« On voulait repartir tous les trois quand tu serais plus grand. »

Mais ma mère était morte… Un sourire s’installa sur le coin de la lèvre de mon père et il dit :

« Quand j’ai rencontré ta maman, elle avait les cheveux courts. Jusqu’à là. »

Horrifié, je le vis monter sa main à son cou.

« Non », refusai-je d’y croire.

Je savais qu’elle les avait eus courts il y a longtemps mais l’idée qu’elle les ait eus aussi courts m’était inimaginable.

« Si, si. Dans son pays, les gens se coupent les cheveux très souvent. C’est très rare qu’ils les aient aussi longs que chez nous. En tout cas, c’est ce qu’elle m’a dit. »

Et dire que ses cheveux m’avaient toujours paru courts quand ils n’atteignaient que sa taille.

« Est-ce que tu veux que j’attache tes cheveux ? »

J’acquiesçai et lui tendis le tissu. Je lui tournai le dos et il défit la coiffure que j’avais déjà. Il ramassa mes cheveux dans sa main en une queue de cheval et la noua simplement avec le tissu. Qui se défit presque immédiatement. Il était trop lisse pour tenir. Je jetai un regard par-dessus mon épaule pour voir mon père froncer les sourcils. Il changea d’idée et passa le tissu sur ma tête, faisant le tour de mon crâne. Avec des épingles, il réussit à l’arrêter.

« Je m’entraînerai, promit-il. Je n’arrive plus à me souvenir comment elle faisait ses coiffures. Quoique ça ne m’étonnerait pas qu’elle m’ait donné ce tissu parce qu’elle n’arrivait pas à l’utiliser. »

Je ris. Elle en aurait été tout à fait capable. Je passai mes bras autour du cou de mon père et il m’enlaça, me plaquant un baiser sur le front.

*

Cette nuit-là, pendant que mon père dormait, je sortis en catimini. Une fois hors du village, je me ruai vers la rivière. Je creusai à l’endroit où j’avais enterré l’ocarina. Il était toujours là, sale de terre. Il n’avait pas pourri car je l’avais exhumé et nettoyé plus d’une fois. Je tins les morceaux contre mon giron et rentrai chez moi.

Je déposai l’ocarina brisé au pied du lit de mon père et allai me coucher.

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