Chapitre 1

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Mon instinct me dictait de tout leur révéler. J'étais à bout. Mes bras tremblaient, mon front perlait à grosses gouttes et mon sang se répandait en un goût de rouille dans ma bouche. Un énième coup de poing haineux atteignit ma joue, provoquant en moi une souffrance que je ne pouvais exprimer qu'en grognant.

- Réponds-nous, sale charognard ! Où se trouve ton campement ?

Je m'humectai les lèvres en riant nerveusement.

- Répondre à de la truandaille comme vous ? Jamais.

- P'tit merdeux, cracha mon ennemi avec un fort accent lombard.

Il brandit son couteau sous mes yeux plissés et l'enfonça violemment dans mon épaule. Je me retins de hurler afin de ne pas ameuter plus d'ennemis, le sang qui bouillait dans mes veines giclant sur le poteau sur lequel on m'avait attaché. Je tirai sur les cordes qui retenaient mes mains prisonnières.

- C'est qu'il est pas douillet, le stronzo ! s'énerva mon bourreau.

J'ignorais ce que cela voulait dire. Tout ce que je savais, c'était que ces Lombards étaient loin d'être courtois ; ils ne pouvaient pas se retenir d'ajouter une seule injure dans leur phrase. Je baissai la tête comme pour me soumettre, défiguré par la douleur.

- Parle ! hurla l'un des leurs, sa longue moustache frétillant au-dessus de ses lèvres.

Un nouveau coup de poing m'acheva. Je crachai du sang, levai les yeux vers eux et, après avoir émis un gargouillis peu élégant, j'articulai :

- Cherchez-vous même. Je ne vous serai d'aucun recours.

Mon ennemi jura, me donna un coup au ventre pour me couper le souffle et attrapa mon visage sanguinolent par le menton. Il lança une phrase en lombard à ses camarades tout en me fixant, l'air écœuré. Ma tête pendait dans le vide tant je n'arrivais plus à la faire tenir ; cela faisait des heures que je supportais leur torture, des heures que je manquais de perdre connaissance. Je priais pour qu’ils ne découvrent pas que j’étais un Larceroy, persuadé qu'ils m'auraient déjà assassiné s'ils avaient su mon identité. Personne ne me connaissait, je n'avais donc normalement aucune inquiétude à me faire.

- Enflure, tu ne nous seras d'aucune utilité, finit par gronder mon ennemi. On va te laisser mourir de faim et de soif, tu regretteras amèrement de ne rien nous avoir révélé.

L'envie de le frapper me brûlait du bout des doigts. J'avançai légèrement mon pieds, rageant de tout mon être, mais les cordes me retinrent. Ces lascars ne m'échapperaient pas, je les retrouverai, je me l'étais promis dès notre première confrontation.

- On y va ! hurla-t-il à ses hommes. On n'a plus rien à faire là, ce type est déjà à moitié mort. La nature fera le reste.

Ils décampèrent aussitôt dans les bois, m'abandonnant à mon sort. J'étais stupéfait d’être laissé-pour-compte en de pareilles circonstances. Ils étaient censés m’achever. Une vision de mon corps se décomposant contre le poteau en bois me vint à l'esprit ; je me débattis contre le poteau, en proie au désespoir. Moi qui avais vécu toutes les horreurs du monde, il était impensable que je trouve la mort de cette façon. J'étais trop faible pour me défaire des cordes et pour tenir debout. J'aurais aimé me laisser tomber au sol, desserrer les liens qui faisaient rougir ma peau et soigner mes blessures.

Seulement, j'étais là, les jambes flageolantes, sous l'emprise de deux cordes inutiles. Je tentai de tirer mon poignet vers le haut, mais je ne faisais qu’aggraver mes blessures. La nuit tombait peu à peu sur la forêt. Je pouvais entendre un hibou moyen-duc hululer sur un arbre, perché à côté de mon poteau. C'était comme s'il tentait de me tenir compagnie, de chanter une dernière fois la mélodie sinistre de mes funérailles avant que je ne sombre dans la mort.

Non, je ne mourrai pas.

D'un geste brusque, je levai mon bras et frottai la corde contre le mât sur lequel mes liens étaient solidement noués. J'appuyai de toutes mes forces avec mes poignets en sang ; avec indifférence, je continuais, m’habituant petit à petit à la douleur. Après de longues minutes insupportables, j'arrachai mon premier poignet de la corde, victorieux et fatigué. Les écervelés qui comptaient me faire mourir sur ce poteau ignoraient être tombés sur un débrouillard comme moi.

Après avoir fait de même avec le second, je m'écroulai au sol, les poings fermés et la joue écrasée dans la terre fraîche. Je récupérai mes forces en restant dans cette position puis, haletant, je me remis difficilement debout.

Je devais rejoindre mon campement, désormais ; moi qui étais parti en éclaireur quelques jours, je ne pouvais plus me permettre de traîner dans les environs. J'étais le meneur des défenseurs des frontières, et mes hommes avaient besoin de moi. Je devais au plus vite trouver la gare la plus proche. Elle ne devait pas être bien loin. En déambulant entre les arbres, je tombai sur un cadavre à moitié égorgé. J'étais certain que mes Lombards y étaient pour quelque chose. Dans un élan de détermination, je le dépouillai, soignai en vitesse mon épaule avec un bandage et enfilai le sac à dos qui était étalé à côté de lui. Par chance se trouvaient encore quelques provisions et des allumettes à l'intérieur.

Ma main tendue vers l’avant renfermait une minuscule allumette illuminant à peine les ténèbres de la forêt. J'avançai vers l'inconnu, les feuilles d'automne qui tapissaient le sol s'enfonçant sous mes pas. La route n'allait pas être plaisante.

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