Chapitre 3

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Le paysage défilait à toute vitesse. J'étais dépassé par les événements. La guerre n'allait pas tarder à éclater, je savais que les Lombards attendaient le bon moment. Tout ce que mes hommes et moi essayions de faire était de les repousser fermement lorsqu'ils empiétaient notre territoire.

Le roi qui était en réalité mon père. Et qui serait prochainement mon petit frère.

Étaient-ils encore en vie? M'en voulaient-ils de m'être éclipsé du château pour retrouver l'armée après m'avoir demandé d'accéder au trône? Ils souhaitaient réellement m'avoir à leurs côtés, mais j'étais certain que ce n'était pas par acte de bonté ou d'amour. Ils avaient besoin de moi pour être à la tête du pays, je n'étais qu'un simple outil à manipuler, une marionnette qui obéissait sagement si elle acceptait.

Je tournai la tête vers la fenêtre en fermant les yeux un instant. Je revoyais dans mon esprit les expressions stupéfaites de mes parents en apprenant ma réaction, alors qu'elle était parfaitement justifiable. Ils m'avaient écarté de la famille, m'avaient forcé à m'enrôler, me considéraient comme inutile simplement parce-qu'ils comptaient sur mon frère aîné, Tobias, pour diriger tranquillement le pays. J'avais incessamment été dans leur ombre, transparent aux yeux de tout le peuple, une âme errante qui se battait de toutes ses forces à coups de fusils alors que sa place était auprès de sa famille, au château. D'ailleurs, cette âme errante, je l'étais toujours. Alors pourquoi aurais-je accepté de prendre la place de mon frère défunt? Je n'étais pas hypocrite, ni stupide, mes parents étaient censés me connaître. Seulement, ils ne savaient rien de moi. Je n'étais pas du genre à sauter sur l'occasion contrairement à mon petit frère Benjamin, qui s’était fait une joie d’accepter. Je savais que je n'avais pas ma place au château et que leur proposition avait été faite à contrecœur.

J'avais parfaitement conscience que le rôle des cadets était d'assurer la protection du royaume en entrant dans l'armée. Mais en étant négligé par ses parents et en étant oublié de tous, c'était plus difficile. Mon frère aîné était autrefois leur plus grande fierté, puisqu'il avait été élevé dans d’excellentes conditions, sa sagesse et son intelligence lui permettant d’être apte à gouverner le royaume en cas de nécessité. Je ne leur avais servi à rien, et mon petit frère Benjamin non plus. Lui qui avait été condamné à s'occuper des finances pour le reste de ses jours, il ne pouvait trouver plus grand bonheur que celui d'être futur roi.

Je ris nerveusement à côté de la vitre.

Quelle ironie du sort. J'avais du mal à l'imaginer au trône lorsque mon père rendrait l'âme. Dans le fond, je ne supportais pas de voir Benjamin marié à Lucile, alors qu'elle avait trouvé le grand amour auprès de mon frère aîné avant son assassinat. Elle était la seule qui m'avait compris les rares fois où je m'étais trouvé au château, personne ne pouvait la remplacer ; elle reflétait la noblesse et l'élégance en toutes circonstances. Mon cœur n'avait pas supporté de la voir malheureuse, contrainte d'être reine auprès de mon petit frère. Je me souvenais du jour où j'avais dû refuser le trône, cela avait été une épreuve presque insurmontable.

Elle s'était présentée devant moi avec de grands yeux : un miroir dans lequel tout son être brillait. Elle tenait sa fille par la main. J'aurais pu l'épouser, mes sentiments amoureux m'ayant violemment poussé à le faire. Mais j'avais refusé après avoir porté sa fille dans mes bras, l'avoir reposée et être parti comme un voleur dénué d'affection. Un voleur qui s'était volé à lui-même le peu de joie de vivre qui lui restait en repartant au combat. C'était tout ce que j'étais.

J'ignorais si j'allais un jour trouver une femme aussi admirable que Lucile. De toute manière, j'étais bien trop préoccupé pour cela, et ce n’était pas ce dont je m’inquiétais le plus, car Benjamin avait très bien pris la relève après ses deux frères. Il faisait certainement un meilleur mari que moi.

Le train s'arrêta soudainement, me coupant court de mes pensées qui s'évadaient. J'étais exposé à la réalité bien trop cruelle, celle d'être devenu un être solitaire vidé de toute émotion et, partant, empli d'indifférence. Elle s'évapora lorsque mon attention fut portée sur une jeune femme qui venait de s'installer dans la rangée d'à côté. Elle regardait distraitement par la fenêtre, comme si prendre le train n'avait jamais fait partie de son organisation. Je ne savais aucunement pourquoi sa présence m'attirait, je ne la connaissais pas et la voyais seulement de dos. Peut-être était-ce sa robe légère et bleutée qui me retournait les sens ; elle lui allait comme un gant. Après maintes réflexions, je trouvais que cette fille avait tout l'air d'être une aristocrate. Combien en restait-il encore ? Je n'avais pas de réponse à cette question qui me travaillait intensément.

Quand elle jeta discrètement un coup d'œil derrière son épaule pour observer les alentours, mon cœur s'arrêta.

Son visage lumineux encadré de longues mèches brunes retenues en un ruban noué m'éblouissait. J'étais obnubilé par ses grands yeux d'un vert tranquille et doux, et la prestance naturelle qu'elle dégageait me clouait sur place. Pourquoi me faisait-elle cet effet qui me captivait ? J'étais avide de pouvoir la contempler un peu plus profondément, c'était plus fort que moi, car sans que je n'en susse la raison, elle me fascinait. J’aurais été capable de la regarder des années entières s'il l’avait fallu. Tout chez elle m'hypnotisait, chaque détail était important. Sur sa peau si fragile se dessinaient des traits d'une délicatesse qui allégeait son port de tête. Elle avait une figure d'ange. Jamais auparavant je ne m'étais attardé sur tous ces détails que l'aspect d'une femme pouvait apporter. Je me sentais comme imprégné de la finesse dans son port de tête, les horreurs de la guerre devenant presque supportables. Cette fille était la tendresse incarnée, une subtilité à laquelle je goûtais pendant ces quelques précieuses secondes où son merveilleux visage était tourné vers moi. Je ne pouvais dire que c'était seulement sa beauté qui m'attirait, mais aussi le brin espiègle qui la définissait dans toute sa splendeur. Une mine enfantine, presque innocente, tout le contraire de ce que j'avais pu rencontrer jusqu'à aujourd'hui. Même Lucile n'avait pas réussi à me déstabiliser de la sorte.

Simple, raffinée, discrète, là étaient des qualités généralement négligeables à première vue, pourtant, cette fille du train m'avait tapé dans l'œil. C'était ainsi. J'avais l'impression d'être face à un tableau qui m'attirait fortement sans que je pusse l'expliquer. J'étais comme plongé dans une autre réalité. Lorsque ses jolis yeux électrisants rencontrèrent les miens, le temps s'arrêta et le battement de ses cils marqua à jamais ma mémoire. J'eus le souffle coupé.

Elle poussa du pied un objet au sol que je ne pus identifier. Un son étrange résonnant dans le wagon m'arracha soudainement de ma contemplation. Une vibration que j'avais trop souvent entendue et que jamais je n'aurais voulu réentendre fit trembler le sol à mes pieds. Un compte à rebours avait été lancé, et j'étais persuadé qu'une bombe allait exploser. Je fus soudain pris d’un grand doute. Sans réfléchir, je me précipitai vers la fille sous les cris apeurés des voyageurs et, l’ayant enlacée, je nous éjectai par la fenêtre ; l’objet qu’elle avait poussé avait éveillé ma curiosité, peut-être était-elle l’autrice du prochain meurtre en masse qui allait se produire. Son air préoccupé n’avait pas joué en sa faveur. J’en avais déjà rencontré des centaines de femmes comme elle se faisant passer pour une aristocrate. Je devais l’interroger. Les flammes de l'explosion m'effleurèrent le dos lorsque le verre se brisa contre ma joue, et le wagon explosa pendant que nous tombions dans le vide. Le choc fut si violent que je sombrai à la minute où je rentrai en contact du sol, un voile noir glissant devant mes yeux écarquillés.

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