Chapitre 15

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Étendu sur mon lit, un bandage autour du front et du bras, je repensais à la soirée dernière passée avec Amicie. Elle m'avait aussitôt emmené jusqu'à ma chambre, m'avait déshabillé de ma lourde tenue de combat et m'avait ensuite soigné. Je me souvenais de son incroyable patience face à mes impertinents refus, ceux qui me poussaient à la protéger de mes blessures déplaisantes à la vue. En raison de mon manque de repos lors de mon voyage, je m'étais efforcé de gigoter dans mon lit pour la tenir à l’écart, mais elle m'avait sommé de me tenir tranquille et j'avais immédiatement obéi. Je n’avais aucunement souhaité qu’elle s’inquiétât, lui suggérant d’appeler une infirmière, mais j'avais vite retiré ces naïves paroles après avoir pris du recul sur la situation ; il avait été trop tard pour en appeler une, et nous n'en avions pas au château. Amicie avait donc, contre mon gré, pris soin de moi avant que j'eusse plongé dans un sommeil sans fin.

- Sire !

Baptiste venait d'ouvrir la porte avec le petit déjeuner sur un plateau, surpris.

- Amicie nous avait prévenu, mais j'ignorais que Sa Majesté était dans cet état !

- Ça va, grognai-je en m'asseyant difficilement.

- Que Sa Majesté ne bouge pas, m'intima-t-il en appuyant sur mon épaule. Je crains qu'elle ne doive rester ici encore un bon moment.

Je passai une main sur mon front douloureux, les dents serrées. Je n'avais pas besoin d'être pris en charge, encore moins par mon valet de chambre.

- Non. Je peux marcher, me dégourdir les jambes ne me fera pas de mal.

- Je ne peux pas laisser Sa Majesté seule... insista Baptiste en fermant la porte.

- Très bien, dis-je avec humeur. Demandons à celle qui m'a soigné d'en décider.

- Sa... Sa Majesté parle bien d'Amicie, la domestique ?

Je me massai les tempes tout en sortant les pieds du lit, agacé.

- Elle-même. Ainsi, elle me donnera son accord.

- Mais elle...

- C'est un ordre !

Baptiste sursauta, déposa le plateau repas et sortit immédiatement de la chambre. Au moins, j'avais été clair. J'inspirais longuement tout en reposant la tête contre l'oreiller, le cœur battant ; les frontières n'avaient pas été une partie de plaisir. Mes camarades m'avaient appelé pour me prévenir de l'invasion des Lombards qui n'allait bientôt plus être possible à calmer. Ils allaient arriver, tout détruire et me prendre tout ce qui me restait. Les bras tremblants, je tentais d'arrêter les images néfastes et cruelles qu'étaient mes souvenirs dans les tranchées, mais mon esprit s'embrouilla et je fus paralysé par la peur. Alors que je luttais contre mes monstrueuses pensées, la porte s'ouvrit à nouveau et une petite tête émergea du couloir.

- Votre Majesté ? lança Amicie en refermant la porte derrière elle.

Je contins mes spasmes, m'assis et laissai à nouveau mes pieds tomber au sol.

- Comment vous sentez-vous ? s'inquiéta-t-elle en déposant une cruche d'eau et un gant sur un meuble.

Mon regard terne, inexpressif et meurtri apporta une réponse à sa question, et elle l'aperçut immédiatement. Elle s'agenouilla face à moi et souleva mes mèches de cheveux pour observer mon bandeau tâché de sang, provoquant dans mon dos un long frisson qui atténua mon angoisse. Elle le déroula délicatement tout en observant ma cicatrice encore ouverte, les lèvres pincées.

- Je... j'imagine que je me sens mieux qu'hier, dis-je tout de même après m'être raclé la gorge.

Elle se leva, prit le gant gorgé d'eau et revint vers moi pour l'appliquer sur mon front.

- Mais vous êtes encore souffrant, fit-elle remarquer, peinée.

- Je préfère que vous décidiez de mon sort à la place de Baptiste.

Elle me lança un regard interrogateur, ce à quoi je m'empressai d'ajouter :

- S'il vous plaît.

Un sourire se dessina sur son visage tendre, et je pus y déceler de l'affection pendant quelques secondes. Elle enroula un bandage neuf sous mes cheveux, ses petites mains glaciales allant et venant autour de mon front. C'était terriblement étrange. Je ne m'étais jamais senti aussi bien auprès de quelqu'un, qui, réciproquement, se sentait bien à mes côtés. Cette amitié entre la jeune aristocrate et moi naissait peu à peu telle l’éclosion d’une rose au printemps apportant le renouveau ; je m’étais promis d’en devenir son jardinier afin de la protéger des intempéries.

- Eh bien... je suppose que vous pouvez sortir un peu. Mais pas de folies, finit-elle par déclarer sérieusement.

Je hochai la tête, soudain soulagé. Amicie reprit ses affaires, me salua gracieusement et avança jusqu'à la porte.

- On se revoit tout à l'heure.

- À tout à l'heure, soufflai-je en la regardant me sourire une dernière fois et disparaître dans le couloir.

* * *

Déstabilisé, les mains dans les poches, je me rendais à la salle à manger pour y retrouver mes grands-parents, qui ne s'étaient sans doute pas souciés de mon absence. Je reconnus sur leur visage en ouvrant la porte leur expression habituelle collée au visage. Tout en gardant la main sur la poignée, divaguant dans mes pensées, je me disais que finalement, c'était d'eux que je tenais mon renfermement sur moi-même et ma difficulté à exprimer mes sentiments.

- Peux-tu nous expliquer ce qui t'est passé par la tête ? s'exclama finalement mon grand-père en serrant sa canne avec colère.

- Ils avaient besoin de moi. Je suis désolé.

Ma grand-mère vint m'embrasser la joue ; elle était dans tous ses états.

- Heureuse que tu sois revenu.

- Ce n'est pas normal ! s'emporta mon aïeul. Tu es roi, désormais, tu ne peux plus te permettre de partir en risquant ta vie aux frontières !

- Mon but est de préserver mon pays, et ce n'est pas en restant au trône que je ferai avancer les choses ! rétorquai-je furieusement.

- Si, tu peux ! C’est depuis ce trône que tu dois commander les armées, et non pas agir sur le terrain !

Ma grand-mère s'écarta de moi avec dignité, l'air triste.

- Tu n'es plus colonel, me rappela-t-elle. Ne l'oublie pas.

- Je reste le roi, le dernier héritier ! m'emportai-je en appuyant mes mains contre la table. Vous ne pouvez me disputer comme si j'étais un enfant, cela revient au passé.

- Enfant ou pas, nous nous soucions de toi ! me contredit ma grand-mère, ses vieux membres tremblant sous l'impulsion.

- Oh-oh, comme c'est amusant ! Parlons-en !

Je m'humectai les lèvres en leur jetant un regard noir, ma blessure au front me brûlant atrocement.

- Jamais... vous ne m'avez accordé de l'attention, dis-je sèchement. La preuve, vous me connaissez à peine. Quand j'ai été envoyé dans ces endroits de barbares dès mon plus jeune âge, avez-vous réagi ? Pas le moins du monde ! hurlai-je, les traits du visage tirés par la fureur.

Mes grands-parents gardèrent le silence face à cette accusation afin de contenir leur honte. Je les sentais culpabiliser, alors j'allais me permettre de continuer.

- Votre n’aviez d’intérêt que pour Tobias, et… et même pour Benjamin, les deux petits-fils dont vous étiez les plus fiers ! Quand je revenais, que récoltais-je ? Des regards méfiants, des interrogations, des rumeurs à mon égard, et bien plus d'hostilité que jamais personne n'a eu le malheur de subir dans cette famille, articulai-je, le regard porté vers la table. Donc désormais, laissez-moi assumer mon rôle qui n'aurait jamais dû être mien, et concentrez-vous sur d'autres occupations plutôt que de vous acharner sur moi !

Sur ces mots, tremblant, je me redressai et me retournai. Ma grand-mère finit par se décider à déclarer doucement :

- Nous ne nous acharnons pas sur toi. Nous nous inquiétons, mais tu ne le vois pas ; tu ne vas pas bien, Alderic. Tu es trop obstiné pour recevoir de l'aide.

- De l'aide ? Quelle aide, hein ? lançai-je brusquement, les poings serrés.

- Nous n'avons certes pas été aussi présents que tu le souhaitais. Mais comme tu l'as dit si justement, cela revient au passé. Nous voyions un garçon qui grandissait dans une unité militaire et qui s'endurcissait pour faire ses preuves. Comment aurions-nous pu réagir ? Tu étais inaccessible, mon enfant.

Dérouté, le regard planté dans celui de ma grand-mère après une telle révélation de sa part, je mis un certain temps avant de revenir à la réalité.

- Par ailleurs, ce royaume doit être repris en main, déclara mon grand-père, la moustache frémissante. Ta grand-mère et moi avons invité des jeunes filles nobles venant des quatre coins du monde pour le mois prochain. Il est temps que tu penses au mariage. Et désormais, tu n’iras plus au combat tant que la guerre n'est pas déclarée. Tu ne peux désobéir.

- C-comment ? fis-je, ahuri. Faire venir des jeunes filles malgré tous ces massacres en France ?

- Tu es roi et tu te dois de remplir tes fonctions. Ton grand-père choisit pour toi ce qu'il y a de plus sage, me garantit ma grand-mère avec certitude.

- Jamais, vous m'entendez ? Jamais je ne me marierai contre ma volonté, et certainement pas avec une bête marionnette étrangère dont vous vous servirez malicieusement !

C'était une idée tellement saugrenue que, sur mes mots, je claquai la porte de la salle à manger pour m’avancer d'un pas vif dans le couloir, une main contre les lèvres. Ce que mes grands-parents me faisaient là était digne d'un coup bas. Étaient-ils aveugles à ce point pour ne pas voir la gravité de l'envahissement futur que prévoyaient les Lombards ? Je descendis les escaliers qui menaient au sous-sol pour trouver Amicie. Celle-ci raccommodait justement un chapeau, ses yeux d’ordinaire rieurs devenus soucieux, le dos droit et l'air agacé. Elle non plus ne semblait pas être d'humeur, aujourd'hui. Sans réfléchir, sous les yeux des domestiques, je m'approchai d'elle et me penchai légèrement.

- Votre Altesse ? dit-elle en se levant, son chapeau tombant au sol. Que faites-vous donc ici ?

Son regard scrutait attentivement l'état inconvenable dans lequel j'étais, puisque ma veste sombre et mes cheveux en bataille ne reflétaient pas l'image d'un roi magnifiquement vêtu et pomponné à longueur de journée.

- J'ai besoin de prendre l'air. Avec vous. Rejoignez-moi dehors, marmonnai-je.

Nos visages étaient très proches, et du sang s'écoulait de ma tempe. Désorientée, elle finit par hocher la tête près de ma joue, leva les yeux vers moi pour tenter d'y lire ma colère, puis effleura mon bras pour partir se changer.

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