2.3 Cassandra Douze ans

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État inconnu, An 3184

Six ans que je suis chez Gwendoline. La moitié de ma vie. Une Zêta de Maman est venue peu de temps après le cours qu'elle nous donna. La Suprême n'a plus jamais levé la main sur moi ou sur une de mes sœurs. J'ignore ce que Maman lui a dit. Toutefois, Gwendoline s'énerve et nous insulte, mais plus jamais elle ne frappe. La jeune Zêta s'assure que moi et mes deux sœurs, nous mangeons à notre faim et ayons tout ce que nous avons besoin.

Ma sœur Clara est arrivée il y a deux ans avec une autre fillette nommée Marie. L'an dernier, c'est la petite Alpha future Suprême qui nous a rejointes. Cette petite me soûle. Elle est encore dans les fleurs et les papillons. C'est un vrai bébé exaspérant. Aucune de nous ne l'apprécie. En plus, c'est la seule qui reçoit des visites de sa mère. Donc, on la déteste.

Les autres filles s'entendent bien. Moi et Célia, on tolère Clara, mais ce n'est pas le grand amour. Sophie est la chouchoute de tout le monde. Elle est si belle. On dirait vraiment un ange avec ses cheveux blonds toujours impeccablement coiffés même quand elle dort, ses lèvres fines et bien dessinés et son teint de porcelaine.

En plus, Sophie est très intelligente et sait parfaitement comment manipuler les gens pour obtenir ce qu'elle veut. C'est la seule qui arrive à obtenir des sucreries de la part de Suprême Gwendoline. On l'aime puisqu'elle les partage à chaque fois. Souvent, je trouve Sophie plus maligne que Marie, Déborah ou Gwendoline qui pourtant ont des potentiels supérieurs à elle. Je me pose des questions sur la validité des tests d'aptitudes.

Même si j'ai eu du mal au début, maintenant, je suis très bien mes cours ainsi que mes deux sœurs alors que nous savons n'être que des Gammas pour Célia et moi et une Epsilon pour Clara. Pourtant, nous apprenons nos leçons sans difficulté. Même le jeune reproducteur qui écoute parfois aux portes mémorise et comprend, ce qui est étrange pour une créature supposée si stupide.

Je me mets à discuter avec les Zêtas et je m'aperçois qu'elles sont bien plus instruites que je ne le pensais. Leurs potentiels sont minables, cependant, elles sont en mesure d'intégrer et d'effectuer de nombreuses choses. Je ne leur dis pas,mais je réalise que sans les Zêtas, les autres femmes auraient bien du mal à se nourrir, à se vêtir ou même à gérer leurs quotidiens.

Elles effectuent des tonnes de basses besognes, produisant fruits et légumes ou viande à la campagne, outils divers dans les usines. Elles réparent tout ce qu'on casse, nettoient ce qu'on salit et prennent soin de nos bébés. Je prends conscience du danger qui nous guette si elles venaient à se rendre compte qu'elles peuvent prendre le pouvoir du jour au lendemain, rien que par l'effet de leur nombre. J'en frissonne de peur. Heureusement, elles sont en majorité déprimées et trop épuisées par leurs malheurs quotidiens pour penser à se rebeller.

J'aime beaucoup discuter avec Édouard. Il est mon ami. Il est bien plus intelligent et gentil que Gwendoline ne nous le dit. Il veille sur nous toutes avec beaucoup de douceur. Nous sommes ses petites sœurs, et même si parfois, je suis jalouse quand il console Déborah qui pleure après sa maman, je suis très attachée à lui.

Je passe du temps en compagnie d'Edouard avec ou sans les autres filles. Il donne des moments privilégiés à chacune des filles. Nous avons notre jour privé où il doit passer un maximum de temps avec l'une de nous. Gwendoline ignore tout cela. Elle serait furieuse. Nous sommes solidaires et gardons notre secret. Le seul que nous partageons avec ce bébé de Déborah.

Gwendoline est une piètre instructrice. Ses longs et barbants monologues ne nous apprennent pas grand chose quant à la façon de diriger nos futurs États. Fort heureusement pour nous, elle est souvent en déplacement et Maman ou une autre Alpha, la Vice Suprême, nous font cours. La Vice Suprême est plutôt sévère et drôlement efficace. Mais comme Maman, elle est douée pour nous expliquer les choses.

Elle est très dure avec moi, Célia et Clara. J'ai vite compris qu'elle déteste Maman et se venge de ses querelles sur les filles de son ennemie. Elle est beaucoup plus douce avec Déborah et Sophie. Son exigence nous fournit un très grand nombre d'informations et peu à peu, nous devenons toutes érudites.

La Vice-Suprême est particulièrement instruite en médecine et en biologie. Elle nous donne de très précises indications et nous explique en détail les mécanismes de réparation des gènes ou de fonctionnement de la reproduction au sein de notre corps.

Elle nous fait toutes rire en disant que malgré que les femmes soient au pouvoir depuis mille ans, elles n'ont pas été fichues de trouver un moyen de supprimer les règles et leurs désagréments. Sans nous effrayer, nous apprenons combien ce sang versé mensuellement est important et nous assure de notre fécondité.

Maman ne l'aime pas. Elle la surnomme l'enquiquineuse qui met son nez partout. Je comprends que la Vice Suprême empêche Maman et Gwendoline de faire ce qu'elles veulent et contrecarre souvent leurs projets. Comme elle était Suprême avant l'arrivée de Gwendoline, elle sait beaucoup de choses et a une grande influence au conseil des Alphas. Maman et Gwendoline doivent faire attention à ne pas lui déplaire.

J'ai beau faire ma gentille et la couvrir de compliments, la femme n'est pas dupe et préfère la naïve Déborah ou l'adorable Sophie. Les deux filles profitent de la situation pour adoucir leurs quotidiens et nous ne pouvons pas leur en vouloir. Peut-être juste un peu envers Déborah qui nous fatigue avec ses incitations à la gentillesse et la bienveillance.

Les six filles les plus âgées ont fait un pacte. Les Zêtas nous haïssent en tant qu'Alphas. Elles sont potentiellement dangereuses et peuvent remettre notre rang en doute. Nous avons décidé que lorsque nous serons à la tête de nos États, nous créerons des centres d'éducation pour fillettes Zêtas où elles apprendront à nous vénérer. Maman est au courant de notre projet et nous donne des conseils.

Elle ne veut pas que nous parlions de notre projet à Gwendoline. J'ai l'impression qu'elles sont un peu fâchées. Doucement, à l'aide des suggestions de Maman et en réfléchissant du mieux de nos cerveaux d'enfants, nous écrivons un plan pour notre futur. Je suis la plus âgée alors c'est moi qui commencerai et ferai les premiers tests d'éducation.

En raison de la forte mortalité chez les Zêtas et aussi du coût de l'éducation d'un enfant, beaucoup de bébés déclarées Zêtas sont orphelines, soit parce que leurs mères sont décédées, soit parce qu'elles les ont abandonnées, pour ne pas nourrir une bouche inutile. Chaque État a donc un ou plusieurs orphelinats pour recueillir les petites filles. Il sera donc facile de détourner une partie de ces bébés pour leur apprendre à vénérer les Alphas.

Nous reprenons nos livres d'Histoire et nous écrivons davantage de texte sur les bienfaits des Alphas et sur l'amélioration du génome. À la manière de Gwendoline, nous rédigeons des chapitres glorifiant les femmes à la tête des États. Sophie est particulièrement douée pour trouver les bons mots et les bonnes tournures de phrases pour convaincre. Nous allons les endoctriner.

Maman nous suggère une idée excellente. Grâce aux tests de naissance, nous avons une idée des futures aptitudes sportives des bébés. Ainsi, nous pourrions choisir des fillettes à fort potentiel musculaire et en faire des soldats dévouées prêtes à nous protéger au péril de leurs vies. Notre plan est génial et rapidement réalisable.

Par téléphone, Maman confie à Célia et moi une autre mission. Clara est trop petite encore. Nous ne devons en parler à personne y compris notre bonne amie Sophie. Maman souhaite que dans nos orphelinats, nous formions également une autre sorte de soldats. Des filles qui s'infiltreraient dans tous les milieux pour protéger la vie. Elle se propose de nous fournir les professeurs nécessaires ainsi qu'un programme complet de cours.

Maman nous apprend qu'elle travaille depuis des années sur des vieux parchemins trouvés dans son État quand elle était enfant. Des méthode de combat incroyablement efficaces mises au point il y a plus de deux mille ans. Elle les étudie en secret et les peaufine et pense pouvoir les apprendre à nos futures protectrices. Toutes les trois acceptons la mission de Maman.

Il nous reste à savoir comment nous allons faire cela sans nous faire repérer par les autres Alphas. Elles ne comprennent pas la menace possible. Il faudrait leur faire peur, pour qu'elles croient les Alphas en danger. Nous réfléchissons à un moyen de convaincre les autres, y compris les chiffes molles comme Déborah. Il faudrait un événement particulièrement traumatisant.

Quand nous ne complotons pas, nous sommes en cours ou bien nous jouons dans le jardin. Notre jeu préféré reste le cache-cache. Parfois, nous obligeons les Zêtas ou les reproducteurs à jouer avec nous, quand Gwendoline est absente. Édouard est particulièrement doué pour nous retrouver. Il est aussi gamin que nous et devine nos intentions bonnes ou mauvaises dès que nous les pensons. Je l'adore.

Sophie aussi, je l'adore. Elle est vraiment chaque jour plus belle. Pour l'instant, c'est encore une fillette, mais bientôt, elle sera une jeune fille des plus attirantes. Je me perds parfois à la contempler, étrangement pensive par moment.

Il n'y a pas que Sophie que j'admire. Je me surprends à regarder les Zêtas quand elles font la lessive et ont le chemisier trempé et rendu transparent par l'eau. Leurs corps me font une drôle d'effet. J'ai l'impression de faire quelque chose de mal et je me mets à rougir sans raison si j'aperçois leurs poitrines.

Quelque chose cloche chez moi. Je regarde les filles comme Édouard le fait. Avec envie. Cela n'est pas normal. La nature est ainsi faite, je devrais fantasmer sur les pectoraux des mâles et non sur les douces courbes des femmes. Je n'ose en parler à personne. Je redoute mes seize ans et mon premier reproducteur avec qui je n'ai aucune envie de faire l'acte de procréation.

Je repense parfois à la drôle d'amitié entre Maman et Gwendoline. Même si Édouard ne m'en a jamais reparlé, je n'ai jamais cessé de m'interroger. Je me rappelle des gestes inhabituels, que l'enfant que j'étais ne releva pas. Des gestes que l'adolescente que je suis trouve suspects aujourd'hui. Des bruits que je pensais être du jeu et qui sont des sons d'actes charnels, maintenant que j'entends ceux de la chambre à coucher de Gwendoline. Tout cela me chamboule. Je dors mal la nuit et me tourne sans cesse dans mon lit.

Un jour, Édouard et moi, nous nous promenons. J'ai eu exceptionnellement le droit de sortir afin d'aller voir un chantier de destruction de vieux bâtiments. Ils ont été dynamités et les ouvrières enlèvent les débris avant de reconstruire. En déblayant, elles mettent au jour un vieux abri anti-atomique. Elles l'ouvrent et par curiosité, je demande à les accompagner à l'intérieur.

Je découvre alors une pièce avec du matériel de survie. Des documents attirent mon œil. Ce sont des documents de médecine. Des livres vieux de plus de mille ans qui ont été comme plastifiés. Je les feuillette avec précaution et m'aperçois qu'on y parle d'une méthode de médecine oubliée, favorisant la fertilité des femmes et permettant une fécondation sans acte charnel. Je ne sais pas pourquoi mais j'ai subitement l'impression que je dois récupérer ces documents. Avec l'aide d'Édouard, je récupère les deux cartons et les livres médicaux que je prétexte apporter en mains propres à la Suprême. J'ai pris aussi quelques objets sans importance pour donner le change à Gwendoline. Je tiens entre les mains une véritable découverte capitale et je veux la garder pour moi seule.

Une fois dans ma chambre, je planque les documents et fait jurer à Edouard un silence absolu. Mon ami me dit qu'il a compris mon mal. Il veut m'aider à mettre un mot sur mon trouble pendant que Sophie est absente, rentrée chez elle pour voir sa mère mourante. En se déshabillant en partie, il me fait reconnaître que ses abdos ne m'attirent pas et que le toucher ne me fait rien. Puis, je dois avouer que cela est le cas pour toute la gent masculine.

En riant, il me fait dire que les seins des Zêtas me troublent. J'ai envie de le gronder et en même temps, il a raison et j'ai tellement honte de moi et de mes penchants contre nature. Édouard me rassure. Pour lui, je n'ai pas de honte à avoir. On ne choisit pas nos attirances. Il m'avoue que lui-même fait parfois des choses interdites avec un reproducteur. Il faut juste veiller à rester discret et continuer à assurer notre devoir de procréation.

Édouard a raison. Je ne fais de mal à personne en étant attirée par les femmes. Je ne sais pas comment je vais faire pour supporter l'acte de procréation, cependant, j'ai le droit de prendre du plaisir avec une fille si je veux. Mon ami me taquine gentiment et nous bavardons gaiement.

Il m'avoue qu'au début de sa vie de reproducteur, il a songé à se suicider par désespoir. Je réalise combien les reproducteurs sont malheureux et frissonne de peur à l'idée de ne plus avoir mon ami à mes côtés. Édouard me conseille d'en parler à Maman. Il m'assure qu'elle souffre du même mal que moi et pourtant, elle a eu trois filles. Maintenant, qu'il m'en reparle, je pense qu'il a raison. Je dois parler à Maman.

Je redoute ce moment alors pour me donner du courage, je demande à Édouard de rester dormir avec moi cette nuit. J'ai besoin d'un câlin de grand frère pour faire fuir les cauchemars. Gwendoline est en déplacement, Sophie aussi et les autres personnes dorment. Personne n'en saura rien et ses bras fraternels me font tellement de bien. Je crois que je l'aime plus que Célia, mais d'un même amour fraternel.

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