Prologue - La fin d'une ère

5 minutes de lecture

 Les échos de l'ultime bataille résonnaient dans le palais de Sérasia. Le peuple avait, pour la majorité, rejoint les refuges souterrains au sein de la forteresse. Toutes ces personnes impuissantes ayant fui le fracas de la ville dans le but de rester en vie tout en comptant sur le pouvoir d'une poignée de guerriers pour les sauver... Idor les regardait depuis l'entrée de la vieille trappe de bois. La panique l'avait conduit à suivre le mouvement de foule qui, dès les premiers éclats annonciateurs d'une terrible guerre, s'était oppressée devant ce trou. Tous ici, avaient l'espoir fou que les murailles et les épais murs de la forteresse les garderaient des dangers extérieurs. Mais comment pouvait-on se penser en sécurité terré dans ce lieu qui, une fois clos, ne laisserait aucune échappatoire ? Dans une vague de lucidité, le vieil homme comprit. Sa place n'était pas ici, au milieu des centaines de regards larmoyants, des gémissements et des mains implorantes... Alors qu'un garde le sommait d'entrer dans la cache en menaçant de bientôt fermer la trappe, Idor s'empressa de se relever et de revenir sur ses pas. Il ne comptait pas combattre, il en aurait été incapable. Jamais il n'avait manié une arme ou quoi que ce soit s’en rapprochant, mais il ne pouvait pas rester sans rien faire. Il serait utile à sa manière, il le savait.

 Une seule chose le préoccupait désormais : remonter en haut de sa tour au milieu de ses vieux parchemins pour retrouver un texte très ancien. Face aux regards effrayés du peuple qui se cloîtrait de sa propre volonté dans le sol de la forteresse, il s'était souvenu de ce vieux manuscrit... Comment dans un moment pareil avait-il pu l'oublier ? Tous les signes étaient pourtant présents. En tant qu'archiviste des prophéties du palais de Sérasia, il lui était interdit d'oublier ce manuscrit qui annonçait la fin tragique de son monde, celui de milliers de personnes... Mais cette fin annonçait aussi un renouveau, lointain certes - lui ne le connaîtrait pas car il savait que sa dernière journée touchait à sa fin, comme celle de tous les citadins de Sérasia - mais, si l'on en croyait le vieux texte, bel et bien présent. Ce parchemin était le dernier vestige des paroles d'un homme sage dont le nom avait disparu avec le temps : les derniers mots d'un prophète. Aujourd'hui, ces personnes de grande renommée n'existaient plus. Jugés trop puissants, ils avaient été éradiqués afin que chaque pays puisse être mis sur un pied d'égalité...

 Arrivé au sommet de la tour, devant la salle où les reliques prophétiques étaient entreposées, Idor sortit de sa poche une grosse clef de métal terne. Il la glissa dans le trou de la serrure et la fit tourner. Au second déclic, la porte s'ouvrit dans un grincement vers l'intérieur, laissant apparaître des étagères et des tables poussiéreuses surchargées de parchemins et de livres. La lumière filtrait au travers d'une petite fenêtre, éclairant de fines particules qui virevoltaient dans l'air. L'ambiance de cette pièce avait toujours apaisé Idor. Il contempla ce désordre si familier, les papiers en peau, usés par les siècles passés et écrits dans des langues depuis longtemps oubliées, que lui, l'archiviste, s'appliquait à traduire et à classer depuis des années. Les chandelles, disposées un peu partout, étaient pour la plupart presque entièrement fondues. Personne n'avait pris la peine de les changer depuis longtemps. Dans un soupir, Idor s'approcha de la seule étagère ordonnée de la pièce. Il prit un gros grimoire à la couverture rouge et or, en bien meilleur état que les autres ici présents. C'était un de ceux où il s'était appliqué à retranscire soigneusement les prophéties qu'il avait réussi à traduire au cours de sa carrière. Ce livre avait une fonction de premier ordre puisque n'y étaient copiées que les prédictions énonçant la destinée du royaume de Sérasia ou du monde, celles d'une importance capitale.

 Idor fit défiler les premières pages, il connaissait ce livre par cœur. Arrivé au bon endroit, il relut une énième fois les paroles traduites d'un homme depuis longtemps disparu :

Quand la foule effrayée sera cachée

Au plus profond de sa terre

Et que combattront les derniers guerriers,

La Lumière vivra déconfiture.

Tel le Feu, l'Ombre détruira tout

Dans un chaos de fin du monde,

Présage de pauvreté et de misère,

Les âges sombres se présenteront à nous.

Telle l'herbe qui renaît des cendres,

L'enfant naîtra de l'Arbre,

Âme rattachée à deux terres,

Qui fera l'espoir renaître.

 Idor se pencha sur ce texte qu'il avait découvert deux ans plus tôt. La foule effrayée sera cachée au plus profond de sa terre décrivait parfaitement les habitants de Sérasia cherchant vainement à se protéger en se réfugiant dans les souterrains aménagés du château. Les derniers guerriers, les dénommés Héros représentaient les suprêmes combattants d'élite, environ une centaine, lâchés contre l'Ombre nommée Scur, une entité maléfique parvenue à détruire le faible équilibre du monde. Scur, le semeur de ténèbres, un être - disait-on - descendu des Dieux Anciens. Une centaine de Héros, aussi forts soient-ils, n'avait aucune chance face à des légions de monstres et de démons. Ils ne feraient pas le poids. Les échos de la guerre n'étaient autre que leur dernière tentative pour repousser l'échéance de la fin, leur dernier soupir.

 Idor, convaincu que le moment de l'accomplissement de cette prophétie était arrivé, arracha sans aucune cérémonie la page du gros livre et détala vers la volière située sur le rempart nord de la forteresse. Il ne prit pas même la peine de refermer la porte des archives derrière lui. Durant sa course, le tohu-bohu d'un affrontement effroyable se rapprochait inexorablement. Les bruits sourds commençaient à faire trembler les murs, créant par endroits de fines lézardes serpentant jusqu'au plafond et laissant échapper de petites volutes de poussière. Il pressait le pas, ignorant ses douleurs articulaires dues à son âge avancé, son temps ici était compté, il en était conscient. Parvenu à la volière, il attrapa une des colombes blanches au bout des ailes bleuté. Ces volatiles étaient caractéristiques du royaume de Sérasia, ils ne vivaient que dans les alentours et étaient toujours capables de trouver leur destinataire. Après avoir griffonné à la va vite quelques mots au dos de la page prophétique et sorti une petite cordelette de sa poche, Idor attacha soigneusement le papier à la patte gauche de l'animal qui la tendait obligeamment. L'archiviste fixa ensuite les beaux yeux dorés de l’oiseau en lui disant simplement :

  • Je t'en supplie, mène cette lettre au Gardien de la Forêt de la Vie. Donne la à Afarel.

 À la mention d'Afarel, la petite colombe sembla acquiescer et, dans un bruissement d'ailes, prit son envol pour accomplir sa mission. Idor sortit alors du petit bâtiment pour se re trouver sur l'un des remparts intérieurs de la grande ville fortifiée. Il contempla une dernière fois les bâtisses et les échoppes, ces lieux où il avait passé tant de jours paisibles. Puis, dans un soupir de résignation, il s'assit par terre, s'adossant à la pierre et attendit que le fracas grandissant de la guerre s'achemine jusqu'à lui, pour que l'ombre de Scur vienne tout détruire. Sa dernière pensée fut adressée à la colombe, il espérait de tout son cœur qu'elle arriverait à destination.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Lisounette ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0