Samedi 29 Mai
« TUUT TUUT TUUT »
Putain de réveil ! Oh fait chier je suis mort, j’ai trop bu hier ! Nico se frotte les yeux, il essaie de s’étendre dans son clic-clac, mais son bras heurte quelque chose, ou plus précisément, quelqu’un. Il tourne la tête et voit le visage endormi de Delphine. Putain, mais on a dormi ensemble ?
D’un coup la nausée le prend, il se lève vite et court aux toilettes, à peine arrivé qu’il vide déjà son estomac. Mélangé à cette odeur désagréable que nous connaissons tous, il perçoit une forte odeur de menthe. Get 27… Certainement a-t-il un peu abusé de cet alcool sucré au goût mentholé, mais pour le moment, il ne se souvient de rien. Une fois cette étape désagréable passée, il se rince abondamment la bouche et retourne dans le salon où dort encore Delphine.
Elle ne s’est pas réveillée, tant mieux ! Mais qu’est-ce qu’on a fait hier ?
Il se souvient être allé au restaurant avec Delphine. En fouillant dans son portefeuille, il trouve une addition :
_ Deux menus : 70 euros
_ Deux apéritifs : 22 euros
_ Une bouteille de champagne : 120 euros
_ Une bouteille de “get 27“ : 90 euros
_ Deux cafés : 4 euros
_ Deux digestifs : OFFERT
_ Total : 306 euros
Un ticket de carte bleue d’un montant de 320 euros accompagne cette note.
Oh putain, j’ai abusé sur l’alcool ! Merde j’espère pas avoir fait chier Delphine ! Mais putain je me rappelle de rien ! Qu’est-ce qu’elle fait dans mon lit ? On a fait l’amour ? Me souvient plus de rien… Six heures quarante-cinq ! Déjà ? Je peux pas aller bosser comme ça !
« Allô Benji, je te réveille ?
—Bien sûr que tu me réveilles, t’as vu l’heure ? répond Benjamin d’une voix endormie.
—Je suis désolé, mais j’ai un énorme service à te demander, je me sens pas bien du tout, j’ai trop bu hier soir, tu pourrais échanger ton planning avec moi ? Tu prends mon ouverture et je fais ta fermeture ?
—Putain tu fais chier… Laisse-moi deux secondes que j’émerge un peu…
—Je suis vraiment désolé…
—Ouais ça marche, mais tu fais chier, la prochaine fois préviens-moi la veille putain !
—Je suis vraiment désolé ! Merci en tout cas ! Je suis vraiment pas bien, j’ai vomi tout à l’heure et je sens que ça risque de revenir, je vais prendre un médoc et me reposer un peu avant de venir ! Merci encore !
—Ouais, de rien... À tout… »
C’est bon, j’ai plus qu’à repousser le réveil de quatre heures… En espérant que ça aille mieux après…
« T’es déjà réveillé ? s’étonne Delphine, Nico se retourne brusquement et fixe le visage de celle-ci, elle a toujours les yeux fermés.
—Tu dors pas ?
—Nan, et toi non plus apparemment. Pourquoi t’es déjà debout ?
—Je devais aller bosser, mais je me sens pas bien, j’ai changé mon planning avec Benjamin.
—C’est cool ! Du coup tu peux te recoucher ! tout en gardant les yeux clos, elle tend les bras ouverts vers Nico qui se blottit contre elle.
—Je crois que j’ai trop bu hier…
—Oui je te confirme, t’as trop bu…
—J’ai pas fait de bêtises au moins ?
—Non ça va, juste à la fin tu voulais recommander une bouteille de get, mais les serveurs ont refusé, du coup t’as commencé à râler un peu et pour te calmer, ils nous ont offert un digestif. Enfin, ils t’ont offert deux digestifs puisque tu as bu le mien…
—Sérieux j’ai fait ça ? Putain je suis désolé…
—Nan c’est rien, c’était pas méchant, t’avais juste un peu trop bu…
—Putain je sais même pas où je suis garé…
—Moi je sais, t’es garé devant le resto…
—Devant le resto ? J’ai pas pris ma voiture pour rentrer ?
—T’as vu dans l’état que t’étais ? J’allais pas te laisser conduire ! Non c’est moi qui t’ai ramené…
—Et ça va j’ai pas été vulgaire ?
—Non t’étais drôle, enfin au début, c’est vrai qu’après j’arrivais plus trop à te suivre, mais t’as pas été lourd, ni incorrect…
—Bon ça me rassure un peu… Mais… On a fait quelque chose en rentrant ?
—Ouais, toi tu t’es couché de suite, moi j’ai pris une douche et t’ai rejoint, tu dormais déjà comme un bébé, enfin, façon de parler, car je ne pense pas que les bébés ronflent autant. Maintenant si tu parles de sexe, même si t’avais voulu, t’aurais rien pu faire…
—Oh putain je suis désolé…
—Nan t’excuses pas. Elle se rapproche de lui et dépose délicatement un baiser sur ses lèvres. Tu commences à quelle heure du coup ?
—Onze heures trente… »
Ils sont si fatigués que ni l’un ni l’autre n’a envie de bouger. Ils restent là, enlacés dans les bras de l’autre. Les yeux de Nico parcourent tout le visage de Delphine. Il en contemple chaque recoin : ses sourcils, ses cils, son nez avec ses petites narines, son lobe d’oreille. Puis, il attarde un long moment son regard sur ses lèvres. Une envie folle de l’embrasser le prend. À l’instant où elle ouvre les yeux, il plonge son regard dans le sien. Il y perçoit une certaine concupiscence dans cet échange et face à elle, il se sent tel Ulysse confronté aux chants des sirènes. Tout l’attire, il essaie de lutter contre ça, mais l’attraction est trop forte. Sans s’en rendre compte, sa main est déjà en train d’effleurer le bras et l’épaule de cette créature mi-femme mi-poisson ! Son regard perdu dans le sien, il sent le désir monter en lui, un désir de plus en plus fort, il en devient presque oppressant. À cet instant, Kate est loin de ses songes. Tout est loin et plus rien n’a d’importance. Seul ce chant hypnotique et perceptible uniquement par lui arrive à s’infiltrer dans les dédales de ses pensées. Il finit par se laisser entraîner par cette mystérieuse mélodie, rapproche ses lèvres de celles de Delphine et un long et tendre baiser vient de commencer… Ce baiser donne naissance à d’autres préliminaires et ce qui devait arriver, arrive, pour la seconde fois.
Cette fois-ci n’est en rien comme la première fois, il est détendu et le fantôme de Kate ne le hante pas. Il ne pense à rien et se laisse guider par son corps. Seulement son corps et non son esprit. Tout se fait naturellement et sans réfléchir ! Il trouve cela extraordinaire et se sent merveilleusement bien.
D’un coup, il se revoit enfant ; lorsque l’été il s’allongeait dans l’herbe verte à l’ombre d’un arbre dont il ignorait le nom et qu’il regardait simplement ces nuages blancs aux formes étranges qui se faisaient et défaisaient, se déplaçant dans l’immensité de ce ciel bleu au gré du vent. Ce même vent agréable qui lui caressait le visage et son corps à moitié nu dans la pelouse. Les yeux fermés, il pouvait imaginer que c’était les mains de sa mère qui parcouraient sa peau. Il pouvait rester ainsi des heures et parfois même, il s’endormait ainsi cajolé par cette mère invisible qui ne cessait jamais de le dorloter. Il se sentait bien dans cette tranquillité de béatitude. À cette époque rien n’avait d’importance et inconsciemment il avait trouvé l’amour maternel dont il avait besoin chez “Dame nature “ le temps d’un après-midi estival…
Il en avait presque oublié ces petits moments de bonheur éphémères qui le réconfortaient tant étant enfant. Aujourd’hui il s’en souvient, cet instant passé avec Delphine lui a rappelé ce bien-être, il ne s’agit plus de son imagination de petit garçon en manque d’affection, mais bel et bien de la réalité d’un jeune homme. Et cette fois-ci il ne se pose pas la question, il connaît déjà la réponse, il a fait l’amour.
« Tu devrais te préparer, faut encore qu’on aille récupérer ta voiture.
—J’ai pas envie de bouger, je suis bien là contre toi.
—Moi aussi je suis bien… »
Les deux amants restent ainsi de longues minutes passantes, jusqu’à ce que Delphine se lève en direction de la salle de bain. Du salon, Nico entend le pommeau de douche couler. Il se lève lentement, enfile les premiers vêtements qui lui tombent sous la main, puis descend à la boulangerie qui se trouve en bas de chez lui. Il remonte avec des croissants, des pains au chocolat, une baguette de pain et une brique de jus d’orange. Il allume la cafetière et met du lait à chauffer. Il nettoie la table basse et y dépose un bol, du chocolat en poudre, du sucre en morceaux, du beurre ainsi que ses achats à la boulangerie. Il n’entend plus l’eau couler depuis quelques instants, elle ne devrait plus tarder à sortir. Il va chercher la casserole de lait chaud et la place sur la table basse. Lorsqu’elle sort de la salle de bain, surprise, elle s’immobilise un moment en voyant les préparatifs.
« Je sais pas ce que tu aimes au petit déjeuner, alors j’ai pris un peu de tout.
—Mais fallait pas ! C’est trop sympa ! Merci !
—Alors tu veux quoi ? Chocolat ou café ?
—Café au lait s’il te plaît.
—Ah oui, J’avais omis cette option, mais c’est possible, pas de souci. »
Il prépare donc la boisson de Delphine et se fait un simple expresso pour lui. Pendant ce temps, Delphine prépare des tartines, sur le coup elle ne réalise pas de suite que Nico ne touche à rien.
« Mais tu manges pas ?
—Non, je déjeune jamais le matin, et de toute façon, pas sûr que mon estomac accepte quoi que ce soit…
—Donc tu as préparé tout ça juste pour moi ? C’est trop gentil ! Mais t’as vu trop grand là ! Je vais jamais pouvoir manger tout ça !
—Je savais pas ce qui te ferait plaisir, là au moins, j’étais sûr qu’il y aurait un truc que t’aimerais.
—Ah oui là c’est sûr, tu ne pouvais pas te louper !
—Bon, je te laisse finir, je vais me préparer.
—OK. »
Pendant que Nico prend sa douche à son tour, Delphine débarrasse la table et fait la vaisselle. Une fois prêt, Delphine dépose Nico à sa voiture. En sortant du véhicule Nico lui demande :
« On se voit ce soir ?
—Oui, mais chez moi alors, je te ferais un bon petit dîner pour te remercier !
—D’accord on fait comme ça, dès que je finis je te rejoins, mais prends ton temps, je suis de fermeture du coup ce soir.
—Oui je sais, j’ai pas oublié, à tout à l’heure, travaille bien ! »
Avant de partir, Nico s’approche de Delphine et l’embrasse tendrement en lui caressant la joue de sa main droite.
Lorsque Nico arrive au travail, tout le monde est déjà là, y compris Dao qui discute à côté du comptoir en compagnie de Steve. En voyant Nico, elle s’approche rapidement vers lui, souriante et d’un pas chaloupé.
« Banh Skôm ! J’ai un service à te demander !
—Oui quoi ? répond-il d’un ton nonchalant
— Normalement Steve devait être en formation avec Ben cet après-midi, mais comme vous avez échangé vos plannings, il se retrouve avec toi ! Et vu qu’on fait les mêmes horaires, ça te dérange pas s’il reste avec moi ?
—C’est quoi ça, une nouvelle histoire d’amour qui commence ?
—Non pas du tout, je l’aime bien c’est tout ! Il est sympa !
—Ouais et en plus il est mignon c’est ça ?
—Bon alors tu veux bien ou pas ?
—Ouais c’est bon, reste avec lui si tu veux !
—Merci ! » S’écrie-t-elle en lui sautant au cou pour lui déposer un baiser sur la joue. Puis, sans attendre une seconde de plus, elle tourne les talons et court annoncer la bonne nouvelle à Steve.
« Alors ta soirée ? Nico reconnaît la voix de Benjamin.
—Tu vas bien ? Putain désolé pour ce matin et merci encore !
—Non c’est rien, en plus ça m’arrange, j’ai un resto de prévu ce soir, comme ça, je vais pouvoir me préparer tranquillement sans me presser, mais c’est vrai que j’aurais préféré que tu me préviennes la veille quand même ! Mais du coup, t’as fait quoi hier soir ?
—J’ai abusé avec l’alcool ! J’étais vraiment pas bien au réveil, la première chose que j’ai faite en me réveillant, c’est vomir ! En plus je me souviens quasi pas de la soirée !
—Mais t’as bu tout seul chez toi ?
—En fait, je suis allé au resto avec Delphine…
—Delphine ? Tu l’as revue ? Et alors ?
—En fait, comme je t’ai dit, je me souviens de rien, mais elle m’a dit avoir passé une bonne soirée ce matin.
—Ce matin ? Vous avez dormi ensemble ?
—Heu, ouais.
—Et… ?
—Et quoi ?
—Et vous l’avez fait ?
—Le répète pas à tout le monde, mais oui on l’a fait ce matin, juste après t’avoir téléphoné !
—Ah nous y voilà ! T’étais pas malade en fait ! Tu voulais juste un peu plus de temps pour elle et toi !
—Non sérieux, j’étais vraiment malade, c’était même pas prémédité ce qu’on a fait ! D’ailleurs quand je t’ai téléphoné, elle dormait encore !
—Ça va je te taquine, ne sois pas sur la défensive ! Alors ? Vous êtes en couple ?
—En couple ? Merde j’y avais pas pensé, on est un couple ? Je sais pas, elle ne m’a rien dit ! Je sais pas en fait…
—Vous vous revoyez quand ?
—Ce soir, elle m’a invitée à manger chez elle.
—Et bien pour moi, ça ressemble à un couple. Elle va peut-être te sortir Kate de la tête !
—Kate… Merde Kate ! J’ai même pas pensé à elle ! C’est pas possible ! Je n’ai quand même pas pu remplacer mon amour pour Kate par mes sentiments pour Delphine aussi rapidement !? Non c’est impossible, je suis sûr que j’aime toujours Kate, je le sais ! J’y ai même pas pensé…
—Ah !! Voilà une bonne nouvelle ! Il fallait juste que tu rencontres une fille pour l’oublier et tourner la page !
—J’ai pas dit que je l’avais oubliée, je n’ai juste pas pensé à elle ce matin, mais j’ai toujours des sentiments pour elle, c’est la femme de ma vie.
—Oh non tu recommences ! Bon c’est pas grave, je suis sûr que si ta relation avec Delphine continue, tu l’oublieras ! C’est elle la fille qui passe devant la fenêtre de ton cachot, à toi de trouver la clef et d’ouvrir la porte. En attendant, au boulot ! »
Oublier Kate ? Impossible, je l’aime trop fort depuis si longtemps, je ne pourrai jamais l’oublier !
Très vite, Nico ne pense plus à Kate ni à Delphine, il est trop occupé à observer Dao et Steve. À plusieurs reprises, il ne peut s’empêcher de les rappeler à l’ordre en leur signalant qu’ils sont là pour travailler et non pour rigoler. Bien que ces petites remontrances ne perturbent pas Dao, qui lui répond systématiquement avec un grand sourire « OUI CHEF », cela agace Steve. Dao essaie de lui expliquer que Nico ne le fait pas méchamment, mais le nouveau serveur n’apprécie pas trop de recevoir des réflexions d’un autre “simple “ serveur, après tout il n’est pas responsable, il n’a donc rien à dire.
Dans le courant de l’après-midi, alors que Benjamin a déjà terminé son service, Dao vient trouver Nico.
« Banh Skôm j’ai un service à te demander !
—Tu veux quoi encore ? répond-il assez rudement.
—Y’a Samir dans mon rang, tu peux prendre sa commande ? J’ai pas envie de lui parler !
—Pourquoi tu demandes pas à ton nouveau petit copain ?
—Arrête un peu ! Je sais pas ce que t’as aujourd’hui, mais tu ne m’as pas une seule fois bien parlé de la journée !
—Ha, parce que tu m’avais remarqué ?
—Hé, ho ! À quoi tu joues ? Tu me fais une crise de jalousie ? T’es amoureux de moi maintenant ? Y’a rien avec Steve ! Bon alors t’y vas ou pas ?
—Ouais c’est bon j’y vais ! » Nico répond sur un ton agacé.
Dao, un peu irritée par le comportement étrangement froid de Nico à son égard, ne dit plus un mot et retourne vers Steve. Moi amoureux d’elle ? Elle n’a vraiment rien compris ! Je l’aime pas ce Steve c’est tout ! Et je vois pas ce qu’elle lui trouve ! D’ailleurs, elle n’était pas avec Samir la semaine dernière ? Je me demande ce qu’il s’est passé entre eux, c’est vrai que j’ai même pas téléphoné à Dao cette semaine ! Elle non plus ne m’a pas appelé… Nico va donc prendre la commande de Samir, en se dirigeant vers sa table, il s’aperçoit que Doéna accompagne ce dernier.
« Salut Nico, tu vas bien ? Alors ? Benjamin m’a dit que tu avais eu une soirée un peu mouvementée hier soir ? lance Doéna avec un grand sourire aux lèvres.
—Ouais c’est clair, j’ai trop bu hier soir, j’étais vraiment pas bien.
—Mais tu étais avec qui ?
—Avec des amis du lycée… il ment, car il ne souhaite pas parler de Delphine pour le moment. Bien sûr, il se doute que Benjamin lui en a déjà soufflé mot, mais là, il y a Samir, et Samir n’a pas besoin de connaître sa vie privée. Alors que voulez-vous boire ?
—Moi je vais prendre un Ice Tea et Doéna un Coca Light.
—Ice Tea Coke light, OK ça marche »
Depuis quand ils prennent leurs pauses ensemble eux deux ? Je savais même pas qu’ils se connaissaient ! Remarque, tout le monde connaît tout le monde ici ! En déposant les consommations, Nico est de nouveau surpris de constater que c’est Samir qui règle la note, Doéna n’est pas du genre à se faire inviter en général. Il suppose que Doéna a dû rendre un service à Samir et que c’est sa façon de la remercier. Il est assez fréquent de faire des “gestes “ entre employés du centre commercial. Du coup, chacun essaie de renvoyer la politesse comme il le peut. Selon où l’on travaille, cela peut se faire de différentes manières, les coiffeuses offriront un petit service en plus, les vendeuses en prêt-à-porter feront une réduction, les employés de magasin de téléphonie changeront ou remplaceront un mobile défectueux sans poser de question et les serveurs offriront des cafés. Et lorsqu’un employé ne peut rien faire sur le moment, il offre tout simplement un verre en guise de remerciement, c’est certainement ce qui a dû se passer pour eux.
Plus tard dans la journée, alors que la cadence de travail s’est grandement réduite, Nico se retrouve à côté de Steve attendant que des clients prennent place dans leurs rangs respectifs. Après un très long silence, Nico se dit qu’il devrait faire un effort vis-à-vis du nouveau serveur qu’il avait jugé et condamné sans même connaître. Il profite donc du passage d’une ravissante jeune femme dans l’allée pour donner un petit coup de coude à Steve afin d’attirer son attention.
« Regarde celle-là comme elle est bien ! Franchement elle est superbe ! Steve cherche un instant.
—Laquelle ?
—Juste là devant, avec son petit débardeur et ses gros seins !
—L’arabe ? demande Steve sur un ton très étonné. Nico reste un peu surpris de la question de Steve, bien sûr qu’il fait allusion à cette fille ! Il n’y a pas d’autre fille attrayante dans le secteur.
—Ouais elle ! Elle est splendide !
—Je regarde pas les Arabes. Lance-t-il sèchement.
—Ah ! Raciste en plus d’être con ? Et les noires ?
—Non plus !
—Ah OK ! Oui c’est ça, raciste, mais apparemment, les Asiates ça passe ! Je savais pas que Dao aimait ce genre de personne... Je me demande ce qu’il penserait s’il savait que Dao a flirté avec Samir ? Eh bien on risque pas d’être ami toi et moi en tout cas… Moi je regarde toutes les belles femmes ! »
Nico a à peine fini sa phrase que Steve s’éloigne d’un pas vif, comme pour signifier à son camarade que la conversation est terminée. De toute façon, Nico n’a plus rien à ajouter.
Cette fin de journée paraît très longue à Nico, plus les minutes passent et plus l’activité diminue, il se retrouve seul avec Dao à qui il ne parle plus, sans vraiment comprendre comment il en est arrivé là, et Steve, avec qui il ne s’entend pas et qui passe son temps collé à Dao, à lui raconter des choses visiblement très drôles puisque celle-ci ne fait que rire. De ce fait, il réfléchit beaucoup.
Delphine, je la revois tout à l’heure. C’est ma petite copine ? Je sais pas… Mais je l’aime ! Enfin, je crois… oui je l’aime ! C’est différent de ce que je ressens pour Kate, mais c’est de l’amour quand même ! Kate… je ne lui ai toujours pas parlé de Delphine… Pourtant, si ça devient sérieux entre elle et moi, faudra bien que je lui en parle… Comment elle va le prendre ? Oh, elle sera sans doute contente pour moi ! Mais au fond d’elle, est-ce qu’elle me dira vraiment ce qu’elle ressent ? Bon, pour le moment je ne lui en parle pas. Tant que je sais pas vraiment ce qu’il y a entre Delphine et moi, j’en parle pas. Pourtant, j’ai quand même fait l’amour pour la première fois et elle devrait le savoir. Remarque, non, elle ne me raconte pas elle non plus, je ne suis pas obligé de lui dire… Mais j’ai pas envie qu’elle l’apprenne par quelqu’un d’autre, c’est à moi de lui dire ! Mais comment lui dire ? Et quand lui dire ? Je vais pas lui dire par téléphone ! J’aimerais bien savoir où j’en suis réellement avec Delphine… On a fait l’amour deux fois et je la revois ce soir. Ça fait de nous un couple ou un plan cul ? J’ai pas envie d’un plan cul, ça me ressemble pas ! Et puis elle ne peut pas être un plan cul puisque je suis tombé amoureux d’elle ! Oui, mais elle ? Est-ce qu’elle m’aime ? Putain, en fait je sais même pas si elle m’aime !? Comment elle voit notre relation ? J’en saurai peut-être plus ce soir ?…
Enfin l’heure de partir arrive. Petit déplaisir pour Nico : il a fait un trou de caisse, chose qui ne lui arrive que très rarement, mais bon, ce n’est pas grave, seulement dix euros. Il peut facilement combler ce trou avec les pourboires. Lorsque Dao s’en va, toujours accompagnée de son garde du corps, elle ne dit pas au revoir à Nico comme habituellement en lui faisant la bise, mais elle se contente de lui lancer un “ciao “ très informel le dos tourné. Nico comprend qu’il l’a contrariée, c’est la première fois que leurs rapports sont si austères. Il n’aime pas ça, il ne souhaite pas perdre sa “Nöng Sâo “ ! Pour le moment, il ne peut rien faire, enfin, il serait plus juste de dire qu’il ne veut rien faire, pas tant que son “siamois “ sera collé à elle. Il préfère attendre qu’ils soient seuls tous les deux pour en discuter ! Peut-être devra-t-il provoquer cet instant, car il vient de se souvenir qu’il ne la reverra pas avant vendredi prochain…
« Allô Delphine ? Oui je viens de finir, je rentre prendre une douche vite fait et te rejoins, disons dans quarante-cinq minutes ? OK ça marche, à toute de suite ! »
Delphine finit tout juste les préparatifs lorsque Nico arrive.
« Je suis désolé, mais j’arrive les mains vides, j’ai même pas pensé à apporter une bouteille de vin !
—Ouais comme la semaine dernière, je commence à avoir l’habitude ! Et avec tout ce que tu as bu hier soir, t’as encore envie de boire ? elle s’approche de lui et l’embrasse.
—On sait jamais, la soif vient en buvant ! répond-il ironiquement.
—T’en fais pas, j’ai du rosé et du blanc au frais. Bon, j’espère que tu vas aimer ce que je t’ai préparé !
—Tu m’as fait quoi de bon ?
—Alors, en entrée, petit cocktail d’avocat crevette avec de petits toasts de saumon, et en plat de résistance, daurades entières au four accompagnées de riz et de petites pommes de terres. Pour le dessert j’ai vu simple, j’ai prévu une petite salade de fraises !
—Eh bien ! Tout ça pour moi ! Ça va me changer des pâtes de la semaine dernière ! Tu me gâtes là !
—Après ce que tu as fait pour moi ce matin, je pouvais bien faire ça pour toi !
—Tu parles du câlin ou du petit déjeuner ?
—T’es con ! Je parle du petit déjeuner, même si le câlin était bien aussi !
—Tu sais, j’ai pas fait grand-chose, juste acheté deux croissants et une baguette !
—Oui, mais c’est l’intention qui compte ! Par contre, j’aurai besoin de toi pour le poisson, je sais pas le préparer… D’habitude, j’achète toujours des filets, mais je me suis dit que le poisson entier devait être meilleur et que comme tu es serveur, tu dois certainement savoir le préparer ! Je me trompe ?
—Oui t’as de la chance, je sais le préparer, mais ça fait tellement longtemps que je l’ai pas fait, j’espère ne pas avoir oublié ! »
Les deux tourtereaux s’installent donc à table et pendant le dîner, Delphine lui raconte plus en détail la soirée de la veille. Nico en est amusé et gêné à la fois. Ce n’est pas vraiment son genre de boire à outrance lors d’un restaurant, encore moins en tête à tête avec une fille. En général, lorsqu’il se retrouve dans cet état, c’est à la suite d'une soirée dans un pub ou dans une boîte de nuit, jamais en sortant d’un restaurant !
Le rapprochement trop rapide de Dao et Steve l’avait vraiment contrarié, et ce même s’il refuse de le reconnaître ! Mais de tout ça, il n’en parle pas à Delphine ! D’ailleurs ni l’un ni l’autre ne parlent de leur vie privée. Ils parlent de tout et de rien, de leurs envies, de leurs rêves, de leurs goûts musicaux, sujet sur lequel Delphine charrie beaucoup Nico justement, car ce dernier n’écoute que de vieilles chansons, de tout style, mais que des musiques d’un temps passé ! Comme si les quinze dernières années n’avaient jamais existé ! Elle joue même la fausse surprise lorsqu’il dit connaître le dernier groupe populaire à la mode ! Pourtant Nico aimerait bien discuter d’un sujet sur lequel il s’interroge énormément : leur relation… Il décide donc de se lancer.
« Dis-moi Delphine, on est quoi nous ?
—Que veux-tu dire ?
—Et bien, nous… Comment tu nous définirais ?
—Définir ? Je sais pas… Des amis !
—Des amis ? Après ce qui s’est passé entre nous ? Tu veux dire une sorte de plan cul ?
—Non je dirais pas ça, en général, mes plans cul je ne discute pas autant avec eux, et surtout, je ne les ai jamais invités à manger chez moi !
—Donc je suis plus qu’un plan cul, un peu comme un petit copain ?
—Non plus non, mais pourquoi tu veux savoir ? T’es obligé de mettre un nom sur notre relation ? Ça n’a pas d’importance ce que nous sommes l’un pour l’autre. Ce qui compte, c’est que lorsqu’on est ensemble qu’on soit bien ! C’est tout ce qui importe ! Qu’on ait envie de se revoir ! Après on n’est pas obligé de nommer notre relation pour pouvoir nous mettre dans une case ! Ce soir on est ensemble et on passe une bonne soirée, c’est tout ce qui compte, non ?
—Je sais pas, c’est important quand même de savoir où on en est ? Ça permet d’évoluer.
—Mais évoluer vers quoi ? Qui a dit que j’avais envie d’évoluer ? Et puis, ça fait quoi ? Une semaine, dix jours qu’on se connaît, tu ne penses pas que c’est un peu prématuré pour parler de couple ?
—Non t’as raison… Mais tu ressens quelque chose pour moi ?
—Bien sûr que je ressens quelque chose pour toi ! Tu ne penses quand même pas que j’aurais couché et invité chez moi un type sans rien ressentir pour lui ? Si tu veux savoir si je ressens de l’amour pour toi, je t’arrête encore une fois. Je te rappelle que je sors d’une relation difficile dont j’ai pas vraiment envie de parler, et j’ai pas envie de me remettre en couple pour l’instant. En tout cas, je me sens pas encore prête à ça ! Et toi, c’est pas toi qui me disais y’a quelques jours que tu étais amoureux d’une autre ? Tu l’as déjà oubliée ? Arrête de réfléchir pour rien, profite du moment présent sans te poser de questions et on verra bien où ça nous mènera ! »
Elle a raison, je me pose trop de questions ! Et même si j’avais les réponses à mes questions, ça changerait quoi ? Je me poserais d’autres questions ! Pourquoi je n’arrive pas à faire comme les autres ? Comme Delphine, Kate ou Dao ? Avancer sans savoir où je vais aller, juste me laisser guider par les chemins de la vie que j’arpente… Elles n’ont pas l’air malheureuses… Je devrais peut-être appréhender la vie comme elles le font… Mais en suis-je capable ?...
Ne sachant pas ce qu’il pourrait ajouter à ce que vient de dire Delphine, il se lève de sa chaise, avance vers elle, lui passe la main derrière la nuque et l’embrasse.
« T’as raison, je me pose trop de questions… »
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