Mercredi 16 Mars
« Faut que je te dise quelque chose, annonce Nico à Kate qui se trouve face à lui au Café du Centre. Je pars en Asie pour trois mois.
—Quoi ? Mais quand ?
—Vendredi.
—Vendredi ? Et tu me le dis que maintenant ?
—En fait, c’était pas prévu, on s’est décidé hier.
—“On “ ? Tu pars avec Dao ?
—Oui.
—Encore elle… Vous êtes en couple ?
—C’est compliqué.
—N’en rajoute pas plus, j’ai compris. Et moi qui avais osé penser que tu m’aimes… C’était peut-être irréel de ma part d’avoir attendu de tels sentiments de toi… Tu veux que je te dise pourquoi je ne suis pas partie avec le musicien ? Parce que c’était impensable pour moi de m’éloigner de toi. Je constate que pour toi il en est tout autre, il suffit que Dao émette le souhait de partir et toi tu suis sans même te préoccuper de moi.
—Mais ça n’a rien à voir, bien sûr que je t’aime, je t’aime depuis longtemps, si longtemps que j’ai peine à me souvenir qu’à une époque je ne savais pas ce que voulais dire le verbe “aimer “. J’ai appris sa signification le jour où je t’ai rencontrée. Alors ne viens pas me dire que je ne t’aime pas, car c’est faux ! Eh oui, il est vrai qu’aujourd’hui je pars à l’autre bout du monde avec Dao, mais il se trouve qu’elle a besoin de moi et elle a accepté mon aide. Alors comment pourrai-je lui tourner le dos maintenant ? Si tu me demandes d’abandonner Dao au nom de mon amour pour toi, tu risquerais d’être surprise de ma réponse. Sache que j’accorde beaucoup d’importance à l’amitié, plus spécialement à celle de Dao, et que mes amis en difficultés passent avant tout le reste. Avant même mes désirs.
—Mais tu t’écoutes parler ? Pour commencer, n’associe pas le mot “amitié “ avec Dao, car tous les deux savons bien que c’est plus que ça. Je ne voulais l’admettre, hélas c’est la triste vérité à laquelle je dois me résoudre : Dao représente plus à tes yeux que je ne le pourrais jamais. Tu ne peux pas t’imaginer ce que je pourrais donner pour n’avoir ne serait-ce qu’un millième de la place que détient Dao dans ton cœur. Je pourrais vendre mon âme au diable immédiatement s’il existait pour pouvoir passer le reste de ma vie à tes côtés. Et puis n’essaie pas de me faire croire que ton départ avec elle représente un sacrifice pour toi, car je n’y crois pas une seule seconde. Alors ne te fais pas passer pour une personne altruiste qui mettrait ses propres désirs de côté par pure bonté, le véritable altruisme n’existe pas… J’ai bien peur qu’il n’y ait rien que je puisse dire ou faire pour changer les choses, “les dés en sont jetés et le sort en est joué “…
—Tu es injuste, tu ne peux pas dire ça ! Pas maintenant ! Tu ne peux remettre en cause ni mon amitié envers Dao ni mon amour envers toi. Moi je sais que je t’aime ! Dès mon retour je viendrais te trouver, je te le promets ! Et si tu me rejettes à ce moment-là, c’est pas grave, je continuerai d’attendre. Attendre quoi, je ne sais pas, en revanche je sais qui… »
Nico ouvre les yeux, se rendant compte que tout cela n’était qu’un rêve. Encore un rêve… Il était étrange quand même ce rêve… C’était comme si je savais que Kate était amoureuse de moi, son annonce n’a provoqué aucune surprise en moi… N’empêche, c’est vrai que je devrais la voir pour lui dire au sujet de mon voyage. Je vais l’appeler pour qu’on déjeune ensemble après mon rendez-vous avec Laurent… Avant de se lever, il vérifie que Dao dort encore, puis il sort du lit en prenant soin de ne pas la gêner. Il s’allume une cigarette et bois un café dans la cuisine.
Je me demande comment je réagirais si jamais elle m’ouvrait son cœur maintenant. Heureusement, ce dilemme ne se présentera jamais… Pourquoi j’ai dit “heureusement “ ? J’attends ça depuis si longtemps ! Faut dire que ça ne serait pas le bon timing. Mais pourquoi Kate était persuadée que j’aime Dao ? Est-ce que mon inconscient serait en train de me dire que je suis amoureux de Dao ? C’est peut-être vrai, peut-être que j’aime Dao et Kate, que mon cœur est partagé en deux. Est-ce que j’agirais de la même façon pour quelqu’un d’autre que Dao ? Pour Benjamin, peut-être. Pour Estelle, non. Pour Delphine, je sais pas. Pour Doéna, non. Pour Kate, oui bien sûr ! Nico va prendre sa douche avant de rendre se rendre au Diner.
« Je suis content de te voir Kate !
—Ah oui ? Pourtant on s’est vu dimanche, c’était y’a pas si longtemps.
—En fait, depuis il s’est passé des trucs.
—Ah, raconte-moi, Kate s’installe face à Nico et fait signe au garçon de salle pour qu’il lui apporte son verre de Martini.
—Bon, pour commencer, tu te souviens m’avoir dit que le mieux pour Dao serait de couper les ponts avec ceux qui en prennent ?
—Oui.
—Eh bien, ça s’est fait ! »
Nico lui raconte donc ce qui s’est passé depuis leur dernière entrevue en commençant par le passage de Dao à l’hôpital. Kate l’écoute sans réagir. Puis, ne sachant comment lui annoncer son futur départ, il lui dit simplement :
« … Et du coup, n’ayant plus de boulot en ce moment, on a décidé de partir en vacances.
—Ah oui ? Vous partez où ?
—Thaïlande et Cambodge.
—Ah oui ? C’est cool ça, mais vous partez combien de temps ?
—Trois mois.
—Trois mois ? Tu vas m’abandonner trois mois ?
—Heu oui, mais je t’abandonne pas, je vais revenir ! C’est là qu’on va voir si mon rêve était prémonitoire !
—Franchement, c’est cool pour vous ! Vous allez vous éclater ! T’as intérêt à m’envoyer des mails et des photos !
—Mais oui, je t’enverrai des mails ! Et voici la différence entre le rêve et la réalité. Toi aussi t’auras le droit de m’en envoyer !
—Heu oui, mais à mon avis, tu auras plus de choses à raconter que moi !
—C’est bien possible.
—Mais c’est pas les pays dont ses parents sont originaires ?
—Si, si, c’est justement pour ça qu’on va là-bas. Bon, à la base j’avais juste envisagé la Thaïlande. Le Cambodge, c’est un souhait de Dao. Mais je dois t’avouer que j’ai quelques appréhensions.
—Ah bon ? Pourquoi ?
—En fait, c’est un pays pauvre où la corruption est reine, et j’ai peur de l’insécurité…
—Je connais pas, mais bon, si tu restes dans les zones touristiques, à mon avis, tu risques rien. C’est ses parents qui doivent être contents.
—On les a vus hier soir, ils avaient l’air contents et nous ont donné des conseils de visite. Par contre, à un moment c’était un peu tendu. Je vais pas entrer dans les détails, mais en gros, le père de Dao a des enfants d’un premier mariage à Bangkok, et il a refusé de donner leurs noms ou adresses à Dao.
—Ah bon ? Pourquoi ? C’est quand même ses demi-frères et sœurs.
—C’est compliqué… Je sais pas si je peux te le dire, mais en gros, sa première famille le croit mort, et même s’il ne les a jamais oubliés, il ne veut pas qu’ils apprennent la vérité…
—Houla, effectivement, ça m’a l’air compliqué tout ça !
—Du coup, Dao a été un peu déçue, mais bon, faut comprendre son père, il a pas envie de faire ressurgir des souvenirs qui lui feront plus de peine que de bien.
—Bon, à part ça, elle est contente de partir ?
—Ah oui !
—Et après, à ton retour, tu vas faire quoi ?
—J’irai chercher du travail, j’aurais pas trop le choix, et ce qui est bien, c’est qu’on revient en juin, donc même si je trouve pas un CDI, je pourrais toujours trouver un emploi saisonnier… »
Kate semble avoir bien pris la nouvelle. Elle est contente pour Nico, car il va enfin pouvoir visiter un pays dont il a toujours eu envie. À la fin du déjeuner, chacun retourne à ses activités : Kate à son travail et Nico chez lui.
« Alors il a dit quoi Laurent ? demande Dao à peine a-t-il ouvert la porte.
—Laisse-moi le temps d’arriver quand même.
—Mais c’est bon là, t’as pas besoin d’être assis pour me dire !
—Fais-moi un café d’abord et après je te dis.
—Tu fais chier ! Dao cède et se rend donc dans la cuisine pendant que Nico s’assied bien sagement dans le salon. Très vite, elle le rejoint avec la boisson réclamée à la main, elle dépose la tasse sur la table basse face à Nico et repose sa question. Alors il a dit quoi ?
—Attend un peu, j’ai pas encore bu… Il saisit la tasse d’une main et l’approche de ses lèvres. C’est un peu chaud, ajoute-t-il avant de reposer le café. Puis, il sort de sa poche un paquet de cigarettes, en sort une et commence à fumer sans rien dire.
—Tu le fais exprès ? enchaîne Dao, légèrement agacée par l’attitude de son ami.
—En fait, il a trop rien dit. Il se demandait pourquoi on voulait démissionner. Il voulait savoir si c’était à cause de la nuit que vous aviez passé ?
—Et il t’a dit quoi ?
—J’ai dit que c’était une des raisons, que cette nuit-là t’avais fait prendre conscience que si tu voulais vraiment arrêter, il fallait que tu coupes les ponts avec eux et avec tous ceux qui consomment des drogues… Du coup, il m’a demandé pourquoi moi je partais aussi ? Ce à quoi j’ai répondu que c’était parce qu’il m’avait déçu, que je lui avais demandé de te surveiller et qu’il avait fait tout l’inverse.
—Il a dit quoi ?
—Rien, il m’a sorti que ce soir-là vous aviez tous trop pris et trop bu et que du coup, personne ne pouvait surveiller personne. Enfin bon, il m’a quand même demandé un service.
—Quoi ?
—De travailler ce vendredi et samedi. Lucy a trouvé des filles pour nous remplacer, mais il faut les former, du coup il m’a demandé si juste ce week-end je pouvais venir pour pas que ça soit trop la merde.
—T’as dit quoi ?
—J’ai dit oui, ça sert à rien de le laisser dans la merde non plus. Et puis comme ça, on se quitte plus ou moins en bon terme.
—Ah OK… »
Le fait que Nico y retourne travailler encore un week-end ne fait pas plaisir à Dao, mais elle ne fait pas part de son mécontentement à son ami pour ne pas se disputer avec lui. Elle sait très bien que quoiqu’elle dise, maintenant que Nico s’est engagé auprès de Laurent, il ne reviendra pas sur sa parole.
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