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Je ne peux, encore aujourd’hui, expliquer la lueur blanchâtre qui me ceignit, ni ce qui suivit. La formation du halo provoqua de légers picotements dans mes bras, rien de plus, si ce n’est un léger sifflotement à mes oreilles. J’eus peur, oui, l’accumulation de faits étranges propagea des picots de chair de poule à l’ensemble de mon corps. Cependant je ne bougeai pas, persuadé que le phénomène ne me voulait aucun mal. L’instant d’après, une vibration m’envahit. Je ressentis une série de tremblements plus aiguë les uns que les autres, puis, aussi incroyable que cela puisse paraître, je me trouvai projeté au-dehors du grenier.

J’avoue, la panique gagna mes veines, j’allai me ramasser sur les marches devant la maison. Je fermai les yeux puis criai. Le son de ma voix ne me revint pas, ajoutant l’illogisme à la situation. La chute me parut interminable. Pour cause, je ne tombai pas, je flottai. Lorsque j’ouvris les paupières, mon corps se déplaça à une vitesse folle. En une fraction de seconde, la maison de Papy disparut, la terre défila à me donner le tournis. Je survolai des champs, des villes, des rivières, sans reconnaître quoi que se soit. Succéda la rage de l’océan. L’eau s’étendait tout autour de moi, je traversai une tempête sans en percevoir le vent ni la pluie. Au sortir des nuages sombres, une côte escarpée se dessina. L’allure ralentit, l’altitude baissa au point que je rasai les flots. La coque d’un bateau apparut, je fus déposé dans le hors-bord aux côtés d’un jeune homme que je reconnus sur l’instant. Paul.

Cheveux au vent, son regard portait au loin, son corps absorbait les chocs de la coque contre les vagues. Un danseur étoile. Voilà ce à quoi je pensai en découvrant mon grand-père, à moitié dénudé, piloter debout un engin surpuissant. Quel âge pouvait-il avoir ? Vingt-cinq ans ? Oui, comme moi.

Comment était-ce possible ? Tout cela dépassait mon imagination, j’éprouvai des difficultés à comprendre. En un claquement de doigt, je me trouvai à une époque différente et à des milliers de kilomètres de mon point de départ. Sans nul doute, je rêvai et allai me réveiller dans la cuisine, l’urne de Papy entre les mains, ou au grenier, enfin satisfait d’y être entré. Toutefois, je ne ressentis pas l’envie de sortir de mon songe. Paul était là, devant moi, vivant. Rien d’autre ne comptait. J’allai, si je dormais longtemps, enfin apprendre ce qu’il n’avait jamais osé me raconter.

Des rires dans mon dos me firent tourner la tête. Deux filles à la peau cuivrée, allongées de part et d’autre sur des banquettes, échangeaient des paroles salaces à propos de Paul. Chargés d’envies, leurs yeux ne laissaient planer aucune hésitation sur la suite des évènements lorsqu’il les rejoindrait. Aux gloussements, mon grand-père abaissa davantage la manette des gaz. Les moteurs rugirent de bonheur, propulsant le bateau de plus belle. La poussée me fit perdre l’équilibre, je me retrouvai les quatre fers en l’air au milieu des naïades. C’est à cet instant que je compris que je ne rêvais pas. Tomber passait encore, mais pourquoi les effluves de monoï des filles me parvenaient-elles ? Et surtout, comment pouvais-je ressentir les embruns de l’océan, alors que nous volions au-dessus des vagues ?

Mon esprit cartésien ne trouvant pas de réponse, je ris, fort, longtemps. Je perdais la raison, à l’évidence, mais que c’était bon. Tout ce dont j’avais été sevré s’offrait à moi, le soleil, l’eau, la liberté sous toutes ses formes. Le manuscrit du grenier m’octroyait une tranche de nouvelle vie, à moi d’en profiter. Si telle devait se poursuivre mon existence, ici ou ailleurs, en compagnie de mon grand-père, alors je l’acceptai. Du terne je passais à l’éclat, sur quatre murs s’ouvrait l’infini, de formaté , je devenais explorateur. Je ne pouvais abandonner cette aubaine. Je voulus me goinfrer de plaisir et laisser mes instincts primaires surgir, d’un bond, je me levai puis sautai sur une fille. Mais je passai à travers. Aucune chair ne me retint, aucun os. Je roulai de nouveau entre les banquettes. Je recommençai, une deuxième puis une troisième fois, essayant d’autres positions, d’autres tactiques. À la quatrième, j’admis que m’évertuer ne servait à rien. Si je pouvais les voir, les entendre, les sentir, la réciprocité n’existait pas. Je n’étais qu’un fantôme, un spectre invité à une fête sans pouvoir y participer, un témoin… Ce dernier mot résonna et apaisa le début de colère qui me gagnait. Je m’effondrai face à la brutalité de la situation et à ma prise de conscience. Non, cette expérience, ce voyage, ne me destinait pas à un quelconque amusement, encore moins à l’épanouissement de mes envies. J’étais présent, mais ne pouvais interférer dans le film se déroulant sous mes yeux. Le passé appartenait au passé, moi je venais du futur. Mon rôle était d’observer, d’apprendre, le manuscrit m’avait choisi pour cela, pour cet instant précis. Ou alors, était-ce Paul qui savait que ce jour viendrait ? Oui, je le crois, mon grand-père me l’avait maintes fois dit. Pour lui je consentais à ce devoir, dus-je réfréner mes tentations. Rasséréné, je me levai.

Je m’approchais de lui, il tourna la tête vers moi.

Me voyait-il ?

J’en fus convaincu, un sourire étira ses lèvres.

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