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Le réveil fut pénible le lendemain matin, j’avais la tête lourde et l’impression d’exhaler l’alcool bu la veille par tous les pores de ma peau. Après une douche régénérante, je descendis vers 8 heures prendre le petit déjeuner. Anaïs et Florian avaient déjà presque terminé, ils avaient l’air frais et dispos, rien n’indiquait qu’ils auraient passé la nuit ensemble, aucun geste complice qui aurait pu le suggérer.

Comme Olivier et Tiago ne venaient pas, nous décidâmes de parcourir à pied la voie verte qui relie Annemasse à Genève, construite sur la nouvelle ligne de chemin de fer. Nous arrivâmes au bâtiment moderne de la Comédie de Genève, aux Eaux-Vives, où nous retournâmes l’après-midi pour un spectacle en matinée, Mes frères, mis en scène par Arthur Nauzyciel, sur un texte de Pascal Rambert. Nous pûmes de nouveau observer les anatomies de quatre comédiens, la conversation de la veille au sujet de la nudité éventuelle de Florian n’avait donc rien eu d’incongru, mais je ne lui en parlai pas, comme convenu.

Les répétions continuaient, semaine après semaine. J’avais été chargé de préparer le programme de salle avec les annonces des commerçants de la région qui soutenaient ainsi la troupe. Je devais pondre un texte original pour présenter la pièce. En faisant des recherches, je découvris que Shakespeare aurait pu être homosexuel, ou plutôt bisexuel. Hamlet pouvait aussi l’être car, dans la scène II de l’acte II, il disait : « L’homme n’a pas de charme pour moi, non, et la femme non plus, bien que votre sourire semble insinuer le contraire. »

En apparence du moins, Florian semblait aussi indifférent aux hommes comme aux femmes, un rôle idéal pour lui. Je me dis qu’il pourrait être asexuel.

J’établis aussi la distribution :

Hamlet Florian Decker

Laërte, comédien Camille Jeanneret

Gertrude Lucie Vittoz

Claudius André Vittoz

Ophélie Anaïs Besson

Polonius Sébastien Liard

Horatio Arnaud Macherel

Rosencrantz, comédienne Nadège Lachat

Guildenstern, comédienne Cindy Liard

Premier fossoyeur Olivier Gay

Second fossoyeur Tiago Tavares

Spectre, musique Dylan Gill

Mise en scène Olivier Gay

Assistante mise en scène Anaïs Besson

Éclairages Tiago Tavares

Costumes Laurence Macherel

Scénographie Romano Sordi

Chorégraphie du combat Cyril Le Roux

Souffleuse Estelle Rochat

Inès, qui aurait dû jouer le rôle d’Ophélie, attendait un heureux évènement comme on écrit dans les gazettes et avait dû renoncer. C’était donc Anaïs qui avait repris son rôle, encouragée par Olivier, elle incarnait le versant féminin des relations d’Hamlet, Horatio incarnant le versant masculin. Arnaud était cependant beaucoup plus âgé que Florian, il aurait été difficile d’imaginer une idylle entre les deux. Je renonçai à mettre ces réflexions oiseuses dans le programme de salle.

Les rôles de Rosencrantz et Guildenstern étaient tenus par des femmes, l’inverse de l’époque de Shakespeare où les rôles féminins étaient joués par des hommes. Le metteur en scène Olivier avec son ami seraient les fossoyeurs, ils ne manquaient pas d’auto-ironie puisqu’ils feraient un duo comique de folles.

Nous eûmes les premières leçons d’escrime avec Cyril. Nous avions décidé de combattre avec une chemise ouverte pour l’effet visuel. Je ne pouvais pas m’empêcher de regarder Florian lorsque nous nous changions avant, enlevant nos pulls et mettant des chemises, mais gardant nos pantalons et souliers pour être comme dans les futurs costumes. Torse nu, il me semblait fragile, mais en même temps il avait beaucoup d’autorité lorsqu’il jouait, malgré sa voix douce.

Les débuts furent difficiles, nous devions coordonner nos mouvements, en donnant l’impression que le combat était intense, alors que les coups que nous portions avec les fleurets étaient totalement inoffensifs, beaucoup de bruit pour rien. Lors d’une passe, je me retrouvai soudain contre le corps de mon adversaire, comme si je l’avais pris dans mes bras ; ce contact de nos torses en sueur me troubla, puis nous en rîmes et terminâmes par la suite toujours l’entraînement par ce même contact, comme pour nous réconcilier. Dans la pièce, ce ne serait pas la même chose puisque nous allions mourir les deux, empoisonnés.

Pour répéter ses tirades, Florian s’isolait avec Olivier dans une autre pièce, alors que nous restions avec Anaïs pour nos propres scènes. Je m’imaginais le jeune homme nu, ou en boxer, sous le regard concupiscent du metteur en scène, ce qui était certainement inexact.

Je me posais de plus en plus de questions, ma relation avec Florian devenait ambigüe, ce n’était pas seulement une amitié virile, son corps m’attirait sexuellement, comme j’avais pu l’être autrefois par ma femme. Je me mis à repenser à ma jeunesse, je me souvins que j’aimais bien mater les autres étudiants sous la douche, mais que je n’aurais jamais envisagé être un « pédé », l’image que j’en avais était beaucoup trop négative, alimentée par les remarques homophobes. J’avais découvert qu’Olivier et Tiago vivaient leur orientation sexuelle très sereinement, sans la cacher.

Je n’osais cependant pas franchir le pas, me rendre par exemple dans un sauna gay, pas pour avoir tout de suite des relations sexuelles avec un autre homme, simplement pour me mettre dans l’ambiance. J’aurais pu être déçu, les hommes qui les fréquentent ne sont pas tous jeunes et beaux comme Florian.

Je mis ces envies en veilleuse et je me concentrai uniquement sur les répétitions, le temps passait et je craignais de ne pas être prêt, même si Olivier nous répétait que nous suivions le programme qu’il avait prévu.

La période des fêtes de fin d’année me permit de me reposer, je retrouvai avec plaisir ma ville natale et les rencontres chaleureuses avec mes parents et ma famille.

Au mois de janvier, ce fut Florian qui proposa à son tour d’aller voir une pièce, à Fribourg, il eut moins de succès puisque je fus le seul à accepter. Cela me rassura car Anaïs ne serait pas du voyage, j’étais jaloux de la proximité qu’elle pouvait avoir avec lui. Il me dit qu’il réserverait les billets et les chambres d’hôtel, je n’osai pas lui proposer de ne réserver qu’une seule chambre pour les deux.

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