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Florian était entièrement nu, il avait aussi ôté ses chaussettes, sinon il aurait eu l’air ridicule, il n’avait pas non plus de ceinture avec l’émetteur du micro puisque nous jouions sans sonorisation. On entendit quelques murmures dans la salle, vite stoppés par le début de la déclamation. J’observais Anaïs qui était debout, prête à intervenir à la fin de la tirade. Elle n’avait pas l’air surpris, soit Florian l’avait avertie, soit elle l’avait déjà vu nu. Son pénis était assez court, épais, avec un gros gland circoncis, les testicules près du corps, c’était peut-être l’effet de la température un peu fraîche de la salle.

Ophélie se rapprocha et entama le dialogue avec Hamlet nu, scène assez violente puisque celui-ci la rejetait et lui répétait à plusieurs reprises d’aller dans un couvent. Il retourna vers sa chaise et se rhabilla. Je parvins à me concentrer puisque j’allais intervenir quelques minutes plus tard, habillé en comédien pour une scène de « théâtre dans le théâtre ».

Un autre moment fort fut celle avec le fameux crâne, il était posé sur une tombe amenée depuis les coulisses, la pierre indiquait le nom de Yorik. Florian s’agenouilla et déclama :

Hélas ! Pauvre Yorik ! Je l’ai connu, Horatio, c’était un garçon d’une verve prodigieuse, d’une fantaisie infinie.

Je pensai au jeune homme inconnu mort du sida, il avait aussi eu des qualités, oubliées à jamais, à part dans les mémoires de celles et ceux qui l’avaient connu et aimé. Hamlet apprit ensuite la mort d’Ophélie qui s’était noyée auparavant dans un bassin rempli d’eau à l’arrière du plateau.

Ce fut ensuite la scène du duel. Nous avions répété chaque mouvement d’innombrables fois et tout se passa sans problème. Nous nous blessâmes mutuellement avec l’épée empoisonnée, la reine but la coupe de vin, lui aussi empoisonné, elle mourut. Hamlet força le roi à en boire aussi, il mourut. Je mourus.

Il ne restait qu’Hamlet dans les bras d’Horatio, assis sur le sol. Ils échangèrent un baiser sur la bouche, pour évoquer une relation homosexuelle entre les deux, et Hamlet mourut.

La salle fut lentement plongée dans le noir, le public mit quelques instants à réagir, puis ce fut un tonnerre d’applaudissements, de sifflements, de bruits de pieds, nous eûmes cinq rappels et une standing ovation. Je ne savais pas si c’était mérité, cela récompensait quand même des mois de travail et cela faisait chaud au cœur. Le public des deux représentations suivantes serait certainement plus réservé.

J’avais hâte de me retrouver seul dans la loge avec Florian, je lui dis avant même d’entrer :

— Tu as osé jouer nu !

— Oui, et finalement cela n’a rien d’extraordinaire, je m’inquiétais pour rien. Quelques personnes ont vu ma bite, même ma sœur, et alors, ça ne va pas changer ma vie. Et je n’ai pas bandé.

— Tu l’avais dit à Anaïs ? Elle n’a pas eu l’air étonné.

— Non, c’était une surprise pour elle, je n’ai décidé qu’au dernier moment d’enlever mon boxer.

— Tu vas aussi le faire à la première ? demandai-je.

— Oui, certaines spectatrices seront peut-être au courant et je ne voudrais pas les décevoir.

— Il pourrait aussi y avoir des spectateurs qui ont envie de la voir.

— On sait qu’un certain pourcentage des hommes sont gays, ce ne serait pas étonnant. Je vais prendre une douche, rapide car mes groupies m’attendent.

— Je te laisse passer le premier, mais pourrais-tu attendre que je me sois aussi douché ? J’aimerais être avec toi pour voir la réaction des fans.

— On pourrait la prendre ensemble, ça gagnerait du temps et économiserait de l’eau.

— Euh… oui, d’accord, balbutiai-je, très surpris par cette proposition.

Florian avait-il aussi envie de voir aussi ma bite ou n’était-ce que pour des raisons pratiques et écologiques ? Cette douche n’eut rien d’érotique, cela ressemblait à nos étreintes à la fin des combats, nous étions vidés après l’effort. Je n’eus pas l’impression que Florian regarda attentivement mon entrejambe ou alors il le fit très discrètement. Il remit un de ses slips blancs alors que moi je gardai mon boxer noir car j’avais oublié d’en prendre un de rechange. Je devrais le laver moi-même pour la première.

Ce fut de nouveau un triomphe à notre entrée dans la Kantina, il y avait une cinquantaine de personnes qui étaient restées pour boire un verre. Florian fut assailli par ses groupies qui lui demandèrent de signer le programme, j’eus beaucoup moins de succès. Des garçons demandèrent aussi un autographe à Anaïs. Nous nous assîmes ensuite à une table réservée pour souper.

Florian nous présenta sa sœur Christelle ; Olivier, avec son sans-gêne habituel, lui demanda :

— Alors, tu es contente d’avoir vu le zizi de ton frère ?

— Bof, je l’avais déjà vu quand il était petit, tous les garçons ont le même engin entre les jambes.

— Ils peuvent être différents. Félicitations, Florian, tu as osé !

— Merci, merci, répondit-il, à présent j’entendrai des murmures chaque fois que je croiserai quelqu’un dans les couloirs du gymnase.

— Et toi, Anaïs, continua Olivier, satisfaite ?

— Du zizi de Florian ou de la représentation ?

— Des deux.

— Je dirais comme Christelle, tous les garçons ont le même truc qui pend entre les jambes et je te rappelle que c’était ton idée de le faire jouer nu, pas la mienne. Quant à la représentation, je suis très satisfaite, mais nous ne devons pas nous endormir sur nos lauriers.

Les deux représentations suivantes se déroulèrent encore mieux, nous prenions l’habitude et avions un peu moins le trac. Comme prévu, le public fut moins enthousiaste mais les applaudissements très chaleureux. Après la première, Florian nous présenta ses parents et ses quatre grands-parents, dont le grand-père qui lui avait prêté le crâne. Ils étaient très fiers de leur petit-fils. Le dimanche, je pus à mon tour présenter mes parents et grands-parents qui avaient fait le déplacement. Avant de repartir, ma mère me glissa à l’oreille :

— Tu as l’air de bien t’entendre avec le jeune homme, celui que tu as combattu en duel.

— Oui, répondis-je, je t’en ai parlé, je cours avec lui tous les samedis.

— Il est très beau, surtout quand il est en nu. Pourquoi n’as-tu pas dû te dénuder aussi ?

— Je ne suis pas responsable de la mise en scène, demande à Olivier.

— C’est sans importance.

Nous nous étions de nouveau douchés ensemble, en tout bien tout honneur.

Je ne revis pas Florian les semaines suivantes, il devait préparer ses examens pour le bac et nous n’avions plus de répétitions avant la fin juin, afin de préparer notre déplacement en France. Les décors et les costumes étaient prêts pour être chargés dans un camion, nous ne répétâmes que quelques détails à améliorer.

Florian rayonnait, il avait réussi son bac et se réjouissait des longues vacances avant de commencer l’université. Je lui demandai s’il partirait, il me répondit qu’il était trop content d’être seul chez lui car ses parents seraient en voyage. Je lui proposai de faire quelques randonnées avec moi dans le Jura en août, période que je passerais chez mes parents. Il accepta avec plaisir.

Nous avions décidé de faire le voyage en train pour des raisons écologiques, nous prîmes donc un TER à Genève jusqu’à Lyon Part Dieu puis un TGV jusqu’à Béziers. Nous arrivâmes le jeudi au milieu de l’après-midi. Les organisateurs du festival nous avaient réservé des chambres dans un hôtel Ibis et mis un car à disposition pour les transferts. La présidente alla chercher les cartes à la réception, puis nous dit :

— Il n’a pas été possible d’avoir des chambres individuelles, les hôtels sont pleins en ce moment. Comme nous sommes un nombre impair, il y aura un ou une solitaire.

— Il y a aussi des plaisirs solitaires, fit Tiago.

Je savais que les hôtels Ibis avaient des grands lits, il faudrait donc non seulement partager la chambre, mais aussi le lit. Lucie commença la distribution, à la fin nous n’étions plus que cinq : Anaïs, Nadège, Dylan, Florian et moi. J’allais enfin savoir : si Florian était en couple avec Anaïs, ils dormiraient ensemble, Nadège serait seule et je serais avec Dylan. S’ils n’étaient pas en couple, il y aurait trois possibilités… Mon cœur battait très fort.

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