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Florian hésita quelques instants, puis me demanda :

— Pourquoi ne me l’as-tu pas dit plus vite ?

— Il y avait deux raisons : avouer que j’aime un homme signifiait en même temps assumer que je suis homosexuel, que j’ai fait une erreur en me mariant et que j’ai perdu dix ans de ma vie.

— Ne dis pas ça, tu dois avoir eu de beaux moments avec ta femme, ce ne sont pas dix ans de perdus.

— Tu as raison, nous avons été heureux, au début du moins.

— Et la seconde raison ?

— Tu es plus jeune que moi, ce n’est pas une différence d’âge rédhibitoire, mais j’avais l’impression de te voler ta jeunesse, de récupérer ainsi les dix ans passés avec ma femme.

— Merci de cet aveu qui me touche. Je vais te répondre, mais j’aimerais d’abord te raconter quelque chose. Je vois que le ciel s’est découvert, nous pourrions marcher au bord du lac.

J’étais étonné et un peu déçu de la réponse de Florian, je m’étais attendu au même aveu de sa part. Je lui dis que je désirais passer aux toilettes avant de sortir, je voulais en fait payer l’addition, je laissai un gros pourboire au serveur.

— Merci beaucoup, me dit-il, et pour les fleurs ?

— Je ne sais pas encore, remettez-les dans mon sac en plastique.

— J’espère que ça marchera entre vous, il est mignon ce jeune homme. Si ça ne marche pas, dites-lui de penser à moi.

Florian me rejoignit aux toilettes. Tout en matant ma bite pendant que je pissais car les urinoirs n’avaient pas de séparation, il me dit :

— Je suis fâché.

— Pourquoi ? À cause de ce que je t’ai avoué ?

— Non, parce que tu as payé le repas, j’aurais au moins offert les boissons.

— Je t’ai écrit que je t’invitais, je pensais que tous les étudiants étaient fauchés.

— Pas moi, mon père est généreux.

Je pris mon sac et nous sortîmes. Il y avait un splendide arc-en-ciel complet, j’espérais que ce signe de la nature serait positif. Nous marchâmes en direction du soleil, encore voilé par quelques nuages. 

— Ce coucher de soleil est très romantique, me dit Florian, tu ne trouves pas ?

— Oui, en effet, répondis-je, nous avons eu raison de sortir. Tu me racontes ton histoire ? 

— Quelle impatience… La voici. Ma mère a invité Anaïs à souper hier. J’ai trouvé une boite de préservatifs dans ma chambre et elle a changé les draps de mon lit, bref, elle pensait que j’allais perdre mon pucelage.

— Tu étais gêné de cette invitation ?

— Ma mère est chez elle, elle peut inviter qui elle désire et Anaïs avait accepté, ce qui m’a étonné car je n’ai jamais ressenti une attirance réciproque, même si nos rapports, disons professionnels, ont toujours été très courtois.

— Comment s’est déroulé le repas ?

— Très bien, nous avons mangé des grillades sur la terrasse. Anaïs a surtout discuté théâtre avec mon père et aussi parlé avec ma sœur Christelle, plus qu’avec moi.

— Ton père, c’est le mystérieux mécène ?

— Oui, il ne désire pas que cela se sache, pour ne pas donner l’impression qu’il le fait uniquement parce que je suis dans la troupe.

— Mais c’est bien pour cela qu’il le fait ?

— Exact, il aimerait être sûr que c’est ma vocation d’être un artiste.

— Tu n’as donc pas perdu ton pucelage hier avec Anaïs, dis-je.

— Non, rassure-toi, je suis toujours pur et vierge, si l’on excepte nos deux branlettes à Béziers. À 23 heures, Anaïs a dit qu’elle voulait rentrer et mon père l’a ramenée. Ma sœur est allée se coucher, je suis resté seul avec ma mère. Elle s’était rendu compte de son erreur de déposer une boite de préservatifs dans ma chambre, elle s’en est excusée et m’a assuré qu’elle ne se mêlerait plus jamais de ma vie privée. Je lui ai dit que ce n’était pas grave, qu’elle avait agi pour mon bien et que je pourrais utiliser les capotes dans d’autres circonstances.

— Quelles autres circonstances ?

— C’est ce que ma mère m’a demandé. Je lui ai avoué que j’étais maintenant sûr que je préférais les garçons.

— Tu as donc assumé ta gaytitude, comme moi, et fait ton premier coming out. C’est une très bonne nouvelle !

— Ce n’était pas le premier, je l’avais déjà dit à mon grand-père lorsque j’ai rendu le crâne.

— C’était donc ça la discussion que tu as eue avec lui et dont tu ne voulais pas me parler le week-end passé.

— Je voulais attendre cette invitation avec Anaïs, j’en avais entendu parler avant notre voyage et cela m’intriguait. Mon grand-père m’a encouragé à m’accepter tel que je suis, à ne pas me soucier de l’opinion des autres. Il m’a aussi dit qu’il me soutiendrait si j’avais le moindre problème avec sa fille, ma mère, ou avec mon père.

— Elle l’a bien pris ?

— Oui, très bien, elle m’a dit que cela ne changerait rien, qu’elle m’aimerait tout autant qu’avant. Je dois être intoxiqué par le théâtre, mais je me suis demandé s’il n’y avait pas un peu de mise en scène dans cette invitation.

— Que veux-tu dire ? demandai-je.

— Que ma mère se doutait en fait qu’il ne se passerait rien entre Anaïs et moi.

— Mais alors, pourquoi avait-elle organisé tout cela ? Pour t’inciter à lui dire que tu es homosexuel ?

C’est la question… C’est possible, mon grand-père lui a peut-être fait comprendre à demi-mot que je l’étais. Je l’ai aussi avoué à ma sœur.

— Cela pourrait aussi être ton père a suggéré l’invitation car il voulait parler théâtre avec Anaïs. Il le sait ?

— Ma mère le lui a dit pendant le petit déjeuner ce matin, il n’a pas eu l’air étonné du tout.

— C’est parfait, fis-je, toute ta famille est au courant.

— Oui, mais mon histoire n’est pas finie. Ce matin, j’ai reçu un message d’Anaïs.

— Que voulait-elle ?

— Un instant, nous sommes arrivés chez moi.

— Tes parents sont là ?

— Non, ils sont partis en vacances cet après-midi. Tu viens boire un dernier verre ? Ne sois pas surpris, je ne pense pas que nous serons seuls.

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