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Même si j’ai repris le prénom d’un comédien qui a joué Hamlet dans ce théâtre, toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence.

Le soir, après être rentré chez moi car je travaillais le lendemain et avais épuisé mes fluides au niveau de la prostate, je cherchai des informations au sujet du spectacle à Saarbrücken. Il n’y avait plus qu’une seule représentation le samedi suivant, il fallait se décider rapidement et j’eus la chance de trouver encore deux places libres au parterre, à la première rangée. Nous décidâmes de rester deux nuits afin de visiter la ville le lendemain.

Je réservai l’aller par la France, avec le TGV Mulhouse - Luxembourg, et le retour par l’Allemagne, via Mannheim avec des ICE. Florian avait insisté pour que je prisse des billets de première classe qu’il voulait payer, j’avais refusé en disant que j’avais les moyens de les offrir, nous prîmes finalement la décision de payer chacun la moitié de nos dépenses en voyage, pour éviter des querelles ultérieures. En contrepartie je réservai à nouveau un hôtel avantageux Ibis, en souvenir de notre première branlette à Béziers.

Je dus cependant annuler cette réservation car Michael, le « Hamlet » allemand, acceptait non seulement de nous rencontrer mais nous offrait en plus l’hospitalité chez lui si nous n’étions pas trop exigeants, sur des matelas posés par terre. Je ne savais pas si ce seraient des matelas gonflables, à l’origine de la plateforme Airbnb. Florian avait accepté.

Les trains étaient à l’heure ce jour-là, nous arrivâmes à Saarbrücken peu avant 17 heures et nous prîmes le tram jusqu’au théâtre. Nous étions attendus, on nous remit deux badges d’invités à l’entrée et Michael nous accueillit chaleureusement puis nous conduisit dans sa loge où nous déposâmes nos sacs. Il n’avait pas le temps de nous parler avant la représentation car il devait se préparer, physiquement et moralement, il nous confia donc à un éclairagiste, Dieter, jeune homme maigre dans la vingtaine, aux cheveux châtains longs, noués à l’arrière, habillé comme il se devait d’un tee-shirt et d’un jean noirs. Il portait des boucles d’oreilles discrètes et avait les bras tatoués.

Dieter nous fit une visite complète des coulisses du théâtre, Florian lui posait de nombreuses questions dont je ne comprenais que la moitié ; je fus surpris, d’une part par sa connaissance de la langue allemande, et d’autre part par sa connaissance de l’univers du théâtre. L’éclairagiste nous offrit ensuite le souper à la cantine, pas de sa poche, il s’était arrangé pour avoir des bons de la direction.

Nous prîmes place dans la salle pour voir la représentation. Je ne comprenais pas tout le texte, la metteuse en scène avait imaginé un présentateur de journal télévisé qui expliquait les péripéties qui n’étaient pas représentées sur le plateau. L’image était projetée en vidéo sur des rideaux.

Vint la scène où Michael se dénudait, exactement celle que nous avions utilisée lors de notre première fois : « Contrôle ce trou avec le doigt et le pouce, applique ta bouche, souffle, et l’instrument rendra la plus éloquente musique ». En allemand, le mot flageolet avait été traduit par [i]Flöte[/i], soit flute, le public n’avait donc aucune peine à faire le lien entre cet instrument et un membre viril, même si Shapespeare n’avait pas forcément eu cette intention sexuelle. Michael enleva son pantalon et son boxer noir, il avait gardé une chemise ouverte qui exposait son nombril et nous avions une vue imprenable sur son pénis qui n’avait rien de particulier, il n’était pas circoncis, avait la toison peu fournie, il devait la raser partiellement. La scène terminée, il ne remit que son pantalon, laissant trainer son boxer sur le plateau.

À l’entracte, je signalai cela à Florian, nous restâmes quelques instants dans la salle pour voir une habilleuse le ramasser et le mettre dans un carton pour l’emporter.

— Je serais gêné de laisser quelqu’un d’autre s’occuper de mes sous-vêtements, dit Florian.

— Pourtant, fis-je, je pense que c’est ta mère qui les lave et qui peut voir les taches suspectes.

— Je me souviens qu’à l’école, lorsque les cours étaient trop ennuyeux, je bandais et laissais parfois échapper du précum.

— Tu te masturbais aussi ?

— Non, je n’osais pas. En fait, nous avons une femme de ménage qui vient faire la lessive, mais tu as raison, c’est bien quelqu’un d’autre qui s’en occupe. Ici, il n’a certainement pas le temps de se branler avant la représentation.

— Qu’en sais-tu ? fis-je. Ça détend et cela pourrait lui couper l’envie de bander.

— C’est peut-être pour cela qu’il ne voulait pas nous parler avant, dit Florian, mais je doute qu’un pro comme lui ne puisse pas se retenir de bander.

— À moins qu’on lui demande de bander…

Nous bûmes ensuite du Sekt avant d’assister à la seconde partie. Le public applaudit chaleureusement à la fin, mais ce ne fut pas un triomphe avec une standing ovation. Il y eut ensuite un moment émouvant, même pour nous qui n’étions pas des habitués. La responsable du théâtre parlé et en même temps la metteuse en scène de ce spectacle quittait Saarbrücken, elle fut remerciée par le directeur qui lui offrit ensuite un bouquet. Elle était très émue et pouvait à peine retenir ses larmes. Elle donna une fleur à toutes les personnes présentes sur le plateau, les actrices et acteurs de la pièce comme d’autre venues spécialement pour l’occasion, puis jeta le reste du bouquet dans la salle. Je ne sus pas si c’était voulu, mais Florian en reçut la plus grande partie, il m’offrit une fleur puis distribua les autres à ses voisines. Il était prédestiné avec un tel prénom.

Nous avions convenu de retrouver Dieter à la fin, il nous conduisit à la loge en nous guidant dans le dédale des couloirs et escaliers. Il frappa et entra sans attendre la réponse, ce qui m’étonna. Michael était en train de se démaquiller, assis devant le miroir sur un tabouret, vêtu seulement du boxer noir qu’il avait récupéré à l’entracte ou d’un autre, un peu court car on devinait le début de son sillon interfessier. Comme Hamlet était le rôle principal, il avait la meilleure loge du théâtre, avec beaucoup de place et un petit coin salon où nous nous assîmes. Dieter s’excusa de ne pas pouvoir rester, il avait encore du travail.

Le comédien nous demanda notre avis au sujet de ce que nous avions vu, Florian fit de nombreuses remarques, comparant la mise en scène à la nôtre, j’avais du mal à les suivre et je les laissai discuter. Après s’être démaquillé, Michael enleva son sous-vêtement pour prendre une douche, nous montrant à nouveau sa bite de façon ostentatoire — j’eus l’impression qu’il avait un début d’érection, il devait savoir que nous étions gays, l’était-il aussi ? — en disant à Florian :

— Tu ne perds rien pour attendre.

Je ne compris pas le sens cette phrase, avaient-ils envisagé quelque chose lors de leurs échanges préliminaires ?

Nous nous rendîmes ensuite sur la scène où les machinistes avaient placé de nouveaux meubles : canapés, fauteuils et chaises disparates, installé une console pour un disk-jockey, avec un éclairage multicolore et festif. Une table était couverte de boissons avec ou sans alcool, ainsi que des plateaux de crudités, avec ou sans viande. C’était le pot d’adieu pour la metteuse en scène.

Michael fit un bref discours au nom du personnel, juché sur un petit podium, et lui remit un cadeau : un album de photos signé par tout le monde. Je me sentais étranger à tout cela et je restais seul dans mon coin. Florian, lui, semblait très à l’aise et discutait avec d’autres comédiennes et comédiens que Michael lui présentait. Au bout d’une demi-heure, celui-ci demanda le silence et remonta sur le podium, nous priant de le rejoindre, il dit :

— J’aimerais vous présenter mes invités : Florian et Camille, des comédiens amateurs, mais ne le prenez pas dans un mauvais sens car ils ont gagné le premier prix d’un festival à Béziers en jouant justement Hamlet et Laërte.

Applaudissements. Michael continua :

— J’ai demandé à Florian s’il pourrait refaire sa tirade pour que vous puissiez comparer et n’hésitez pas à me dire s’il est meilleur que moi, je n’en serais pas vexé.

Nous laissâmes Florian seul, les lumières s’éteignirent et un projecteur dirigé par Dieter se braqua sur lui. À mon grand étonnement, il reprit la tirade « Être ou n’être pas ! C’est la question… » en allemand, il me sembla que sa diction était parfaite, peut-être une trace d’accent vaudois. Il fut très applaudi. Michael lui dit :

— Bravo, je n’aurais pas pensé que tu le dises aussi bien dans une langue étrangère, mais pourrais-tu le refaire en français, si tu n’as pas oublié ?

— Je n’ai pas oublié, et, sinon, personne ne comprend le français ici.

— Détrompe-toi, nous ne sommes qu’à quelques kilomètres de la France et nous avons quelques frontaliers parmi nous. Encore une chose, quelqu’un m’a dit que tu jouais entièrement nu.

— C’est moi qui te l’ai dit, fit Florian en riant. Ce n’est pas tout à fait exact, à Béziers, j’avais la ceinture du micro.

— On peut d’en prêter une, s’il n’y a que ça.

— Non, fit quelqu’un dans le public en français, il couvrira sa queue avec.

— Sans ceinture, je suis d’accord, dit Florian, pour vous remercier du formidable accueil que vous faites à des amateurs.

— Je suis sure que vous deviendrez un acteur très connu après votre formation, dit la metteuse à scène, j’ai une longue expérience et je sais reconnaitre les futurs talents. Si l’occasion se présentait, je serais ravie de travailler un jour avec vous.

— J’espère que ce n’est pas en voyant leur queue que tu sélectionnes tes comédiens, fit Michael.

— Non, sinon je ne t’aurais pas choisi.

Florian recula de quelques mètres, se déshabilla dans la pénombre en déposant ses habits sur une chaise.

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