6.8

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Petit matin naissant.
C'est plein de couleurs, de celles qu'on ne rencontre qu'à l'aube. Savez, ces étranges couleurs roses et bleues qu'on ne voit qu'à une certaine heure du jour ? Ben, ces couleurs-là. C'est un peu irréel donc toutes les choses prennent des teintes irréelles. Essayez aussi de capter cette tiédeur un peu moite, un peu froide sur les bords et qui vous envelopperait comme un voile léger mais un peu collant. Le silence est là, aussi. Ils sont comme dans l'oeil d'un cyclone. Tout est calme, à peine perturbé par des murs de nuages qui s'enrouleraient tout autour d'eux. Mais la quiétude est feinte, le calme trompeur et la frénésie des hommes n'attend que le bon moment pour les surprendre.
Vous mordez le topo ? Parfait.

La majestueuse ville de Jérusalem se réveille doucement. Les immenses remparts sont d'un éclat qui ferait presque mal aux yeux. Il est vrai que Hérode n'avait pas lésiné sur les splendeurs. Les blocs de pierre ajustés sans le moindre mortier forment une longue muraille qui ceinture toute la ville.
Pas de faubourgs, ici. Pas de pauvres, non plus. Raymond qui découvre tout cela avec curiosité réalise assez vite que la ville ne compte pas les éternels misérables qui rôdent dans les boues nauséabondes des nantis. C'est assez surprenant, mais il ne se trompe pas. Les seuls pauvres du coin sont les esclaves, et encore, ceux-là sont bienheureux de leur sort, loin des terribles conditions de vie des villages voisins.

  • On est tombés dans le XVIème ou quoi ? ronchonne-t-il à sa seule intention.

Tout semble rouler dans la plus parfaite routine, ici. Bien sûr, quelques petits groupes de soldats romains arpentent les rues pour bien rappeler qu'ici on peut péter à l'air libre, mais seulement en respectant les règles imposées par le lointain César de Rome. Ils ont l'air fatigués. Sûrement des équipes de nuit, pressées de rentrer à leur caserne pour y roupiller quelques heures, jusqu'au moment où le soleil se fera trop implacable.

  • René ? fait-il en donnant un coup de coude à ce dernier qui dort comme un nouveau-né, le cul en l'air et un pouce dans la bouche. Regarde un peu ! Tu as sous les yeux la Ville Sainte, comme on dit...
  • Tu sais où j'me la colle, ta sainte ? grommelle l'intéressé. J'ai pas fini de dormir...
  • Fais pas le couillon, faut qu'on aille voir ça !
  • Et faut qu'on retrouve Agathe. La pauvre, dans ce bordel, elle doit ramer avec sa guibole en bois.
  • L'avait qu'à rester avec nous, cette vieille bancale. On n'a pas idée de s'envoyer dans les airs quand on n'a qu'un demi-train d'atterrissage, hein ? De toute manière, j'ai juste envie de bouffer, si tu veux tout savoir. Le reste, ta ville à la con et ta vieille à la con, je m'en tamponne l'oeil et le flanc droit.
  • René, y a des fois où tu m'impatienterais presque... gromelle
  • Agathe, tu dors ?
  • Non. J'admire aussi, alors ferme-la encore un peu, tu veux bien ?
  • J'ai les crocs, rétorque Raymond. Viens avec moi, on va voir ce qu'on peut bouffer à l'intérieure de ces murs !

Et il se lève d'un geste souple.

  • Mazette ! On dirait que tu as retrouvé la jeunesse de tes vingt ans ! râle Agathe qui se contorsionne pour retrouver la verticale. Aide-moi, fait-elle en lui tendant la main.
  • C'est vrai que je me sens en super forme, constate le vieux en se massant de partout, étonné de sa fraîcheur inattendue. Tu crois que l'air est meilleur que chez nous ?
  • Où qu'on est ? demande René qui se lève enfin.
  • Si j'en crois mes souvenirs, répond Agathe, on se trouve face à la vieille enceinte de la ville. J'avoue que je suis pas trop sûre, mais je dirais que le gros truc en face de nous, c'est le Temple...
  • Ouais, tu dois avoir raison, confirme René. Et je pense qu'on est sur le Mont des oliviers, ajoute-t-il en crachant quelques morceaux d'olive crues. Putain, c'est juste dégueulasse ! Tu disais qu't'as les crocs, Raymond ? Ben, bouffe pas ces merdes, c'est immangeable !
  • Normal, pauvre pomme ! rigole Agathe. Faudrait les faire tremper pendant des semaines dans de l'eau salée avant de les manger, tu sais donc pas ça ?
  • Nan, je sais pas ! Et j'aime que les olives noires, en plus.
  • Pour ça, faudra attendre six mois de plus... fait Agathe en regardant vers la ville, une main en visière pour se protéger des premiers rayons du soleil. Bon, on va se taper un p'tit déj', ou on attend que René s'empoisonne en trouvant encore un truc à la con ?

Raymond hoche de la tête sans rien dire. Il médite. René vient de dire qu'ils sont sur le Mont des oliviers, et ça lui fait tout bizarre, sans qu'il puisse se l'expliquer.

  • Vous vous rendez compte qu'on est à un de ces endroits qui ont façonné le monde ? fait-il doucement.
  • Ouais... Ils ont bricolé un bar, du temps qu'ils y étaient aussi ? fait René qui reste imperméable à la soudaine prise de conscience de son pote. Pour ma pomme, ce matin, ce sera une amphore de picrate et quelques morceaux de pains pas trop cuits, si possib'. Je pense qu'il serait pas raisonnable de demander quelques croissants, hein ? ajoute-t-il en regardant Agathe.
  • Je sais pas. Tu pourras toujours demander. Et voire, si t'es pas trop nul, leur apprendre à les faire !

Ils se décident enfin à monter à l'assaut de la ville. Raymond veut découvrir. René veut bouffer. Agathe essaie de ne pas se casser la fiole sur les pierres traitresses du petit chemin qui descend jusqu'à une énorme porte qui protège l'entrée de la ville.

  • Je crois...je crois que c'est...la Porte Dorée, fait-elle entre deux respirations saccadées. Vous pourriez pas aller moins vite, j'ai du mal à vous suivre !
  • T'inquiète, on ouvre la voie. Et puis tu peux pas te perdre ; la ville est juste devant toi !

A suivre....

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