4.9

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C'est un gigantesque campement, ceinturé d'une palissade de bois pointus, précédée d'un fossé profond et hérissé de pieux acérés. Le détachement qui arrive avec sa roulotte-prison doit attendre quelques minutes avant d'en franchir les portes. Une dizaine de gardes les surveillent du haut des remparts, l'air méfiant, prêts à lancer leur javelot sur le premier qui aurait un comportement suspect.

René est stupéfait, pendant que Raymond lui donne des coups de coudes dans les côtes, pour mieux lui faire accepter l'impossible.

  • Alors ? Tu vois bien que j'ai raison : on est en pleine béchamel !
  • Mais c'est impossible ! répond René. Il y a forcément une explication. Une autre que la tienne, j'veux dire.
  • Moi, je veux bien croire qu'on est tombés dans un film à gros budget, mais quand même ! Si je me rappelle bien mes leçons d'école, le truc où on va rentrer, c'est un camp militaire fortifié. Dedans, on y mettait une légion entière, soit pas moins de six mille bonhommes. T'imagines le coût de ton film ? Non, crois-moi, le plus vraisemblable reste l'impossible, une fois évacuées toutes les autres hypothèses.

Les deux vieux, les mains solidement accrochées aux barreaux de leur cellule roulante, n'en croient pas leurs yeux. Mais ils n'ont pas trop le temps de faire du tourisme : un groupe de soldats, tout propres, tout neufs, se présente. On ouvre la porte de la prison et tout le monde descend. A peine au sol, on les pousse vers une batisse grossière.

  • Au moins, on souffrira plus de ce satané soleil, grogne Raymond.
  • Par contre, je commence à la sauter grave, moi, fait René en se grattant le bide.
  • Faut pas compter manger tout de suite, mes amis, fait une voix au fond de la geôle.

Les deux vieux tentent de discerner d'où provient ce mauvais présage quand un homme assez chétif se présente devant eux. Il a le visage brûlé par le soleil, de profondes rides au coin des yeux. Ses cheveux gris et sales ondulent jusqu'à sa nuque. Une soixantaine d'années, peut-être. Ses bras nus laissent apparaître tatouages et cicatrices en tous genres. Il est amaigri, fatigué, mais dans ses yeux on peut lire une grande détermination.

  • Je suis Glaglatus, et vous, que venez-vous faire ici ? Vos vêtements sont étranges et votre accent m'est inconnu...
  • Ben, moi c'est Raymond, et lui c'est René. On est où, exactement ?
  • A quelques heures de marche de Jérusalem. D'ailleurs, si j'en crois les rumeurs qui viennent jusqu'ici, on devrait aller y faire un tour demain.
  • Jérusalem ! Mais que font tous ces gars déguisés en soldats ? fait René.
  • Déguisés ? Ecoute, mon gars, je sais pas d'où tu viens, mais des déguisements comme ça, y en a partout dans l'Empire !
  • Une légion entière en Israël, dis-tu ? interrompt Raymond, songeur.
  • Oui, la IXème Légion deTibère. Ce gros imbécile a envoyé son fidèle Ponce Pilate pour faire régner un semblant d'ordre dans tout ce bordel ! grince Glaglatus.
  • Tibère, Ponce Pilate ? bave René. Mais on est quel jour, là ?
  • Je sais pas. Moi, les jours romains, j'y comprends rien. Je sais juste que c'est bientôt la Pâque, et généralement c'est la merde pendant ces jours-là. Les Romains veulent nous empêcher de faire la fête comme on aime la faire, mais nous, on résiste, tu vois ?
  • Donc ?
  • Fatalement, ça coince un peu, si tu vois ce que je veux dire ?

René ne voit pas trop, mais il imagine facilement. Il se colle à la porte en fer de sa nouvelle prison et découvre l'univers qui se déroule devant lui. Les hommes de ce camp sont tous des militaires, vêtus d'uniformes antiques : sandales en cuir, une ridicule jupette au-dessus de pantalons courts, un justaucorps en plaques de cuir et un ceinturon brun, robuste. Et, accroché à ce ceinturons, un glaive... Les types ont des faciès de barbares, mal rasés, l'air mauvais. Certains arborent aussi des tatouages noirs, souvent des figures infernales. Ce détail n'échappe pas à Raymond qui demande soudain :

  • Dis-donc, Glaglatus, les mecs dehors ont les mêmes tatouages que toi. Vous êtes fâchés ?
  • Et pourquoi ça ? répond l'autre.
  • Sais pas, moi... A toi de me le dire, non ?
  • Dis-donc, l'ancêtre, faudrait pas pousser. Et vous êtes qui, d'abord ? Vous venez faire quoi dans ce pays de merde, hein ?
  • Si je le savais ! dit Raymond en se frappant dans les mains.
  • Tout ce qu'on peut te dire, coupe René qui s'immisce dans la conversation, c'est qu'hier on était chez nous à picoler tranquillement, et que ce matin, on s'est retrouvés en plein désert. Une bande de ces types, dehors, nous a ramassés et nous voilà, cons comme devant.
  • Facile à chanter, votre histoire, fait Glaglatus en fronçant les sourcils. Je vois pas pourquoi les hommes de Pilate auraient pris la peine de vous attraper si leur centurion n'avait une idée à votre sujet. Les dissidents infestent la région, tu sais... ?
  • Quels dissidents ? demande Raymond.
  • Les potes à l'autre tordu, bien sûr !
  • Quel tordu ?
  • Le mec de Nazareth. J'sais plus son nom, mais il est en train de monter la population contre les romains, et ça commence à chauffer dans le coin. C'est pour ça que Tibère a envoyé un de ses meilleurs chevaliers ici. Il l'a bombardé Préfet, vous dire comme ça urge !

Raymond se recroqueville dans un coin, tout pensif. Il croit de plus en plus à sa théorie du voyage dans le temps : tout semble concorder. Il rassemble ses maigres connaissances historiques pour dresser le tableau d'une période qu'il ne connaît que trop peu.
Il sait peu de choses des empereurs romains, mais le nom de Tibère ne lui est pas inconnu. Et de Ponce Pilate, il ne connaît guère que la fameuse réplique : "je m'en lave les mains !", et encore n'est-il pas persuadé de bien la connaître.

Quant au "mec de Nazareth"... il n'en connaît qu'un !

A suivre...

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