6.1

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  • Pour commencer, je virerais les hommes de cette planète. Tu me diras que tous ne sont pas bons à jeter à la poubelle, mais je m'emmerderais pas à les trier. Tous virés, comme ça, pour que la planète vive enfin en paix.
  • Ridicule ! pouffe Jésus. Mon père l'a déjà fait, et ça n'a rien changé. Tu te souviens de Noé et de son arche à la con ?
  • Ouais, mais il restait encore une famille entière dans le raffiot... Avec moi, zob ! Plus un humain, que je te dis !
  • Et toi ?
  • Rien à foutre, puisque je suis Dieu.
  • Et René ?

Là, Jésus marque un point. Raymond hésite, vacille soudain sur ses convictions. Supprimer son pote n'est pas compatible avec son idée.

  • Bon, vrai que c'est un peu radical, mon truc... ronchonnne-t-il. Mais que faire d'autre pour sauver la planète ?
  • Mais qui te parle de sauver la planète ? La Terre n'est jamais qu'un support temporaire. Au bout de chaque vie, c'est le Paradis qu'il faut viser !
  • Arrête... Ton Paradis me fout la gerbe ! Alors quoi ? Faudrait d'abord se taper une vie entière de merde et d'emmerdes pour finalement se faire les adjas* vers un ailleurs où, enfin, on pourrait coincer la bulle sans se faire de soucis ? Tu vois, Jéjé, c'est pour ça que les mecs qui sont accrochés à tes basques se contentent de bouffer ce que tu leur offres. Ils savent que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. Et celles que tu leur fais leur paraissent tellement fantasques et éloignées de leur quotidien qu'ils se feront la malle dès qu'un autre beau parleur prendra le crachoir !
  • Il faut faire ses preuves avant de toucher le grand prix, répond Jésus sur un ton neutre.
  • Et pourquoi qu'on est obligés de concourir à ce gros bordel ? Après tout, aucun de tous ceux que tu vois n'est arrivé sur Terre de sa propre volonté ! Toi et ton dabe, vous imposez à des animaux toutes ces vicissitudes comme on fait avancer un âne avec une carotte sous le nez !
  • La Perfection est chose qui se mérite. C'est la bonté et la grandeur d'une âme qui fait toute la beauté d'un être humain.
  • Perso, ta perfection, je me la carre quelque part, tu vois ? J'ai pas envie de me forcer à toutes ces pitreries parce que, selon ce que je me dis un mec que je connais à peine, mandaté par un autre que personne n'a jamais ni vu ni entendu, me chante que les vacances de rêve c'est un peu plus haut, au-dessus des nuages !
  • Raymond... Raymond...
  • Pas la peine de me faire la morale, hein ?
  • Ton âme est donc si noire que tu ne sais plus faire preuve de compassion ?
  • Et celle de ton père, dis ? Quelle compassion il a pour nous, tu peux me dire ? Regarde-les crever de faim, se faire étriper par les sbires de despotes qui n'aiment que les dorures et les privilèges ? C'est Dieu qui veut la guerre, la peste, la famine.
  • Tout ça, c'est l'Homme qui le provoque ! proteste Jésus.
  • Et ça lui monte pas aux neurones d'intervenir pour calmer le jeu, à ton father ?
  • Si ! A chaque fois !
  • Mon cul ! Les guerres ne s'arrêtent que faute de combattants ! Il faut que les champs soient couverts de sang, que les corps démembrés soient si nombreux qu'il faut attendre vingt ans pour reconstituer les stocks de chair fraîche ! Et les connards qui les décrètent continuent de péter dans la soie, bien à l'abri des horreurs !

Jésus est déçu des propos du pépère. Il le regarde avec ses grands yeux juvéniles, stupéfait d'entendre autant de haine...

  • Tu sais, Raymond, quand je t'entends parler ainsi, je ne peux pas m'empêcher de penser que mon père a raison de vous soumettre aux épreuves d'une vie...

Et Raymond se prend aussi ça dans les gencives. Les deux se mettent à cogiter, chacun de leur côté, les bras croisés sur le ventre.

  • Bon, admettons que je revienne sur ma décision, fait Raymond après un long silence. Disons que je ferais disparaître qu'une partie de mes congénères. C'est politiquement correct, ça ?
  • Les Juifs ?
  • Pourquoi eux ?
  • Ben, en général, c'est toujours à eux que vous vous en prenez !
  • Alors, là, mon pote, t'es loin du compte ! Faudrait pas me prendre pour une de ces râclures qui prétendent qu'une bite raccourcie pour raison religieuse en fait une chose à détruire d'urgence ! Je suis pas de ceux qui parlent d'espace vital, de race supérieure ou de je ne sais quelle autre saloperie !
  • Pourtant, prétendre supprimer une partie du genre humain revient au même ! s'exclame Jésus qui trépigne de colère. Tu ne peux pas dire que tu va trier l'humanité pour n'en garder que la créme ! En plus, c'est toi qui déciderais de la valeur de la crème !

Raymond va pour répondre à l'argument, mais il se tait soudain. Jésus est logique...

  • Bon, d'accord. Je tue personne...
  • Ah, voilà qui est bien plus raisonnable ! Tu viens de faire un grand pas en avant, mon ami.
  • Pas sûr... Mais c'est pas grave. Ok, je tue personne ! Mais, je change tout le merdier.
  • Oh, oh ! Raconte ! fait Jésus, intéressé.
  • Attends, je réfléchis.
  • Encore ?
  • Faut bien ; tu veux pas me laisser faire ce que je veux !
  • Tu es à ma place, souviens-toi. Alors, tu ne fais pas ce que tu veux : tu dois agir pour le bien des Hommes.
  • T'en as de bonnes, toi ! Qu'est-ce que j'en sais , moi, de ce qu'il leur faut. Si ça se trouve, eux-mêmes ne le savent pas.
  • Ce qui te rend encore plus responsable d'eux.
  • Que dalle ! Qu'ils se démerdent.
  • Alors, c'est le retour de la violence, des guerres et de la loi du plus fort.
  • Parce que tu estimes que c'est pas le cas, en ce moment ?
  • Si, bien sûr. Tu as raison. C'est pourquoi je suis là...

Raymond regarde Jésus longuement sans rien répondre. Il scrute son visage avec attention. Il est sur le point de vouloir lui annoncer qu'ils viennent, lui, René et Agathe, du Futur, mais il se reprend plusieurs fois. Pourtant, n'y tenant plus, il déclare rapidement :

  • Ecoute-moi, Jésus de Nazareth. Je dois te dire une chose importante, incroyable, même. Elle va te paraître insensée, impossible, folle...
  • De plus en plus intéressant, répond Jésus en souriant, avec une étrange lueur de victoire dans les prunelles.
  • Tu vas pas être déçu, crois-moi. Tu vas entendre un truc pas banal, et j'aurais des preuves pour te convaincre.
  • Raymond, coupe Jésus d'une voix presque paternelle, tu veux me dire que tu n'es pas d'ici ? Crois-tu que je ne le sais pas déjà ?
  • Ben, je suis pas seulement du coin...
  • Je sais, Raymond. Je sais.
  • Ah bon ?
  • Dis-moi, tu vas te décider à croire un jour que je suis ce que je suis ?

A suivre...

* Se faire les adjas : partir.

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