Junky Magination

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Parmi les boutiques les plus extravaguantes de la Galerie Parfimpossible, Junky Magination remportait le haut du podium sans aucun effort. Le patron y avait veillé, non pour l'attractivité de sa boutique mais plutôt par souci pratique. D'ailleurs lorsque le Comité Commercial de la Galerie avait décidé de l'élaboration d'une brochure publicitaire, les patrons avaient bien été embêtés quand ils avaient dû décrire la boutique Junky Magination. Un train, un ascenseur du futur, une roulotte ou même un dragon ayant fusionné avec un patineur artistique, toutes les définitions les plus absurdes les unes que les autres étaient sortis pendant la réunion. La décision du mot avait été si longue que la Galerie avait été fermée pendant plusieurs jours.

Au bout du sixième jour de débat, il a été décidé que Junky Magination serait mentionné comme chimère à vapeur (dernier cri catégories steampunk, fantastique et biologique). La boutique était constituée de plusieurs petits wagons sans plafond superposé à moitié les uns sur les autres, formant ainsi une longue diagonale alors que la locomotive se résumait à une moitié de dragon surexcité et d'une cabine à ciel ouvert lui faisant office de corps au début du buste, le tout avec deux longues pattes pourvues de serres et d'ailles mécaniques au niveau de la locomotive. Etant donné les articles qui se vendaient dans Junky Magination, le patron avait voulu une boutique mobile, capable de couvrir les distances à grande vitesse histoire d'éviter tout frais d'approvisionnement. Et surtout le dragon-locomotive - ou drago-loco - était le meilleur moyen pour dissuader les curieux d'entrer en douce.

Le patron ouvrait toujours au crépuscule, juste avant que la lune ne se lève et amène avec elle toute la flopée de clients qui arrivaient tous en même temps. Et trop de clients, Jungod n'aimait pas ça, il avait déjà eu affaire à ce genre de situation et il avait dû passer dix jours avec ses Accusateurs pour qu'il ne soit pas jugé responsable de "blessures mortellement légères". Et jamais il ne s'était senti responsable, si le client ne s'était pas approché d'un "Personnage mentalement instable en crise existentielle" jamais il n'aurait fini en petits morceaux. Jungod avait donc décrété que seul cinq clients seraient admis en même temps dans le magasin, et vu que les pancartes "ne pas toucher" avaient plutôt tendance à provoquer l'effet inverse chez ces clients tels des gamins de cinq ans il avait jugé plus simple et efficace de mettre la photo de clients blessés à coté de chaque article. Ce qui n'a pas vraiment aidé son commerce car depuis, Junky Magination fut doté de la mention "Âme sensible ET rationnelle s'abstenir".

La plupart de ses clients venaient pour "prophéties de l'élu" que sifflait la Fée Scénaristique dans le dernier wagon du haut. Monter jusqu'au dernier étage à tout bout de champ n'était pas vraiment son activité favorite mais c'était le seul moyen d'éviter que les prophéties ne touchent un client ou lui-même. Un jour un client avait renversé sa prophétie sur la patronne du café, résultat celle-ci perdit toute sa famille, fut vendue en tant qu'esclave, perdit toutes émotions et attendait encore son voleur charmant qui lui rendrait la capacité d'aimer quand on le Comité des Patrons de la Galerie avait réussi à la faire revenir à son état d'avant. La pauvre s'en était remise mais elle avait bien été tentée de mettre feu à l'Agence de Resurection quand elle a vu le prix pour ressusciter sa famille.

Dans le wagon rez-de-chaussée, il ne se vendait que des Bonbons Persona de saveurs différentes, ceux à la saveur "antihéros" se vendaient plutôt bien ces temps-ci. Sinon il y avait toutes sortes de parfums, comme "courage", "moralement gris" - qui n'étaient en fait que des Bonbons saveur "méchant" mais d'une autre couleur et plus cher - "malin", "psychopathe" et encore plein d'autre...Après cela les clients étaient invités à faire fondre leurs Bonbons Persona dans la marmite située dans la gueule du dragon pour obtenir leur CC (Character Candy) sous la forme de leur choix, en général sous forme de nounours en gelée.

Puis plus on montait plus les clients sursautaient car Jungod préférait laisser ses "Gourous" et "Roi" ou encore "Dieux" loin de la population. Vers le 6e wagon on avait ceux de catégorie PTD (Pas Très Doué) ou B (Bienveillant) qui servaient en général de figurant et de prétexte pour une mission d'infiltration dans un palais ou une secte et qui coutaient peu cher. Vers le 10e venaient les rois débiles mais dangereux notés 47/20 sur l'échelle de "J'ai envie d'étrangler ce con" et les élus des prophéties qui avaient récemment fait grève pour revendiquer le droit à une destinée calme et sans massacre. Ceux-là coutaient déjà un peu plus cher car leur entretien était éreintant, surtout mentalement. Au 33e étage/wagon on entrait vraiment dans le gros du lot avec un Enemy To Lover AVEC BON développement (celui sans étant au 3e étage/wagon) qui en général nécessitait soit onze mois de maturation et d'enseignements soit trois breakdown traumatisants. Vu la baisse de valeur du Breakdown ces dernières années et qu'il n'aimait pas vraiment parler à des ados à moitié morts ayant une dissociation de personnalité plus ou moins avancée, Jungod avait décidé de passer onze mois sur chacun. Une attention qui l'avait promu "Cultivateur Pas Trop Cruel", un titre très distingué que seul trois marchants de la Galerie possédaient.

Enfin à l'avant-dernier wagon/étage était réservé aux produits nécessitant le plus de soins. On y trouvait donc une quantité ahurissante de "Bouche Plot Hole" ainsi que de belles Originales. Jungod détestait les Originales et leur manie de toujours chercher à lui provoquer une crise cardiaque. Un jour l'une d'elles avait décidé d'inscrire Jungod à un concours des Enfers pour devenir le dieu de l'Autre Monde. Mais comme les Originales ne faisaient jamais les choses à moitié, celle-ci tua d'abord le Dieu des Enfers pour mettre Jungod sur le trône avant de le faire tomber dans la déchéance. Et tout ça "Pour le bien du scénario" avait-elle dit. Jungod l'avait vendu pour une bouchée de pain et avait célébré son départ en grande pompe. Il fallait avouer qu'il en avait assez de trembler la nuit en pensant à ce qu'elle allait provoquer.

Un article était particulièrement agaçant pour Jungod : la "mort". Ces articles partaient à vitesse ahurissante mais inexplicablement revenaient toujours tout aussi rapidement, en général accompagnés de clients réclamant un remboursement. Résultat chaque "mort" fut vendue avec un paquet de pilules "Sans pitié" avec taux de cruauté 74%. Déjà que les "morts" n'étaient pas chères, mais si en plus il fallait les rembourser à chaque fois ! Jungod avait dû massacrer un pays entier par la peste pour fabriquer la dernière et vu tout le sang qu'il avait vomi pour la fabriquer il était hors de question de la reprendre.

Quant à Jungod il était énorme, tout en hauteur et en muscles saillants - ce qu'il valait mieux dans un métier pareil. Il avait la figure constamment en feu depuis 74 ans à cause d'un Dieu Démon qui lui avait lancé son feu éternel en pleine face, ce qui ne l'avait pas empêché de finir enfermer dans l'avant-dernier wagon à coté d'un Léviathan et d'un Puppy Cerbère.

La plupart de ses clients étaient des amateurs qui allaient directement dans les plus hauts étages/wagons et qui au final apparaissaient dans la Galagazette dans les faits divers du genre "Un apprenti écrivain laisse échapper son gourou génocidaire par accident" ou "M. Amateur jugé pour trouble de l'ordre public : un dragon détruit le Comité des Patrons" ou encore "Une civile infectée par sa propre "folie existentielle". Puis il y avait les modérés qui restaient aux étages du bas et discutaient tranquillement avec Jungod sur les dernières actualités et repartant avec quelques "petites intrigues" de rang Agréable. Il y avait ceux qui galéraient à tenir leurs créatures fantastiques en laisse et les "sortilèges" dans leurs flacons, ceux qui mettaient trop de Bonbons Persona et créaient ainsi un monstre omnipotent...Et enfin il y avait les Junkies comme Jungod les appelait, des clients dont il se méfiait particulièrement. Ceux-là traînaient en regardant les articles, discuttaient, demandaient des renseignements et ne montaient pas plus haut que le 9e étage pendant des semaines. Puis d'un seul coup ils ouvraient la porte, complètement shootés aux "Vitamines Drama Queen" en riant comme des forcenés et dévalisaient les derniers étages. Jungod admirait leur talent mais avait toujours peur de ce qu'ils avaient dans la tête.

Lorsque la boutique fermait ses portes, Jungod s'assurait toujours de fermer chaque wagon et d'enchaîner son dragon (histoire qu'il ne se fasse pas la malle comme la dernière fois). Puis il se rendait au Comité des Patrons pour boire un verre et raconter sa nuit tout en écoutant celle des autres. Une journée de repos jusqu'au crépuscule et une nouvelle ribambelle de clients affamés d'histoires à dormir debout.

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