10. Relooking express

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Miléna

“Les enfants seraient ravis que vous restiez”. Mon œil, oui, mais c’est gentil de sa part d’avoir discuté avec eux. Je ne suis pas sûre que ça change grand-chose sur le long terme, mais disons que je veux bien essayer. Je n’ai aucune envie de retourner à la rue, alors je vais me faire toute petite, ne pas m’asseoir n’importe où, éviter au maximum les enfants pour ne pas les contrarier.

Pourquoi veut-il que je reste ? Et pourquoi croit-il que c’est pour lui que je pourrais rester ? Qu’est-ce qu’il a en tête, au juste ? Il a l’impression de faire sa Bonne Action de l’année, avec moi ? Je me pose mille-et-une questions alors que je raccroche le téléphone fixe dans l’entrée. Évidemment, pas de place trouvée pour moi au 115, et je vais encore passer ma journée à errer dans les lieux tel un fantôme, à ruminer ces derniers mois, à pleurnicher sur mon sort. Certains jours, je m’insupporte à regretter encore et encore les choses, et ça a le don de m’énerver. Alors, aujourd’hui, j’enfile mon manteau et vais profiter un peu du grand parc attenant au château. Je me dis que je pourrais être utile, parce que Maxime semble manquer de temps pour tout entretenir. Je me demande si un professionnel vient s’occuper de toute cette étendue de terre, parce qu’entre les parterres de fleurs, les haies et le potager que j’ai vu au fond de la cour, je doute qu’il trouve le temps de tout faire.

Je suis surprise d’entendre une voiture sur le pont de bois qui mène à la bâtisse. Je me suis posée sur un banc, sous un énorme saule pleureur dans un coin du domaine, je ne vois pas grand-chose derrière la haie et reprends ma marche en direction du château. Je constate, en traversant la douve, que c’est la voiture de la mère de Maxime, et je me demande si elle ne vient pas ici pour me surveiller.

— Bonjour, Marie, crié-je au loin en approchant rapidement pour m’arrêter à quelques pas d’elle. Comment allez-vous ? Je profitais du soleil et du paysage.

— Bonjour Miléna. Vous avez bien raison, mon fils, lui, n’en profite pas assez alors que notre château est magnifique. En tous cas, je venais vous voir.

— Vous veniez me voir, moi ? Oh… D’accord. Un problème ? lui demandé-je, perturbée par sa réplique.

— Oui, je me suis dit que vous pouviez avoir besoin de quelques petites affaires, vu votre situation. Alors, j’ai regardé ce qui traînait un peu dans les armoires et je me suis dit que j’allais vous les ramener. Parce que c’est pas Maxou, avec toutes ses responsabilités au boulot et ses enfants, qui va y penser, hein. On rentre que je vous montre tout ça ?

Je la regarde avec de grands yeux et acquiesce finalement en lui prenant l’un des sacs qu’elle sort de son coffre avant de la suivre à l’intérieur. Cette famille est vraiment trop aimable, et autant dire que je me sens carrément mal à l’aise devant tant de gentillesse. Disons que je ne sais pas ce qui me gêne le plus, la mère et le fils qui sont généreux, ou les enfants qui disent ce qu’ils pensent et ne m’accueillent pas avec autant de facilité.

— C’est très gentil à vous, mais ce n’était pas nécessaire, vous savez, dis-je alors qu’elle dépose ses sacs sur le canapé.

— Tatata ! Vous êtes trop fière pour demander mais j’ai bien vu que vous n’aviez qu’un petit sac. On ne me la fait pas, à moi. Vous faites comment pour les sous-vêtements ? C’est pas une vie, ça, et il faut profiter d’être ici pour vous reposer un peu et vous refaire une santé. Et une garde robe !

Elle est vraiment adorable, mais ma tenue vestimentaire n’était pas ma priorité, ces dernières semaines. Et puis, aussi gentille soit-elle, si elle me sort des vêtements à elle, vu son âge, vive le malaise. Je crois que je préfère me battre avec mes trois petites culottes plutôt que de porter les gaines de ma grand-mère.

— Je n’ai pas été la personne la plus propre du monde, ces dernières semaines, c’est sûr. Mais j’ai de quoi tenir trois jours en étant propre quand même, vous savez, souris-je alors qu’elle sort de son sac un paquet de culottes neuves qu’elle me tend.

— Loin de moi l’idée de dire que vous n’étiez pas propre ! Vous savez, mon mari, quand il était bénévole, il me racontait tout et franchement, il y a des gens qui vivaient dans la jungle qui étaient mieux habillés que certains de nos voisins. Mais bon, si ça peut vous dépanner, je me disais qu’on pouvait aussi vous aider là-dessus. Si ça ne vous plaît pas, n’hésitez pas à les laisser, hein ? Je ne me fâcherai pas.

— Tout ça, c’est beaucoup trop, Marie, je… Il ne fallait pas, vraiment… Je ne sais pas quoi dire, murmuré-je en récupérant finalement le paquet. Vous n’avez pas tout acheté, rassurez-moi ?

— Non, juste les culottes, il n’y a personne qui en donne, ça. Le reste, j’ai été voir au vestiaire de la Croix Rouge ce qui pourrait correspondre à une jolie jeune femme comme vous. Et, il y a aussi… Où est-ce que je l’ai mis… Ah ! Le voilà ! Un petit sac avec tout le nécessaire de toilette. Que des produits neufs donnés par une entreprise, elle n’est pas belle, la vie ?

Je ne sais pas si la vie est belle, j’ai un gros doute depuis quelque temps, mais en tous cas, ce moment-là est à la fois magnifique et hyper gênant. Je ne sais plus où me mettre et j’ose à peine toucher à tout ce qui se trouve sous mes yeux. Marie ne se vexe pas de mon mutisme, elle sort les tenues une par une et me demande de choisir ce que je veux essayer ou pas. J’ai l’impression d’être une gamine qui fait sa rentrée scolaire et à qui sa mère refait sa garde robe. Sans parler des produits de toilette. Voilà deux mois que je n’ai pas mis de parfum, ou simplement de la crème sur mon visage. C’est fou.

— Je vais aller me faire un café pendant que vous essayez tout ça, Miléna. Vous en voulez un ?

— Heu… Oui, je veux bien, merci. Je me dépêche.

— Prenez votre temps et rejoignez-moi dans la cuisine quand vous avez fini.

J’acquiesce à nouveau et commence à essayer les vêtements que j’ai sélectionnés. Je ne sais pas où je vais ranger tout ça lorsque je vais devoir partir, mais l’idée de pouvoir enfiler autre chose que mon jean ou mon pantalon de jogging me fait déjà un bien fou. Il y a même une petite robe longue d’une couleur vert pâle vraiment mignonne que je garde pour la fin. Je me limite en nombre et me contente de quelques hauts et pantalons, de quoi tenir une semaine au total. Il y a même une paire de ballerines, qui changent de mes chaussures de marche absolument pas féminines. J’ai l’impression de redevenir un peu plus moi quand j’enfile la robe et les ballerines. Ça fait un bien fou de ressembler à autre chose qu’à une réfugiée sans abri, et je dois passer un temps fou à m’observer dans le grand miroir au-dessus de la cheminée.

— On dit que l’habit ne fait pas le moine, mais vous êtes ravissante, Miléna.

Je fronce les sourcils en jetant un œil à la mère de Maxime. L’habit ne fait pas le moine ? Les expressions françaises sont vraiment particulières.

— Merci, mais je n’ai pas encore l’impression d’être moi. L’ancienne moi, je veux dire. Mais c’est déjà beaucoup, ça fait du bien. Je ne sais pas comment vous remercier pour tout ça.

— Arrêtez de me dire merci, ce n’est pas grand-chose. Je vais devoir vous laisser, en revanche, j’ai un déjeuner avec des amies. Il y a des restes d’hier soir dans le réfrigérateur, servez-vous, Miléna. Votre café doit être froid, lui.

— Je suis désolée, ris-je. Ça m’a fait tellement de bien d’être entourée de vêtements que je n’ai pas vu le temps passer, je crois.

Je range les tenues que je n’ai pas prises dans les sacs et raccompagne Marie à sa voiture sans pouvoir m’empêcher de la remercier une nouvelle fois, et je me retrouve grondée comme une enfant, sauf que c’est pour ma politesse. Un comble, quand même, mais je ne peux pas lui en vouloir. J’ai la sensation d’être totalement désespérée, c’est une impression très étrange de passer d’un extrême à l’autre.

Je passe mon après-midi à me bichonner. Je prends un long bain moussant, profite du rasoir fourni dans la trousse d’hygiène pour raser tout ce qui doit l’être, me pavane sur mon lit totalement nue avec une sensation de bien-être que je n’ai pas éprouvée depuis une éternité, et finis par enfiler la robe.

Par la fenêtre, j’observe les enfants et Maxime rentrer et me demande si je dois descendre ou pas, s’il vaut mieux que j’attende le dîner ou non, ou si je dois rester là jusqu’à ce que mon hôte me monte mon repas… C’est compliqué de se retrouver chez des inconnus, surtout quand tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde. Je me décide finalement à gagner le rez-de-chaussée et souris en voyant les enfants attablés en cuisine en train de faire leurs devoirs alors que Maxime prépare le dîner.

— Bonsoir. Est-ce que je peux vous aider à faire quelque chose ?

— Ah bonsoir, Miléna. Vous voulez me donner un coup de main pour rincer et découper les légumes ? répond-il en souriant avant de se stopper et hausser les sourcils en me jetant un regard admiratif. Eh bien, on peut dire que vous avez meilleure mine, je ne savais pas que vous aviez des robes !

— Je n’en avais pas, mais votre mère est passée aujourd’hui pour me donner des vêtements et du shampoing, souris-je en allant me laver les mains.

— Ma mère est passée ? Mais… Elle ne m’a rien dit. Et pourquoi des vêtements ?

— Eh bien, elle a considéré que vu la taille de mon sac, je n’avais pas suffisamment pour elle. Elle a dû avoir peur que je finisse par me promener toute nue chez vous, ris-je en le rejoignant pour récupérer les légumes.

Il m’observe quelques secondes et j’ai presque l’impression qu’il m’imagine nue, avant de se frapper le front de la main.

— Oh mince, je n’ai même pas pensé à ça, moi ! Quelle honte ! Mon père serait tellement en colère. Je suis désolé, Miléna, j’aurais dû vous proposer moi-même tout ça. Si ma mère n’était pas venue, vous n’auriez rien eu du tout, c’est… nul, non ?

— Vous m’avez demandé si j’avais besoin de quelque chose, je vous ai dit que je ferais avec ce que j’avais, vous n’y êtes pour rien. J’ai appris à me contenter de peu, même si j’avoue que me retrouver devant tous ces vêtements m’a fait du bien.

— Cette robe vous va très bien en tous cas. Déjà que le jean vous donnait un air charmant, là, c’est encore mieux, commence-t-il, naturellement, avant d’ajouter précipitamment, n’est-ce pas les enfants ?

— Oui, t’es belle comme ça, dit Lili en souriant. Pas autant que Maman, mais ça va.

— Merci, vous êtes gentils.

Je leur adresse un regard reconnaissant et me mets à éplucher les légumes en silence tandis que Maxime fait réciter sa leçon à Tom puis à Lili. Je suis contente que le repas se passe de manière très cordiale, même si je sens que les enfants restent sur la réserve. Tom se montre un peu agité à table et je ne traîne pas à remonter dans ma chambre, prétextant être fatiguée. La vérité c’est que je ne veux pas abuser de leur gentillesse, et je veux laisser aux enfants du temps avec leur père qui semble beaucoup travailler. Et puis, en plus de ça, je n’ai pas pu passer à côté des regards de Maxime sur moi. Peut-être que j’ai compris pourquoi il voulait que je reste : je crois bien que je lui plais, et ça me fait un peu trop plaisir pour que je le vive bien, d’ailleurs.

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