26. Les dames en parade

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Miléna

Je soupire et me frotte les yeux en refermant le dictionnaire de latin. La deuxième salle à manger, celle du côté gauche du château qui n’est semble-t-il jamais utilisée, est devenue depuis deux jours un lieu de travail commun entre Maxime et moi. Ordinateur portable, dictionnaire, grimoire et papiers griffonnés côtoient tasses de café, verres de vin et assiettes de biscuits divers. J’avoue que j’adore ça. J’ai passé un temps fou à fouiller Internet et la bibliothèque du château pour en apprendre davantage sur le domaine et l’histoire de la région. J’ai un peu l’impression de retrouver mes racines, ce pour quoi je me suis formée et que j’ai tant aimé faire. Et j’avoue que cela m’occupe, parce que je me sens un peu inutile, maintenant que la suite est terminée. Il ne reste que les meubles à installer, et Maxime ne semble pas pressé de le faire. Je lui ai proposé de commencer celles du deuxième étage, mais il faut toutes les débarrasser d’une tonne de vieux mobilier et le stocker ailleurs, c’est compliqué et mon hôte n’a pas le temps pour ça. Surtout maintenant qu’il a un trésor à trouver. Il a passé une partie de sa nuit de samedi à commencer la traduction, et nous nous sommes retrouvés là dimanche soir et hier soir pour continuer tous les deux. Aujourd’hui, je m’ennuyais à mourir après avoir briqué la cuisine du sol au plafond, dépoussiéré la bibliothèque et fait une petite marche dans le jardin, alors je me suis installée ici pour poursuivre. Maxime est très exigeant, et je me suis replongée dans des cours de latin en ligne pour me remémorer ceux que j’ai eus au lycée français et tenter de me remettre à niveau.

Je récupère ma tasse pour aller me resservir un café et passe devant le salon où les enfants sont occupés à faire leurs devoirs avec Nina, la nounou chaude comme la braise. Les gamins ne bougent pas d’un poil, concentrés sur leur tâche, et je file à la cuisine sans les déranger. Putain, elle a même commencé à préparer le dîner. J’ai vraiment l’impression de ne plus servir à rien ici, surtout si elle se met à faire la seule chose qu’il me restait pour me sentir utile. Dire qu’il y a encore quelques mois, j’avais beaucoup trop de travail pour cuisiner ne serait-ce qu’un plat de pâtes pour Vahik et moi, aujourd’hui, il ne me reste que ça. Ça et du bricolage, ou de la traduction. Heureusement que les gosses ne m’ignorent pas totalement, sinon je crois que je déprimerais réellement.

Je me fais rapidement un café et monte finalement dans ma chambre. Je tourne en rond quelques minutes avant de me décider à prendre un bain. Lili m’a donné des boules de savon qui font plein de mousse au contact de l’eau et j’en jette une dans la baignoire avant de récupérer le recueil de poèmes que je lis depuis hier et ma tasse. Le reflet du miroir alors que je me déshabille me peine. Je n’ai pas repris tous les kilos perdus durant mes semaines de vadrouille, j’ai l’impression d’avoir perdu cette étincelle de vie qui faisait briller mes yeux et plaquait un sourire sur mon visage. Ce sourire que j’ai un peu l’impression de retrouver lorsque je suis en compagnie de Maxime et des enfants, quand la solitude, elle, me rappelle mon statut et tout ce que j’ai perdu en publiant cet article sur mon blog.

Je me perds dans les poèmes de Baudelaire, galère un peu à tout comprendre, mais admire les sonorités et le jeu des mots. Certains poèmes me parlent plus que d’autres, mais je suis obligée de relire plusieurs fois les vers pour comprendre. Voilà la limite de ma compréhension de la langue.

Plongée dans mes poèmes, je sursaute en entendant frapper à la porte et me redresse vivement dans la baignoire.

— Je suis dans la salle de bain, j’arrive !

Je me rince aussi rapidement que possible et sors de mon petit coin refuge. Je m’enroule dans une serviette et manque de peu la crise cardiaque en ouvrant la porte, car Maxime se trouve juste devant.

— Oh, bonsoir, Maxime, ris-je en maintenant ma serviette qui s’avère être plutôt courte quand on a un visiteur.

— Bonsoir Miléna, répond-il en laissant traîner son regard sur mes jambes nues. Tu vas bien ? Je t’ai appelée, mais tu n’as pas répondu et je me suis demandé s’il y avait un souci.

— Je lisais des poèmes en faisant la sirène, désolée. Ça va, oui, et toi ? Ça a été ta journée ?

— Heureusement que tu ne mets pas à chanter, je risquerais de ne pas résister au chant d’une aussi jolie sirène.

Il passe son doigt dans mon cou pour essuyer une goutte d’eau qui s’écoule sur ma peau et ce simple contact me fait frissonner. J’essaie tant bien que mal de maintenir la serviette fermée sur ma poitrine tout en couvrant mes fesses, mais une partie de moi a envie de jouer et se dit que s’il voit un peu plus, ce n’est pas si grave que ça.

— Tu m’as déjà entendue chanter, il vaut mieux éviter, ça casserait l’ambiance, plaisanté-je en passant près de lui pour aller m’asseoir sur le lit. Tu voulais quelque chose ?

— Je ne m’attendais pas à une vue aussi excitante, j’avoue, mais je ne suis pas venu pour ça. Juste pour te dire que le dîner est prêt et que tu peux descendre pour manger.

Il continue de m’observer et de détailler mes jambes que j’ai croisées afin de lui dissimuler la vue de mon intimité. Dans cette position, c’est plus facile pour moi de dissimuler mon corps, mais son regard brûlant sur moi m’excite énormément. Pour autant, l’annonce du dîner me rafraîchit un peu. Nina et son dîner, beurk.

— D’accord. Je m’habille et j’arrive, alors. Nina mange avec nous, j’imagine ? lui demandé-je en me relevant pour aller chercher des vêtements dans l’armoire.

— Oui, c’est elle qui a tout préparé. Tu as avancé sur la traduction ?

Il reste appuyé au chambranle de la porte et n’a visiblement pas l’intention de me donner un peu d’intimité pour que je m’habille. Je sens d’ailleurs qu’il doit déjà avoir une belle vue sur mes fesses car la serviette ne couvre vraiment pas grand-chose.

— J’ai travaillé un peu dessus cet après-midi, oui. Mais je n’avance pas très vite, je n’ai pas envie de me tromper et de nous diriger sur une mauvaise piste, dis-je en enfilant la seule robe que j’ai, ce qui m’évite de me retrouver totalement nue sous ses yeux.

— Et tu as des pistes pour le trésor ou pas vraiment ? Moi, je crois de plus en plus qu’il faut fouiller dans la Tour. Hier, on a vu une partie qui en parlait, tu n’as rien trouvé de nouveau ?

Je l’observe quelques secondes avant de lui jeter ma serviette au visage pour pouvoir enfiler une culotte.

— La partie que j’ai traduite parlait de la tour aussi, oui. Un lieu élevé, servant à protéger le domaine, c’est forcément là. En espérant que c’est la bonne tour, vu que les autres ont été détruites. Mais je n’ai pas plus d’informations, pour l’instant. On travaille dessus ce soir aussi ?

— Oui, il faudrait qu’on trouve une référence à la Tour de l’Horloge et là, on saurait où chercher. Sinon, il va falloir essayer de retrouver des fondations, creuser, ce serait impossible. Et bien sûr pour ce soir. J’adore admirer tes talents d’investigatrice !

— Tu n’imagines pas à quel point ça me manque, soupiré-je en sortant de ma chambre, suivi de près par le propriétaire des lieux. Merci de me permettre de participer, ça m’occupe et ça me plaît d’en apprendre plus sur le château.

Comme ça me fait plaisir de passer plus de temps avec lui, de le regarder se passionner pour ce vieux grimoire, mais je ne le lui dirai pas, ça. Au lieu de quoi nous rejoignons les enfants et super nounou dans la salle à manger. Madame est déjà installée à table avec les enfants, et son chemisier largement ouvert sur son décolleté me fait lever les yeux au ciel. Elle s’est installée à ma place, en plus, à côté de Lili. Je n’ai pas envie de jouer à ça, mais elle m’agace rien que par sa présence. Elle est clairement en mode séduction, vu le sourire qu’elle lance à Maxime. J’ai presque envie de lui dire qu’il y a quelques minutes, j’étais presque nue devant lui et qu’il semblait apprécier les choses, mais à quoi bon ? Si son patron veut coucher avec elle, grand bien lui fasse, j’ai cru comprendre que depuis le départ de sa femme, Maxime n’avait pas vraiment profité de la vie.

— Je peux m’asseoir à côté de toi, Tom ? Ou tu préfères que je prenne la place en bout de table ? demandé-je, préférant ne pas causer de contrariété ce soir, alors qu’il est calme.

— Je préfère en bout de table, Miléna. Pour l’équilibre entre les énergies de la table. Les plus et les moins vont s’équilibrer, comme ça.

J’acquiesce et déplace mon assiette et mes couverts pour m’installer en bout de table, où j’ai tout le loisir d’observer Nina servir l’entrée à tout le monde, collant sa poitrine sous le nez de Maxime au passage. Elle multiplie les contacts avec lui, posant sa main sur son épaule en riant, attrapant le poivre en même temps que lui, monopolisant son attention comme si nous n’existions pas. C’est même un peu malaisant, en fait. Elle est vraiment à fond et n’a pas froid aux yeux. Peut-être que finalement, il a déjà eu une aventure avec elle ? Je ne sais plus quoi penser, toujours est-il que j’ai l’impression d’assister à une parade nuptiale. Tout en elle crie “prends-moi”, c’est fou.

Je finis par soupirer lourdement en me levant pour débarrasser l’entrée.

— Je vais chercher la suite, puisque vous avez l’air bien occupés, tous les deux. A ce rythme-là, les enfants vont faire nuit blanche, marmonné-je en prenant le plat, me penchant près de Maxime dont les yeux ne manquent pas de plonger dans mon propre décolleté, certainement plus sage que celui de sa babysitter.

— Je viens avec toi, me répond-il en se levant pour me suivre.

Je ne manque pas de remarquer le regard jaloux de Nina qui me fait plus plaisir que je ne voudrais l’admettre, et lui souris en quittant la salle à manger. Je n’aime pas trop jouer à ce jeu-là, mais elle cherche un peu quand même. D’un autre côté, je doute qu’elle sache que Maxime et moi nous sommes embrassés, que nous voulons tous les deux aller plus loin sans franchir le pas. Dans la cuisine, je prends tout mon temps et ne fais pas l’effort de me presser pour apporter la suite. Comme je ne fais pas l’effort de parler à Maxime. J’ai l’impression qu’il joue sur les deux tableaux et ça m’énerve. Je n’ai pourtant jamais été une grosse jalouse, mais là, ça m’agace prodigieusement alors que je n’ai aucune légitimité à l’être.

— Tu devrais l’inviter à dîner, un de ces soirs. Tous les deux, tu vois ? Elle a l’air très intéressée, lui dis-je finalement en préparant l’assaisonnement de la salade.

— Oui, j’ai vu, le spectacle n’est pas déplaisant, mais elle ne m’intéresse pas, tu sais. Je crois que je devrais plutôt lui demander de rester un soir et t’inviter toi, même si ce n’est pas une bonne idée.

— Tu risquerais de te retrouver sans nounou, tu vas la choquer, la pauvre. Et la décevoir, dis-je sans pouvoir cacher ma satisfaction.

— Il y a des sacrifices qu’il faut savoir faire, non ? Tu dois savoir ça mieux que moi, vu ton parcours.

— Il y a des sacrifices qui en valent un peu la peine, même s’ils ne sont pas sans conséquences… Tant qu’elle ne cherche pas à me tuer pour avoir osé t’accaparer, ça va.

— Je te protègerai, ne t’inquiète pas ! répond-il en riant. Je crois que face à moi, elle ne fait pas le poids.

— La vraie question, c’est de savoir si face à elle, moi je fais le poids, murmuré-je plus pour moi que pour lui en rangeant les bouteilles de condiments. Je crois qu’on est bon pour la suite. Je te suis.

— Je t’assure que tu n’as pas beaucoup d'inquiétudes à te faire là-dessus non plus. Tu fais plus que le poids !

Je lui lance un petit sourire et, sans vraiment réfléchir, pose mes lèvres sur les siennes le temps d’un court baiser, qu’il cherche à prolonger en m’enlaçant de son bras libre. Je crève d’envie de lâcher prise avec cet homme… L’envie et la culpabilité mènent une lutte sans précédent dans mon esprit. Je crois n’avoir jamais connu ça à ce point. Toujours est-il que je retourne dans la salle l’esprit plus léger. Malgré l’agacement de voir Nina toujours aussi entreprenante avec lui, devant les enfants en plus, je ne relève pas plus que ça. Après tout, une fois qu’elle sera partie, c’est avec moi qu’il passera la soirée. Certes, ce sera une soirée traduction, mais c’est quelque chose qu’il ne partage qu’avec moi. Et ça, c’est encore un point pour moi, si je me mets à les compter.

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