31. Plus bas que terre

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Maxime

La porte se referme et je reste dans un silence macabre. J’ai l’impression que le chauffage est tombé en panne, qu’il fait un froid dévastateur dans la pièce alors que le feu brûle toujours dans la cheminée. Mais c’est comme si cette chaleur était virtuelle car elle ne m’atteint pas. Je vais chercher la couverture qui traîne sur le canapé et l’enroule autour de moi avant de réaliser que c’est celle que Miléna utilise quand elle a un peu froid. Vite, je l’enlève comme si elle allait me brûler alors que je suis frigorifié. Je suis totalement perdu et je ne sais pas ce que je dois faire, ce que je dois penser.

Quand je repense à la soirée qui est en train de se terminer, je me demande où je n’ai pas fait ce qu’il fallait. J’ai l’impression que tout s’est bien passé au restaurant et qu’elle a apprécié cette soirée avec moi. Les regards qu’elle me lançait ne trompent pas, elle éprouve quelque chose pour moi, ce n’est pas possible autrement. Et pourtant, si c’était le cas, comment expliquer le rateau que je me suis pris quand je l’ai invitée à me suivre dans ma chambre ? J’ai dû me planter quelque part. Cette fille ne veut sûrement que jouer un peu et je suis le parfait objet de ses petites gamineries. Que je suis niais parfois ! Que je suis naïf, souvent ! A part mon château, qu’ai-je à offrir ? J’entretiens mon corps et je fais attention, mais ça reste celui d’un mec qui approche la quarantaine. La moitié de ma vie est déjà passée et je n’ai aucun avenir à lui offrir. Alors, oui, on peut jouer un peu avec moi, se faire plaisir à déclencher de belles déclarations de ma part, mais aller plus loin ? Jamais de la vie, je ne le mérite pas.

Je récupère la couverture et l’enroule à nouveau autour de moi. Mes pensées me ramènent à ma femme. Florence. Elle me faisait vivre un enfer, mais le pire, c’est ce départ sans explication. Elle m’a laissé plein de doutes et j’avais réussi à les mettre un peu de côté, mais ce refus de la part de la jolie Arménienne a remis tout sur le devant de la scène. Si on me quitte, si on ne trouve pas ma séduction convaincante, c’est qu’il faut que je me remette en question. Une fois, ça peut être un accident, deux fois, c’est que je dois être la cause de ces difficultés.

Elle a été gentille de me dire qu’elle est la raison de son recul, que c’est à cause de son Vahik, ce gars que je ne connais pas, que je ne connaîtrai jamais et pourtant que je déteste. Je ne parviens pas à y croire. Si c’était vraiment le cas, elle n’aurait pas accepté ce rendez-vous. Elle ne se serait pas mise à m’embrasser après s’être blottie dans mes bras. J’ai dû dire ou faire quelque chose qui lui a fait comprendre qu’elle se fourvoyait avec moi. Je ne dois m’en prendre qu’à moi-même. Et finalement, c’est sans doute pour le mieux. Cette femme n’est que de passage dans mon existence. Bientôt, elle repartira sur les chemins comme elle est venue. Sans prévenir. Et il faudra que j’apprenne à vivre à nouveau seul, comme je le suis depuis que Florence est partie. J’essaie de positiver et je me dis que finalement, ce que cette histoire m’apprend, c’est que je suis désormais prêt à tourner la page et à vivre de nouvelles histoires. Peut-être qu’il faudrait que je m’inscrive sur un site de rencontres et que je trouve quelqu’un de mon monde, une femme qui ne soit pas une étrangère à ma réalité et qui accepte de faire ce bout de chemin qu’il me reste à parcourir. Ce sera mieux que d’être seul avec mes enfants, non ?

Quand je monte les escaliers, je m’arrête quelques instants dans le couloir. Je vois qu’il y a de la lumière qui filtre sous la porte de la chambre de Miléna, c’est qu’elle ne dort pas encore. J’hésite à aller frapper pour m’excuser de mon attitude, mais je finis par aller dans mon petit espace où j’ai failli me retrouver avec elle. La nuit aurait été bien différente si elle avait accepté de venir et je suis sûr qu’on aurait pu passer un bon moment, tous les deux. Peut-être que c’est ça que je devrais lui demander. En paiement du gîte et du couvert. Un peu de sexe pour soulager mes besoins physiques que je peine à satisfaire avec mes mains. Quoique, si c’est juste pour ça, autant que je demande à Nina plutôt. Elle, elle a envie et si je cédais à ses avances, je ne me traiterais pas de salaud d’abuser d’elle en paiement d’une quelconque aide que je pourrais lui apporter.

J’essaie de me concentrer sur cette idée d’une Nina qui viendrait me retrouver nue dans ma chambre. De cette femme qui s’est déjà offerte à moi et qui n’attend qu’une parole pour le faire à nouveau. Je l’imagine s’asseoir à mes côtés et je repousse sur le côté une mèche rebelle. Mais derrière les cheveux, le visage change et se transforme en celui de la belle Arménienne. Tout de suite, le rythme de mon cœur s’accélère et je suis transporté dans une fièvre qui me pousse à me jeter sur elle. Je lui arrache ses vêtements qui sont miraculeusement apparus, comme pour satisfaire mon besoin de la déshabiller. Elle ne résiste pas à mes assauts et me secoue en me disant :

— Papa ! Papa ! Réveille-toi ! Mamie dit que c’est toi qui nous emmènes à l’école.

J’essaie d’émerger doucement. Je me suis endormi tout habillé dans mon lit et c’est ma fille qui est en train de me réveiller de ce rêve qui devenait de plus en plus étrange. Je mets quelques instants à réaliser que ce n’est pas Miléna qui m’a appelé Papa mais bien Lili qui me sourit et me fait un bisou avant de se redresser. Moi, j’ai l’impression de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit, de ne pas avoir dormi et d’être encore plus fatigué que la veille au soir.

— J’arrive, ma Puce. Je vais me débarbouiller vite fait et je descends. Dis à Mamie qu’elle peut rentrer chez elle, je m’occupe de vous.

— Oui, Papa. Pourquoi t’as dormi avec tes vêtements ?

— J’étais trop fatigué hier soir. Avec Miléna, quand on est rentrés du restaurant, on a étudié le vieux manuscrit en latin, et je crois que ça m’a épuisé. Je dois aller me changer maintenant, j’arrive. Tu vas prendre ton petit déjeuner ? Si tu tardes trop, tes céréales vont être toutes molles.

— Oui, d’accord… Tu devrais pas te coucher trop tard, sinon tu es fatigué pour le travail. C’est ce que tu nous dis pour l’école, faut suivre tes conseils aussi, tu sais ?

— Je sais, ma Chérie, mais des fois, ce n’est pas facile d’être un adulte.

Elle me laisse après un simple haussement d’épaules, incapable d’imaginer ce que c’est que d’être “grand”, je pense. Je me dépêche de me préparer et suis soulagé de ne pas croiser Miléna en bas pendant le petit déjeuner que j’avale rapidement. Ma mère est déjà repartie et, comme c’est le jour de repos de Nina, je pars rapidement avec les enfants pour les déposer à l’école. Il pleut et il fait froid. Il y a du vent et je prends la route vers mon bureau au Port sans joie, dans un silence qui me pèse sans que je n’éprouve le désir d’allumer la radio. Alors que je vais entrer en réunion, un peu plus tard dans la matinée, mon téléphone sonne et je décroche machinalement avant de réaliser qu’il s’agit du fixe du Château.

— Bonjour, Maxime… Est-ce que tu as une minute à m’accorder ?

— Oui, mais rapidement, je dois entrer en réunion. Il y a un souci avec les enfants ?

— Non, non. Je me demandais combien de temps tu avais pour le déjeuner. Disons que… J’aimerais bien t’inviter à déjeuner chez toi, te préparer un repas avec les courses que tu as payées… Bon, j’arrête mes bêtises, c’est ridicule, mais… Je voudrais qu’on discute d’hier soir, et je crois que te préparer un repas, c’est le moins que je puisse faire après mon comportement…

— Tu n’as pas à t’excuser, ni à m’inviter, tu sais. Tout va bien de mon côté et j’ai compris que tu n’étais pas intéressée.

Je mens sans vergogne, mais je refuse de subir la même humiliation qu’hier, de me prendre un nouveau rejet qui finirait de me convaincre de me considérer comme un minable sans charme. Je n’ai pas envie de me retrouver plus bas que terre même si trouver le souterrain du trésor pourrait me mettre un peu de baume au cœur.

— Je n’ai jamais dit que je n’étais pas intéressée, Maxime, soupire-t-elle à l’autre bout du fil. Tu… C’est même le contraire, c’est bien ça, le problème. Viens, s’il te plaît… Tu bosses comme un dingue, tu peux bien prendre une longue pause pour déjeuner, pour une fois, non ?

— C’est le contraire ? Il ne faut pas jouer avec moi comme ça, Miléna. J’ai… Assez souffert, même si ce n’est rien à côté de ce que toi, tu as vécu, j’en conviens. Alors, si c’est juste pour t’amuser, me laisser un baiser et puis me jeter, jette-moi tout de suite, ça vaudra mieux.

— Je ne joue pas, Maxime. Jamais. Je suis juste… Perdue, inquiète, et plein d’autres choses que j’aimerais vraiment pouvoir t’expliquer. Je t’en prie, viens déjeuner avec moi… Laisse-moi une chance de rattraper les choses.

Je vois Nicolas qui montre l’horloge derrière la vitre de la salle de réunion et je soupire. Je n’ai pas le temps d’entrer dans de longs pourparlers avec Miléna et, de toute façon, une immense partie de moi a envie d’accéder à sa demande.

— Bien, soupiré-je. Je serai là à midi trente. A tout à l’heure.

J’avoue que je ne suis pas vraiment la réunion, me contentant de quelques grognements pour exprimer mon accord à tout ce qui est présenté et proposé. Mon esprit est entièrement mobilisé par les propos de Miléna. Je me les repasse en boucle et essaie de savoir ce qui est de l’ordre de la réalité et ce qui est le pur produit de mon imagination. C’est vraiment compliqué, tout ça. Elle a beau dire qu’elle aussi est perdue, il aurait suffit qu’elle couche avec moi, et jamais on ne serait entrés dans une telle situation. Quoique. Si je veux vraiment être honnête avec moi-même, ce n’est pas le sexe qui m’a manqué hier. C’est sa chaleur contre moi, c’est son sourire en face de mon visage, ce sont ses yeux rieurs qui se plongent dans les miens. Si elle me rejette à nouveau tout à l’heure, je crois que j’aurai un mal de chien à me remettre. Franchement, s’il y a un Dieu qui m’entend, où qu’il soit, quelle que soit sa religion, j’espère qu’il va mettre fin à la torture. Parce que là, je morfle. Je morfle grave.

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