40. Saut périlleux vers l'inconnu

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Miléna

Je sors de la voiture alors que Tom est déjà en train de monter les marches qui mènent à la porte du château. Lili me surprend en se glissant sous mon bras pour se lover contre moi, et mon petit cœur fait un saut périlleux dans ma cage thoracique. Je la serre dans mes bras et caresse ses cheveux en silence. J’aime définitivement trop les câlins de la famille de La Marque. En revanche, le regard que me lance Tom depuis la porte, même si je n’arrive pas à le déchiffrer clairement, me peine plus qu’il ne le devrait.

Il a vivement réagi quand le serveur a fait cet impair. La douleur de l’abandon de sa mère est encore vive, alors que Lili semble peut-être avoir davantage accepté les choses. Je dois avouer que la voir s’attacher à moi comme ça me fait un peu flipper. Je n’ai aucune envie de reproduire la même chose que ce que leur mère leur a fait subir, car mon avenir ici, au château, est aussi incertain que celui en France. Pour autant, je ne peux pas la repousser et je n’en ai d’ailleurs aucune envie.

Je dépose un baiser sur son front et récupère mon cadeau sur le siège avant de la suivre à l’intérieur de la maison. Maxime a déjà disparu, je ne sais pas trop où il est ni quel est le programme de l’après-midi, et je ne saurais dire si le savoir loin de moi me rassure ou, au contraire, m’inquiète. J’ai merdé cette nuit et je ne sais pas ce qu’il pense de tout cela. J’ai eu l’impression, à table, qu’il ne s’était absolument rien passé entre nous cette nuit pour lui. Il était égal à lui-même, même s’il s’est montré beaucoup moins entreprenant qu’avant ma bévue d’il y a quelques heures.

Je crois que je ne suis pas très douée avec les hommes de cette famille. Je devrais sans doute me contenter du Girl power, ce serait plus simple.

Constatant que Tom a lui aussi disparu, et désireuse de discuter avec lui de ce qu’il s’est passé ce midi, je pars à sa recherche et finis par frapper à la porte de la suite qu’il partage avec Lili. Je l’entrebaille lorsqu’il me dit d’entrer et passe ma tête dans l’ouverture.

— Est-ce que tu veux bien qu’on discute quelques minutes, Tom ? lui demandé-je calmement alors qu’il est assis sur son lit, en tailleur, un livre sur les genoux.

— Je n’ai pas envie de parler. Le serveur s’est trompé et tu n’es pas ma mère, c’est tout.

Ça a le mérite d’être clair. Il est doué pour poser le décor d’entrée, le petit.

— D’accord. Si tu ne veux pas parler, tu veux bien au moins m’écouter ? Je n’en ai pas pour longtemps, promis.

— Je pense que ça ne pose pas de problème d’écouter, vas-y.

J’entre et referme la porte derrière moi avant d’aller m’asseoir sur le pouf près de la cheminée. J’essaie de réfléchir à mes mots, entre la barrière de la langue et sa compréhension particulière, ce n’est pas aisé de discuter avec Tom, surtout sans faire de bourde.

— Je suis désolée pour ce qu’il s’est passé au restaurant. Et… Je veux juste que tu saches que je ne cherche pas du tout à remplacer ta mère, d’accord ?

Il opine du chef sans toutefois répondre, conformément à la ligne de conduite qu’il s’est fixée. Je comprends cependant à son air qu’il attend que je continue.

— J’essaie de trouver ma place, ici, sans m’imposer, tu sais ? Ce n’est pas facile, mais je ne veux pas te déranger, ou que tu te sentes mal à cause de moi. Tout ce que je souhaite, c’est que tout se passe bien. Je prends ce que tu veux bien me donner, tu comprends ? Je ne t’oblige à rien, comme je n’oblige pas ta sœur à quoi que ce soit.

— Tu sais, je suis content que tu sois là, en vrai, mais ne prends pas la place de ma mère. Je sais qu’elle reviendra et il faut lui garder son espace. C’est tout ce que je te demande.

Ce n’est pas en fricotant avec son père que je vais pouvoir respecter ça.

— Peu importe ce que je fais, la place que je prends ici, ce ne sera jamais celle de ta mère, Tom. Elle aura toujours une place particulière dans vos cœurs à tous les trois. Tu sais, j’aimerais vraiment qu’elle revienne, qu’elle voie les enfants géniaux que vous êtes, ta sœur et toi. Tu crois qu’elle reviendra après tant de temps ? lui demandé-je doucement, hésitante.

— Tu me fais parler, toi, sourit-il. Et oui, je suis sûr qu’elle va revenir. C’est ma mère et elle ne peut pas nous avoir abandonnés sans une bonne raison. Elle reviendra bientôt.

— Je te le souhaite vraiment, mon grand, dis-je en me levant. Je suis journaliste, tu te rappelles ? Faire parler les gens, c’est mon métier.

— Je me rappelle toujours de tout, oui.

— Donc, tu te rappelles que tu m’as dit que je pouvais tout me permettre, aujourd’hui ? Par exemple, si j’ai encore envie de te faire un bisou… Je peux, ou c’est vraiment abusé ? demandé-je en souriant.

Il rit de bon cœur et s’approche de moi, à ma grande surprise en me tendant les bras.

— Tu abuses, mais tu as le droit.

Je ne me fais pas prier et me penche pour une rapide étreinte, ponctuée d’un nouveau bisou sur sa joue.

— J’adore abuser, si ça me donne le droit à des bisous, ris-je. Allez, j’arrête de t’embêter. Merci de m’avoir écoutée et même un peu parlé, Tom.

Je me retourne et tombe sur les beaux yeux de mon châtelain, qui a dû entrouvrir la porte pour venir parler à son fils et a joué les curieux. Je sors de la chambre alors qu’il me laisse passer, reculant dans le couloir, et referme la porte derrière moi.

— Je vois que tu joues les espions. J’espère que tu n’es pas fier de toi, lui dis-je en souriant.

— Je suis impressionné par la façon dont tu as géré mon fils, tu as un vrai talent de journaliste, tu sais ?

— Je suis juste plus douée avec les enfants qu’avec les hommes, soupiré-je. Est-ce qu’on peut avoir cette discussion, tous les deux ? Il faut que je te gère toi, maintenant…

— Tu crois qu’on a vraiment besoin de parler ? J’ai bien compris que tu n’étais pas prête à une vraie relation, tu sais ? Je ne suis pas bête.

— J’essaie, tu sais ? Je te promets que j’essaie. Je veux juste… Je veux juste que tu saches que j’ai encore envie d’essayer, mais que je comprendrais que tu ne veuilles plus qu’on se rapproche.

— J’ai du mal avec le chaud et froid, si tu vois ce que je veux dire, Miléna. Viens, on va aller discuter dans ma chambre, pas envie qu’un des enfants nous surprenne sur ces sujets.

J’acquiesce et le suis docilement jusqu’au bout du couloir. J’ai bien peur que ce soit mort, cette fois. J’ai crashé ma chance contre un mur et ça fait mal, mais ce n’est pas très étonnant et c’est sans aucun doute mérité.

— Je comprends, dis-je une fois qu’il a fermé la porte, sans oser prendre mes aises dans la pièce. Et encore une fois, je suis vraiment désolée, tu ne méritais pas ça…

— Je ne méritais pas quoi ? Recevoir une femme aussi merveilleuse que toi dans ma vie ? Ça, c’est sûr. Et pour le reste, tu n’y es pour rien. Ce n’est pas de ta faute si tu n’es pas prête à autre chose. Moi, ça fait trois ans que je me prépare, et je ne suis pas sûr de l’être encore.

Entendre ses mots me soulage plus que de raison. Qu’il puisse comprendre me rassure. En revanche, son aveu me fait mal au cœur pour lui. Je m’assieds sur le rebord de ce lit où lui et moi avons failli concrétiser notre union d’ados et suis contente de le voir s’installer à mes côtés.

— Qu’est-ce qui te fait dire que tu n’es pas sûr de l’être ? lui demandé-je en posant ma tête sur son épaule.

— Eh bien, si j’étais vraiment prêt, j’aurais commencé les démarches pour le divorce, non ? Je crois qu’au fond de moi, jusqu’à très récemment, j’espérais encore que ma femme revienne et que tout redevienne comme avant. Mais ton arrivée a tout changé, je pense.

— J’espère qu’il ne me faudra pas trois ans pour accepter de tourner la page, soupiré-je avant de rire. On est deux cœurs brisés qui se sont trouvés, le résultat n’est pas fabuleux, hein ?

— Il est surtout frustrant si tu veux mon avis, sourit-il. Parce que sinon, je n’en reviens pas de la chance qui a fait que nos destins se soient croisés.

— Comment tu peux encore appeler ça de la chance après cette nuit ? Je suis tellement désolée, tu sais… Je venais juste pour un câlin, à la base, c’est très égoïste, mais ça me fait toujours un bien fou quand tu me prends dans tes bras et j’en avais besoin…

— Donc, si je fais ça, tu te sens bien ? me demande-t-il en passant son bras autour de mes épaules.

— Toujours, oui, murmuré-je en entourant son torse de mes bras avant de déposer un baiser sur sa joue barbue. J’ai l’impression d’être en sécurité, là. C’est sans doute bête, comme cette idée de jouer les ados, mais… C’est ce que je ressens.

— Je crois que les ados que nous sommes sont en train de bien grandir, non ? Tu as déjà vu des ados qui se parlaient comme ça ? En tous cas, tu es en sécurité, ici, oui. Je te promets qu’il ne t’arrivera rien.

Il a raison. C’est plutôt adulte comme réaction, même si je sens qu’il ne semble pas trop oser me toucher ou faire ce dont il a envie. Évidemment, j’ai remonté un muret entre nous, c’est logique et je peux comprendre qu’il ne veuille pas prendre le risque que je le repousse encore.

— Je me sentais bien, cette nuit. Je… C’était génial. J’avais l’impression d’être prête, tu sais ? J’en avais envie. C’était imprévu, mais je le voulais. J’aurais aimé réussir à passer ce fichu cap qui me bloque. Je m’en veux tellement…

— Arrête de t’en vouloir, ce n’était juste pas le moment… Et le fait que tu aies envie, c’est déjà plutôt bon signe, non ? On va y arriver si on ne perd pas espoir et qu’on continue à essayer, tu ne crois pas ?

— Je ne te mérite pas, ça j’en suis sûre. Pour le reste, je crois qu’on va y arriver, oui. On mérite tous les deux une autre chance d’être heureux, non ?

Maxime reste silencieux un moment avant d’attraper mon menton entre ses doigts et de m’embrasser avec tendresse. J’ai l’impression qu’il scelle ainsi notre conversation, acceptant de nous donner une chance même si tout ceci est bancal. Il me montre qu’il tient à moi et qu’il est encore prêt à attendre, c’est quelque chose que j’osais à peine espérer après ce qu’il s’est passé cette nuit. Une fois encore aujourd’hui, mon cœur fait un saut périlleux dans ma poitrine à cause de la famille de La Marque. J’ai envie d’y croire, envie de tout faire pour que ça marche. Je ne vois plus ma vie sans eux maintenant que j’ai croisé leur route. Il va falloir que je me mette un coup de pied au derrière avec Maxime, parce qu’il mérite vraiment plus qu’une relation d’ados. Il a droit à une vraie histoire, avec une personne qui s’implique à cent pour cent, et je veux être cette personne.

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