50. Fuir pour les protéger

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Miléna

Je tente de m’extirper avec délicatesse des bras de Maxime, mais sa prise se resserre sur moi alors qu’il pousse un petit grognement qui me fait sourire. La nuit a été bien meilleure pour lui que pour moi. Je n’ai pas fermé l’œil, attentive au moindre bruit, inquiète du retour possible de ce type qui s’est pointé au château hier soir. Je ne l’ai vraiment pas senti, et je ne peux m’empêcher de me dire qu’il était là pour moi. J’avais pourtant bien dit à Maxime que donner l’adresse d’ici et y associer mon nom était une mauvaise idée. Jamais Ovsanna n’aurait dû envoyer les documents au château. Et comment ce type connaît-il Lorik ? Est-ce que j’aurais dû éviter de prendre contact avec lui aussi ?

Je ne peux m’empêcher de me dire que j’ai mis en danger Maxime et les enfants en venant ici. Et je n’arrive pas à me sortir de la tête que je dois partir pour les protéger. Je ne me pardonnerais jamais de leur faire prendre des risques. Du moins, pas plus que ce que j’ai déjà fait. Il faut vraiment que je quitte cette maison et ça me brise le cœur. Je n’arrive pas à m’y résoudre, surtout ici, lovée contre le corps chaud de cet homme qui a tant fait pour moi et avec qui je commence à entrevoir un avenir possible. Parce qu’il faut l’admettre, malgré mes doutes et mes peurs, j’ai développé des sentiments pour lui.

Je soupire et dépose un léger baiser sur ses lèvres avant de faire une nouvelle tentative pour sortir du lit. Quand je pose finalement les pieds au sol, ma raison et mon envie se font bataille. Je sais que je dois partir, mais j’ai tellement envie de rester que j’hésite encore en regardant Maxime dormir tranquillement, bien loin de mes inquiétudes et interrogations. J’aurais dû lui en parler, hier soir, mais j’ai préféré garder ça pour moi, par peur que ce soit lui qui me mette dehors pour protéger ses enfants, ce que j’aurais pu comprendre.

Après avoir enfilé mon tee-shirt, je sors aussi doucement que possible de sa chambre, grimaçant alors que le parquet grince sous mes pas près de la porte. J’aimerais embrasser les enfants, leur expliquer que c’est pour eux, qu’il vaut mieux que je m’éloigne. J’aimerais les remercier pour tout. Au lieu de quoi, je vais faire comme leur mère, partir sans regarder derrière moi et sans doute ne plus jamais revenir. Cette pensée me convainc de me poser quelques minutes pour leur écrire un petit mot expliquant rapidement le pourquoi du comment, mais aussi pour les remercier et leur exprimer mon attachement envers chacun d’eux. Une fois mon petit mot terminé, je fais mon sac et le remplis avec le plus de vêtements possibles, laissant dans l’armoire les robes et jupes que Marie m’a ramenées. Je jette un dernier coup d’œil à ma chambre et referme la porte pour descendre au rez-de-chaussée. Le soleil est en train de se lever et la lumière qui perce à travers les grandes fenêtres de part et d’autre du château me laisse un sentiment de mélancolie que je n’ai même pas eu le temps de ressentir lorsque je suis partie d’Arménie. Je fais d’ailleurs un dernier tour dans les différentes pièces et en profite pour déposer ma petite lettre sur le bureau du salon avant de sortir du château. J’essaie de refouler ma peine, mais c’est un gros raté et les larmes me montent aux yeux rapidement alors que je m’arrête sur le pont pour jeter un dernier regard à la bâtisse. Dire qu’au premier étage dorment trois anges qui ont chamboulé ma vie bien plus que je n’aurais jamais pu l’imaginer…

Où est-ce que je vais aller, maintenant ? Qu’est-ce que je vais faire ? Je vais encore me retrouver à la rue, sans but, en errance totale. Je déteste ça. J’ai eu la chance de tomber sur le Père Yves et de ne pas le vivre longtemps, mais ça m’a largement suffi. Je crois que personne n’est fait pour ça, mais alors en ce qui me concerne, c’est juste impossible. Comme rester à ne rien faire chez Maxime. J’ai besoin d’avoir des objectifs, un but, une occupation, besoin de réfléchir, d’organiser… Et là, mon objectif, c’est de me trouver un lieu pour dormir ?

Je ne sais combien de fois je suis tentée de faire demi-tour pour retrouver Maxime et les enfants, alors que je me retrouve sur le bord de la route en direction de Calais. Je n’ai même pas pensé à manger quelque chose avant de partir, ou à prendre quelques réserves. On a connu plus futée comme organisation.

La panique me gagne lorsqu’une voiture me dépasse et s’arrête quelques mètres plus loin. Et si c’était le mec d’hier soir ? Quel peut être son objectif ? L’article est paru, le trafic est démantelé, me tuer ne changerait absolument rien. Je m’arrête de marcher et observe l’homme qui en sort et me fait signe d’approcher. Ce n’est pas celui d’hier soir, et je suis un peu rassurée, mais reste méfiante malgré tout. Il a beau avoir au moins soixante ans, me sourire et sembler bienveillant, Vahik était gentil et adorable à mes yeux, pour au final m’entourlouper pendant des années. Je n’ai plus aucune confiance en mon jugement.

— Bonjour Mademoiselle, vous êtes bien matinale. Vous êtes perdue ? Vous voulez que je vous dépose quelque part ?

Je ne sais pas quoi lui répondre. Honnêtement, je ne dirais pas non à un trajet en voiture. Il fait bon ce matin, mais Calais n’est pas la porte à côté, et je n’ai plus l’habitude de marcher toute la journée.

— Je ne vais pas vous manger, voyons. Vous êtes une réfugiée, non ? Je fais partie d’Utopia, je vais faire mon bénévolat justement.

Qu’est-ce que je risque ? Au pire, vu son âge, je pense que je pourrais m’échapper assez facilement. Il n’a aucun accent, il me sourit et la solitude me pèse déjà.

— Est-ce que vous pouvez me déposer à Calais, alors ? Ce serait gentil, Monsieur.

— Appelez-moi Jacques ! me coupe-t-il. Et montez, je gèle.

J’ai encore un instant d’hésitation, mais finis par le rejoindre et monter à ses côtés, mon sac à dos entre les jambes. Tu m’étonnes qu’il fait froid dehors, vu comme le chauffage souffle dans l’habitacle.

— Merci, Jacques, c’est vraiment gentil, dis-je alors qu’il redémarre déjà.

J’hésite à lui donner mon prénom, à interagir davantage avec lui, mais il baisse le volume de la radio, me signifiant clairement qu’il ne compte pas vraiment faire le taxi silencieux.

— Ben, il faut bien s’entraider, hein ? Surtout vous qui êtes si mignonne. Vous n’avez pas peur de vous balader comme ça, toute seule ? Il faut faire attention, vous savez !

— Vous dites ça pour vous, parce que je suis montée dans votre voiture, ou pour les autres ? lui demandé-je sans savoir si je plaisante ou si je suis sérieuse.

— Mais non, moi, je suis gentil. Jacques n’a jamais fait de mal à une mouche ! Je vous ai dit que j’étais bénévole pour aider les réfugiés ! Ne me vexez pas, voyons, dit-il, plein de bonhomie.

— Pardon, vous avez raison, je suis méfiante, on ne sait jamais sur qui on tombe. Je m’appelle Miléna. Je suis toute seule, alors je n’ai pas trop le choix.

— Et pourquoi vous allez à Calais ? Il y a plus d’avenir à rester en France qu’à essayer de traverser la Mer du Nord, vous savez ?

— J’aime bien la France, mais mon avocat dit que les Arméniens ne sont pas souvent acceptés ici, vous savez ? Apparemment, notre pays est trop calme pour qu’on soit vraiment en danger là-bas, même avec des preuves…

— Ah ça, être accepté, ce n’est pas facile, mais traverser la mer non plus. Enfin, vous faites comme vous voulez. Faites attention à vous, c’est tout ce que je dis. On est mieux sans papier au sec que mort et mouillé, parole de Jacquot !

Il n’a pas tort. Je n’ai pas décidé de partir pour l’Angleterre, ou tout du moins d’essayer, mais je réfléchis à toutes les options possibles, et celle-ci en est une. Bien que d’après ce que j’ai compris, ce soit bien compliqué d’y parvenir, grâce ou à cause de Maxime, entre autres.

— Vous passez par le centre-ville de Calais ? lui demandé-je alors qu’il sifflote au rythme de la musique qui passe dans les enceintes.

— Toute la musique que j’aime, se met-il à chantonner, elle vient de là, elle vient du blues. Oui, je passe par le centre ville. Je vous dépose quelque part ?

— Près de la place principale, ce sera parfait. Merci, Jacques, vraiment.

Il me sourit et se met à chanter plus fort, totalement emporté par la musique. Il est vraiment à fond et je ris alors qu’il se gare sur le bord de la route. Le retour au centre-ville de Calais me rappelle des souvenirs, certains plus agréables que d’autres. Je peux apercevoir le restaurant où Max m’a emmenée dîner et la mélancolie me reprend rapidement.

Je me secoue et ouvre la portière pour descendre de la voiture.

— Merci beaucoup, Jacques Hallyday. Vous avez égayé ma journée. Bonne continuation à vous.

— Bonne chance à vous, Miléna. Et si vous avez besoin, on est près du port d’embarquement. On donne à manger tous les jours.

Je lui souris et lui fais un signe de la main en partant. J’ai quand même la chance de ne tomber que sur des personnes gentilles, ici, en France. Et forcément, je ne peux que penser à nouveau à mes châtelains alors que je prends le chemin de l’église. Je me dis qu’un petit bonjour au Père Yves fera passer un peu le temps.

J’ai un mouvement de recul en voyant la voiture de police garée à quelques mètres du bâtiment, mais c’est trop tard, je suis repérée et un policier me fait signe d’approcher. J’ai un papier qui atteste que j’ai fait des démarches pour régulariser ma situation, mais je ne suis même pas sûre de l’avoir pris avec moi, dans la précipitation du départ, et je marche lentement vers la voiture en essayant de me souvenir si je l’ai rangé dans mon sac.

— Bonjour Monsieur l’agent… Un souci ?

J’essaie bêtement de gommer mon accent pour qu’il se dise qu’il a fait une erreur et ne me contrôle pas, mais je ne peux rien contre ça, il reste entendable malgré tout.

— Vous n’êtes pas d’ici. Vous venez faire quoi au centre ville ? Vous avez un titre de séjour ? me demande-t-il suspicieux en tendant la main pour récupérer le papier.

— Je viens à l’église, Monsieur, dis-je en enlevant mon sac pour fouiller dedans. J’ai commencé les démarches pour obtenir le droit d’asile, j’ai un papier pour ça.

Je commence à paniquer en ne le trouvant pas et sors tout mon barda sur le trottoir sans réussir à mettre la main dessus. Je cherche dans les poches de ma veste et commence à fouiller dans celle des vêtements que je range au fur et à mesure dans mon sac à dos, tentant de gagner du temps pour réfléchir à ce que je vais faire.

— Bon, on arrête là le cinéma, intervient le policier. J’ai compris, tu cherches à te moquer de moi. On va éclaircir tout ça à la gendarmerie parce que là, j’ai autre chose à faire que te voir mettre toutes tes affaires par terre. On n’est pas sur le souk de Marrakech ici ! Allez, hop, tu me suis sans discuter.

J’ai clairement envie de discuter, de la façon dont il me parle, de ses préjugés à la con, mais je me retiens en le voyant attraper mon sac encore ouvert alors que son collègue nous rejoint.

— Je ne me moque pas de vous, soupiré-je. Et je suis Arménienne, Monsieur, pas Marocaine. Mais d’accord, je vous suis.

Il m’attrape le bras et m’accompagne jusqu’à la voiture. Bien, le voyage s’arrête ici. Je me suis fait griller à peine deux heures après être partie du château et j’ai totalement merdé en oubliant de prendre mes papiers. C’est la poisse, je ne sais pas comment je vais m’en sortir sans devoir contacter Maxime. C’est ce qu’on appelle une fugue foirée, non ?

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