55. Les bisous qui parlent

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Maxime

Quand nous revenons au château, je n’ai pas le temps de descendre que les ouvriers qui étaient en train d’installer les caméras m’interpellent et m’accaparent. Il faut décider des angles des caméras qu’ils ont installées et surtout de la manière dont elles vont filmer ce qu’il se passe à l’extérieur du bâtiment. Je décide de ne faire une mise en marche que quand il y a des mouvements et quand on les lance et non de manière continue, je n’ai pas envie que le moindre de nos mouvements soit filmé par un agent à des kilomètres de nous. D’accord pour la sécurité, pas d’accord pour être espionné constamment.

Je termine enfin de gérer toutes leurs questions et pars à la recherche du reste de ma famille. Tom et Lili sont sur la terrasse en train de jouer avec le chiot et de lui faire subir déjà mille misères. J’enlace Miléna qui les regarde depuis la cuisine. Elle est ravissante dans sa petite robe de plage bleu turquoise, et je ne résiste pas à l’envie de la serrer contre moi, de lui poser des petits bisous dans le cou.

— Tu es contente pour le petit chien ? demandé-je en regardant les enfants qui sont toujours absorbés par les mouvements désordonnés du chiot un peu fou-fou.

— Evidemment, il est vraiment trop mignon. Max… Je ne sais pas comment te remercier pour tout ça, je… J’ai conscience de ce que ça te coûte et ça me met vraiment mal à l’aise.

— Ne t’inquiète pas pour l’argent, ce qui compte, c’est que tu te sentes bien et que tu me fasses des sourires comme celui que tu arbores, là, tout de suite. J’aime te faire plaisir, tu sais ?

— Oui, enfin, là, ce sont des plaisirs qui coûtent un bras, et un chien, ce n’est pas rien. Tu auras l’air malin si l’Etat me renvoie chez moi. Il te restera le chien… Enfin, les enfants ont l’air d’être heureux de l’avoir ici, c’est mignon.

— Je ne veux plus que tu t’enfuies à travers les champs, Miléna. J’ai trop besoin de toi à mes côtés, trop besoin de ne pas être à nouveau abandonné. Ton bonheur, ça n’a pas de prix. Arrête donc de parler d’argent et profite, c’est tout ce que je te demande.

Elle ne me répond pas mais tourne la tête vers moi et je ne résiste pas à la vue de ces lèvres si sensuelles qui s’ouvrent légèrement. Je me penche et commence à lui faire un baiser tendre et amoureux. Que c’est bon d’être ainsi enlacés, corps contre corps.

— Papa ! Casanova a l’air d’avoir faim ! s’écrie ma fille qui déboule à son tour dans la cuisine et s’arrête net alors que je m’éloigne vivement de la jolie femme que j’étais en train d’embrasser. Vous faisiez quoi ? Des bisous ? Mais c’est quoi, ça ?

— Lili, attends ! tenté-je de l’arrêter alors qu’elle ressort en courant sur la terrasse. Eh mince… Je crois qu’elle nous a captés, dis-je, résigné.

— Tu devrais aller lui parler, soupire Miléna en enserrant ma main dans la sienne, non sans avoir regardé dans la direction de la terrasse pour être sûre que les enfants ne nous voient pas. Il vaut mieux ne pas laisser traîner ça, je crois…

— J’y vais… J’espère qu’ils ne vont pas se braquer. Souhaite-moi bonne chance.

Je lui serre la main et sors rejoindre mes enfants sur la terrasse. Ils sont toujours en train de jouer avec le chien, mais clairement, ils ont autre chose en tête car j’entends Lili expliquer à Tom ce qu’elle vient de voir.

— Je te promets, il lui faisait des bisous ! Et elle disait rien, c’était pas un viol, heureusement !

Là, on en est loin car je sais qu’elle est consentante, c’est sûr, mais je me dis que Lili doit être en train de ressortir ce qu’ils apprennent à l’école.

— Non, ce n’était pas un viol, je confirme, exprimé-je en venant m’asseoir à leurs côtés.

Immédiatement, Casanova se rapproche de moi. Ces bêtes sont quand même formidables car je suis sûr qu’il sent mon désarroi et qu’il cherche à le diminuer en posant son museau sur mes mains.

— Et donc, c’était quoi, Papa ? Qu’est-ce que tu faisais avec Miléna ? continue Lili.

— Que penses-tu que c’était ? Tu sais bien ce que ça veut dire quand deux personnes se font des bisous, non ? expliqué-je doucement, en caressant le chiot.

— Mais vous n’avez pas le droit de faire ça ! Et Maman ? Tu… Miléna, elle est invitée ici, c’est pas… Elle peut pas remplacer Maman.

— Pour vous, personne ne remplacera votre maman, c’est sûr. Mais pour moi, c’est différent, Tom, je crois que ta mère ne reviendra pas et j’aime beaucoup Miléna. C’est plus qu’une invitée, c’est devenu une vraie amie, et même plus. C’est la vie, tu sais ? Je suis sûr que vous avez plein d’amis dont les parents sont remariés ou en couple après s’être séparés de leur conjoint.

— Mais t’es même pas divorcé de Maman ! Vous êtes encore mariés, donc tu la trompes, là ! C’est nul.

— Techniquement, toi qui aimes bien ce qui est légal ou pas, après deux ans, on considère que c’est un abandon du domicile conjugal, le mariage ne vaut plus rien. Et si tu crois qu’elle ne me trompe pas, elle, tu te leurres ! ajouté-je vivement en repensant à son ancien patron avec qui elle s’est barrée. Bref, vous n’avez pas à me juger dans cette relation.

— T’as pas le droit de t’énerver contre nous, marmonne Lili. C’est toi qui nous caches des choses.

— Oui, tu as raison, Lili, je n’aurais pas dû vous cacher ça, mais tu sais, c’est tout récent, il ne faut pas non plus brusquer les choses. J’aime beaucoup Miléna, et j’avais l’impression que vous aussi, vous l’aimiez bien, je me trompe ?

— Ça change rien, Papa. On l’aime bien, comme amie, comme… Je sais pas, moi, soupire Tom. Mais on ne veut pas d’elle comme Maman, elle ne peut pas prendre sa place !

— Papa a dit qu’elle prenait pas la place de Maman, Tom. Et puis, Maman, elle n’est pas là, de toute façon… Et ça fait longtemps qu’elle n’est plus là.

— Et puis, on est bien, là, tous les quatre. Tous les cinq même, avec Casanova. Cela ne change rien pour vous que je fasse des bisous à Miléna. Et moi, ça me fait du bien, je suis plus heureux, ce n’est pas si mal que ça, si ?

— Ça change rien ? Tu ne regardes jamais les émissions ou les interviews sur les familles recomposées ? Tu te rends compte que tous les deux, vous allez tout chambouler ? Tu vas divorcer de Maman ? Et après, tu vas faire quoi, demander Miléna en mariage ? Et vous ferez des enfants ? Et tu dis que ça ne change rien pour nous ? Tu parles !

— Ouh là, tu t’emballes, là. Calme-toi, on n’en est pas encore là. Avec Miléna, on ne se connait pas depuis très longtemps et on prend notre temps. Vous aurez le temps de vous adapter aux changements s’il y en a, dis-je doucement alors que la concernée se rapproche de nous et nous rejoint, immédiatement accueillie par le petit labrador noir qui vient lui lécher les mains.

— D’accord, je m’emballe, mais si ça marche pas, tous les deux ? Si vous n’êtes plus amoureux et qu’on s’est habitués à ça ? Si elle part comme Maman ? Si elle est renvoyée en Arménie ? Tu vas encore être triste, et nous aussi.

J’ai envie de lui répondre que celui qui souffrirait le plus dans ces conditions, ce ne serait pas lui, mais moi. Et que je sais que je prends un risque, mais comment expliquer ça à un enfant de huit ans, même s’il est aussi avancé que l’est Tom sur le plan intellectuel ? Avant que je ne puisse lui répondre cependant, Miléna prend la parole de sa voix douce et que je trouve si sensuelle, un peu grave mais surtout avec ce si joli accent qui la rend vraiment craquante.

— Tu sais, Tom, la vie c’est comme une équation. Il y a des inconnues partout qu’on aimerait pouvoir résoudre. Mais, la vie ce n’est pas mathématique, il faut prendre des risques, comme j’en ai pris pour venir ici, comme tu en prends à chaque fois que tu essaies de devenir ami avec un camarade de classe. Si on n’essaie pas, on ne fait rien, on ne vit pas. Et puis, même si on ne sait pas ce que l’avenir nous réserve, dans tous les cas, tu pourras toujours compter sur ta sœur et ton père. Je n’ai pas l’intention de partir, sauf si vous me mettez dehors, bien sûr. Et… Si on me renvoie en Arménie… Je prendrai le risque de revenir, parce que vous en valez la peine, tous les trois.

Un silence s’installe entre nous, à peine dérangé par les petits bruits que fait le chien qui me mordille le doigt alors que je le caresse. J’observe la réaction de mes enfants et vois avec soulagement que Lili semble se faire une raison assez vite finalement. Pour Tom, c’est plus complexe. Il n’aime pas le changement et surtout, il est convaincu au fond de lui que sa mère va revenir et que tout va redevenir comme avant, à ce moment qu’il idéalise dans son souvenir d’enfance.

— Moi, j’espère qu’elle ne sera pas renvoyée, les enfants, parce que c’est vraiment quelqu’un qui a souffert dans son pays et qui peut avoir une nouvelle chance ici. Comme moi, d’ailleurs, grâce à elle, j’ai une nouvelle chance au bonheur, je dois tout faire pour la saisir, non ?

— Moi, je veux pas d’une nouvelle chance avec elle, grommelle Tom. Je veux juste que Maman revienne et s’occupe à nouveau de nous. Elle sera fière de moi, je suis sûr. Elle est très bien en tant qu’invitée, je la veux pas en tant que Maman.

— Tu n’as qu’une Maman, et jamais je ne pourrai la remplacer, Tom. Ce n’est pas du tout mon objectif, tu sais ? Mais… La vie est bien faite, il y a de la place pour tous les gens qu’on veut bien accepter. Regarde ton père, il vous aime de tout son cœur, et pourtant il accueille Casanova et il l’aime déjà, ce n’est pas pour ça qu’il vous aime moins. Pour moi… Vahik aura toujours une place dans mon cœur, mais vous aussi, vous y avez votre place. Tu as le droit d’apprécier d’autres personnes sans que ton amour pour les autres diminue.

— Elle a raison, Tom. Et puis, Papa a bien le droit d’avoir quelqu’un à ses côtés. Toi et moi, on se soutient, mais qui aide Papa quand il ne va pas bien ? Eh bien, maintenant, il a Miléna, et ça ne change rien pour nous. Alors, il faut qu’on soit contents pour lui !

Ma fille a tout compris et j’adore sa façon de voir les choses. Surtout quand elle se lève et prend la main de Miléna pour l’inclure dans notre petit cercle autour de Casanova. Tom n’a pas l’air totalement convaincu mais il tend aussi sa main à Miléna qui s’en saisit avec précaution, comme si le moindre geste pouvait l’effrayer encore davantage. J’ouvre les bras et ils viennent tous s’y réfugier jusqu’à ce que le chiot se mette à aboyer, visiblement jaloux de ne plus être au centre de toutes les attentions. Nous éclatons tous de rire en même temps devant son air triste et je suis soulagé de voir que désormais, nous n’aurons plus à nous cacher à la maison. Je pense qu’on va rester discrets pour ne pas les perturber plus que ça, mais il n’y a plus à dissimuler notre situation comme avant. C’est déjà ça.

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