61. Coup de tonnerre au château

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Maxime

Je raccroche et reste un moment complètement sous le choc de ce que vient de me dire Miléna. Je n’arrive pas à réaliser ce qu’il est en train de se passer au château. Florence est de retour. Quatre mots seulement, je devrais pouvoir les comprendre et réaliser ce qu’il y a derrière, mais mon cerveau refuse de fonctionner. J’ai lancé la procédure de divorce pour abandon du domicile conjugal et hop, la voilà qui débarque. J’ai laissé mon cœur s’ouvrir à une autre femme et pan, elle arrive, la fleur au fusil. J’étais prêt à tourner la page et voilà qu’elle se ramène. J’ai l’impression que je subis le même choc que quand elle s’est barrée du jour au lendemain sans même me prévenir. Je repense à toutes ces soirées que j’ai passées à lui téléphoner, à lui envoyer des mails, sans réponse, jusqu’à ce soir, presque trois mois après son départ, où elle m’a envoyé un simple mail.

— Maxime, arrête de te ridiculiser. Toi et moi, c’est fini. Je suis partie avec Patrick et je vais refaire ma vie. Ne me recontacte pas. Florence.

Une vingtaine de mots et mon monde s’est écroulé. Quatre phrases et c’était fini. Horrible. Et là, suite au coup de téléphone de Miléna, j’ai l’impression de revivre à nouveau toute la détresse que j’ai ressentie à cette époque-là. Et j’ai une folle envie de quitter le boulot tout de suite et d’aller la tuer. D’aller lui faire comprendre à quel point elle m’a fait souffrir. J’hésite sur la conduite à tenir parce que je meurs d’envie de rentrer chez moi, d’aller régler ce souci tout de suite, mais je suis déjà arrivé en retard, ce ne serait pas sérieux de partir déjà. Mais le ton de Miléna, qu’elle a cherché à maîtriser, finit de me convaincre. J’ai entendu la supplique dans sa voix, sa demande silencieuse d’aide et de soutien. Je ne peux me soustraire à ce besoin qu’elle a exprimé sans le dire, je n’ai pas le droit de la laisser gérer le retour de ma femme sans venir la soutenir.

— Yasmina, je suis désolé, mais j’ai une urgence personnelle à gérer. Je vais devoir y aller. Vous me couvrez si quelqu’un demande où je suis ?

Ma secrétaire me regarde, un peu surprise de ma demande, mais elle peut constater que je suis déjà prêt à partir, mes clés de voiture à la main.

— D’accord, Maxime, je vais essayer, mais je suis une piètre menteuse, vous savez. Rien de grave, j’espère ? Ça va ? Vous avez l’air un peu préoccupé.

— Ma femme est de retour… Je dois aller voir si c’est vrai ou pas… Et gérer le souci. Bref, merci à vous. Faites comme vous pouvez.

Je ne m’attarde pas davantage et file vers le Château aussi vite que je le peux. Pour une fois, quand je franchis les portes de mon domaine, ce n’est pas la sérénité qui m’envahit, mais je sens au contraire la colère monter en moi. Quand je me gare, je remarque tout de suite la grosse voiture blanche stationnée à ma place. Encore plus que le coup de téléphone de Miléna, cela rend le retour de ma femme plus concret.

Je pénètre dans le hall d’entrée et sens tout de suite le parfum entêtant que ma femme portait déjà à l’époque. Ce n’est donc vraiment pas un cauchemar que je suis en train de vivre. La première chose que je veux faire, c’est aller réconforter et rassurer Miléna sur mes intentions et je me dirige vers l’étage quand une voix que je connais trop bien m’interpelle.

— Ah, Maxime, te voilà déjà ! Je vois qu’elle a bien fait son travail, la petite impertinente, me dit-elle en traversant le hall pour me rejoindre.

Je me stoppe dans l’escalier et me retourne lentement vers elle. La première chose que je remarque, c’est qu’elle n’a pas changé physiquement, à part la coupe de cheveux plus courte. Elle est toujours la même femme, celle qui à l’époque avait su me charmer avec son style et son élégance, avec son regard perçant et déterminé et avec ce côté affirmé et sûr d’elle qu’elle n’abandonnait qu’une fois dans mes bras. Comme s’il ne s’était pas passé trois ans depuis notre dernier échange, elle s’avance vers moi en conquérante et je dois me faire violence pour ne pas céder à la force de l’habitude et la repousser avant qu’elle ne vienne m’embrasser.

— La petite impertinente, comme tu dis, s’appelle Miléna et elle était là pendant que tu batifolais avec ton patron. Tu fais quoi, ici ? dis-je abruptement.

— Maxou, ne commence pas, s’il te plaît. Je comprends que tout ça ait été difficile pour toi, et je suis désolée, tu sais ? On ne se rend compte de ce qui est important que lorsqu’on le perd.

— Déjà, arrête de m’appeler Maxou. Tu as perdu ce droit quand tu as accepté la bite de ce connard. Tu n’es plus rien pour moi, tu as choisi de te barrer avec un autre, d’abandonner ton mari et tes enfants, tu as perdu tous tes droits ici. Alors, tu peux être désolée tout ce que tu veux, mais je t’en prie, ne commence pas à jouer la femme éplorée.

Je ne peux m’empêcher de hausser le ton, de crier presque, et mon énervement a dû s’entendre jusqu’à l’étage car je vois du coin de l'œil que Miléna est apparue en haut des escaliers. Ma femme, elle, semble un peu sous le choc face à la virulence de mes propos et fait un petit pas de recul avant de se ressaisir.

— Ta colère montre tout le contraire de ce que tu dis. Si je n’étais plus rien pour toi, tu ne serais pas autant sur la défensive, Maxime, me sourit-elle en attrapant ma main.

Le pire, c’est qu’elle a raison. Une partie de mon esprit a envie de renouer avec le passé, de retrouver cette femme que j’ai cru tant aimer jusqu’à sa trahison. Une partie de moi a envie de tout lui pardonner et de reprendre la vie d’avant, de retrouver nos petites habitudes. De la revoir là, en face de moi, cela fait remonter tout un tas de souvenirs de notre vie commune, de notre mariage, de la naissance des enfants, des moments de pur bonheur qu’on a connus à deux. Mais une part plus importante de mon esprit est en train de prendre le dessus. Parce que je réalise à ce moment-là que je n’éprouve plus aucune affection pour elle, plus aucun sentiment. Ce petit sourire qui me faisait craquer ne fait que m’énerver. Sa trahison et son éloignement m’ont ouvert les yeux. Ce n’est pas elle que j’aimais vraiment, c’était ce sentiment d’avoir dompté une forte personnalité, ce n’est pas la femme que j’appréciais, mais la situation qu’elle amenait avec la respectabilité d’un mariage a priori parfait et d’une famille idéale. Mais rien n’était idéal, rien n’était parfait. Tout n’était qu’illusion et elle a profité de ma naïveté pour se taper son patron et se barrer avec lui. La rage qui m’étreint est quasi incontrôlable et je dégage ma main avant d’attraper brutalement son poignet pour la repousser vivement loin de moi. Surprise par la violence de mon geste, elle fait plusieurs pas en arrière et manque de tomber.

— Ne me touche pas, Florence. Ne me touche plus et surtout, arrête avec tes minauderies. Cela ne fonctionne plus. Cela n’aurait jamais dû fonctionner. J’ai été con, j’ai été faible, mais c’est fini tout ça. Si tu t’approches encore de moi, je te préviens, je pourrais être violent parce que j’ai trois ans de rage et de colère enfouis en moi. Je te l’ai dit et je te le répète, tu n’es plus rien pour moi. Alors, que les choses soient claires, continué-je froidement, tu n’as plus ta place ici et tu n’as rien à faire dans ce château. Je vois que tu as déjà sorti tes valises, mais ne te donne même pas la peine de les ranger, tu peux les foutre dans ta bagnole de merde et repartir d’où tu es venue.

— Hors de question que je reparte, Maxime, me dit-elle calmement. Je compte bien me faire pardonner et discuter avec toi. Tu peux tout me mettre sur le dos, mais c’est cinquante-cinquante dans un couple. Peut-être que j’ai merdé, mais tu n’étais pas parfait non plus. Alors, on va reposer les choses, discuter, et ensuite peut-être que je partirai. Mais pour le moment, je me réinstalle chez nous, je retrouve mon mari et mes enfants. C’est comme ça.

Nous nous affrontons un instant dans le silence qui s’est installé et qui contraste avec les cris et les paroles que nous venons de nous échanger. J’hésite sur la conduite à tenir mais ne romps pas le combat visuel que nous sommes en train de mener. Aucun de nous deux ne veut céder et j’ai l’impression que la tension est palpable, que le moindre événement pourrait déclencher une guerre totale. La colère emplit toujours tout mon être et je suis tendu comme jamais je ne l’ai été. J’essaie de respirer plus fortement et de ne pas me laisser emporter par mon énervement, mais c’est compliqué. L’objet de tout mon désespoir, de toute ma colère est là, à quelques pas de moi, et l’envie d’aller la fracasser est omniprésente. Mais la partie rationnelle de mon cerveau cherche à me calmer, à me faire réfléchir. Un petit mouvement à l’étage appelle mon attention et je détourne enfin le regard pour constater que Miléna est là, qu’elle semble sous le choc de ce qu’elle est en train de voir. Je n’ai pas le droit de faire n’importe quoi, je n’ai pas le droit de foutre en l’air tout ce que j’ai commencé à reconstruire. Aussi abjecte que je puisse la trouver, Florence n’en reste pas moins la mère de mes enfants, et ça aussi, il faut que je le prenne en compte. Je puise de l’énergie dans l’échange visuel que j’ai avec ma jolie Arménienne, et me retourne, plus calme, vers ma femme.

— Le divorce n’est pas encore prononcé, tu as raison, je n’ai pas le droit de te dire de partir. C’est toujours ton domicile ici. Et les enfants seront là demain. Je ne sais pas si tu te souviens d’eux, si tu sais encore ce que c’est qu’être une mère, mais je crois qu’ils seront contents de te voir, eux. Alors, écoute-moi, Florence, parce que je ne le répéterai pas et tant pis pour toi si tu ne respectes pas ce que je vais te demander. Tu vas pouvoir t’installer dans la suite du Hutin. On l’a remise en état récemment et elle va pouvoir t’accueillir. Je ne veux rien avoir à faire avec toi. Chacun dans son coin, chacun son espace. Si tu viens me parler, ce sera à tes risques et périls car j’ai du mal à contenir la colère que je ressens envers toi. Et dès que le divorce sera prononcé, je vais demander à mon avocat qu’il exige que tu quittes ce domicile qui ne t’appartient pas du tout. Je remercie mon père de nous avoir fait signer un contrat de mariage à l’époque car ici, sur ce château, tu n’as aucun droit. Suis-je clair ? Ah, et avant que tu ne répondes, le chien reste ici parce que lui est chez lui. Si tu n’es pas contente, tu te barres.

— C'est très clair, mon Chéri. Mais compte sur moi pour ne pas lâcher l'affaire. Tu sais très bien que j'obtiens tout ce que je veux, et peu importe le temps que ça prendra, toi et moi, c'est pour la vie. Je ne suis pas près de signer tes papiers de divorce, Joli cœur en colère.

Je grimace à l’emploi de ses petits termes affectueux mais je préfère ne pas les relever.

— Tu rêves, Florence. Tu ferais mieux de retourner chez ton Patrick parce qu’ici, tu n’as aucun avenir. Et je t’assure que les papiers, tu les signeras. De gré ou de force, mais j’ai la loi pour moi. Tu sais où est la suite, je te laisse te débrouiller avec tes affaires.

Je mets fin à cette discussion houleuse avant de me laisser de nouveau envahir par la colère et monte les escaliers quatre à quatre. Je sens le regard de ma femme sur moi mais l’ignore autant que possible et fais signe à Miléna de me suivre dans ma chambre. Elle semble complètement bouleversée par tout ce dont elle vient d’être le témoin et je m’en veux de lui faire vivre tout ça. A peine la porte refermée, je m’approche d’elle et l’enlace contre moi. J’ai l’impression qu’elle est un peu réticente à cette étreinte et la relâche rapidement.

— Oh Miléna, je suis désolé que tu m’aies vu m’énerver comme ça. Et je suis désolé aussi que tu te retrouves au milieu de cette histoire…

— Ta femme vient de revenir… Même en le disant à voix haute, j'ai du mal à réaliser. Les enfants vont être tellement contents de retrouver leur mère, Max. C'est… C'est formidable, me dit-elle sans même me regarder dans les yeux avant d'aller s'asseoir sur le bord du lit où l'ambiance était totalement différente ce matin.

Je viens m’asseoir à ses côtés et passe un bras autour de ses épaules. J’essaie de lui montrer physiquement que je suis là, à ses côtés.

— Tu sais que ça ne change rien pour nous, Miléna ? Je t’aime et c’est avec toi que je veux continuer ma vie, pas avec la furie en bas.

— Arrête d'essayer de me réconforter, Maxime. C'est toi qui dois être chamboulé par tout ça. Moi… Moi, ça passe après le reste. La furie a l'air d'avoir envie de retrouver sa famille.

— Je ne suis plus tout seul, Miléna, le futur, c’est à deux que je veux le conjuguer. Et cette épreuve, c’est avec toi que je veux l’affronter. Si tu n’avais pas été là tout à l’heure, je me demande si j’aurais su me contenir face à cette conne qui revient comme si tout était normal, comme si elle rentrait de vacances. J’ai besoin de toi, Miléna, je… Je ne pourrai pas m’en sortir sans toi, avoué-je alors que ma voix se casse et que je ne peux retenir un sanglot.

Après toutes les émotions que je viens de vivre, je sens tous mes barrages s’effondrer et je me retrouve à sangloter comme un gamin. J’ai honte de montrer tant de faiblesse, de pleurer ainsi devant elle. Je me dis qu’après ça, je vais perdre toute son estime, mais je ne peux faire autrement. L’émotion est trop forte.

— Oh Max… Je suis là, me chuchote-t-elle à l'oreille en m'enlaçant. Je ne compte pas partir, sauf si tu me mets dehors. Tu peux compter sur moi, je ne te lâche pas. C'est juste que tout ça est plutôt bouleversant, et pousse forcément à se poser des questions, mais peu importe les décisions que tu prendras, tout ce que je veux, moi, c'est que tu sois heureux, alors je serai là.

C'est fou comme ces quelques paroles me font du bien. J'ai l'impression que la Terre se remet à tourner, que je me remets à respirer. Je ne sais pas ce qu'il va se passer maintenant que Florence est revenue, mais je suis soulagé de voir que Miléna ne va pas fuir. Sa promesse de rester à mes côtés me redonne un peu d'espoir. A deux, on devrait pouvoir surmonter cette épreuve, non ?

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