74. La supplique de la Folle

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Miléna


Installée sur la terrasse, le nez dans le petit livre trouvé dans le souterrain, j'écoute tout ce qui se passe autour de moi. Certaines choses sont apaisantes et agréables, comme entendre Maxime tondre la pelouse au loin ou les enfants jouer avec Casanova à quelques mètres de là. Les oiseaux qui chantent me font également sourire, tout comme le clapotis de l'eau quand un canard se décide à y plonger la tête pour nettoyer ses plumes. Et puis, il y a les murmures qui me dérangent, à la fois parce que je n'arrive pas à entendre ce que se disent Florence et ses parents, mais aussi parce que je sens toute l'électricité qui se dégage de cet échange.

J’ai du mal à me concentrer sur ma tâche, du coup, essayant de percevoir quel est l’enjeu de cette conversation plutôt houleuse, je crois. C’est son père qui semble être le plus vindicatif, mais il reste assez discret malgré tout, jusqu’à ce que les enfants les appellent pour leur montrer le jardin que nous entretenons depuis que nous avons planté tomates, salades et autres fruits et légumes.

— On en rediscutera, Florence, tonne la voix de son père qui se lève pour aller rejoindre les petits.

Je vois du coin de l’œil Irène prendre sa fille dans ses bras et la serrer contre elle en lui caressant le dos.

— C’est la meilleure solution, tu le sais, ma belle. Réfléchis-y.

Les parents de la future ex-Madame De la Marque ne sont pas très fans de moi. Ils ne sont pas désagréables, certes, mais je pense qu’ils sont convaincus que si je n’étais pas là, Maxime donnerait une nouvelle chance à leur fille. Égoïstement, je suis contente d’être là, pour moi, c’est sûr, mais pour lui aussi. Je crois qu’il ferait une grossière erreur en donnant cette nouvelle chance à Florence. D’ailleurs, je me demande comment ils ont pu cohabiter ensemble, quand je vois à quel point ils sont différents tous les deux. Et puis, pour Lili, c’est compliqué aussi. J’ai encore en tête notre conversation d’il y a quelques jours, et je me demande encore si je devrais en parler à Max.

Je me crispe immédiatement en voyant la mère des petits s’installer sur le fauteuil à mes côtés. C’est juste viscéral, je n’y arrive pas, avec elle. Et il ne s’agit pas uniquement de jalousie. C’est tout son être, ce qu’elle dégage, ses manières, ce qu’elle fait, la façon dont elle me parle ou parle à Max et aux enfants. Je ne sais pas, je ne peux pas, tout simplement. Alors, j’essaie d’occulter sa présence et me replonge dans ma traduction, lorsqu’elle se racle la gorge et rapproche son fauteuil avant de m’interpeller.

— Miléna, on peut parler un peu ? J’ai… Il faut que je vous demande quelque chose d’important.

— Me demander quelque chose ? m’étonné-je en relevant finalement les yeux. Je ne suis pas payée pour faire le ménage, si c’est ça que vous voulez me demander de faire.

— Non, non, ce n’est pas ça. J’ai été injuste avec vous, Miléna, je tenais à m’en excuser. Même si j’avoue que j’apprécie votre cuisine, vous le faites tellement mieux que moi.

J’essaie de rester stoïque, mais j’ai l’impression qu’elle me passe de la crème dans le dos pour m’anesthésier un peu avant de me la mettre à l’envers. Ce n’est tellement pas elle, ça ! Ou alors, ses parents ont un effet positif sur elle.

— Je ne suis pas une grande cuisinière, je me contente de suivre des recettes, mais… Merci, j’imagine.

— Il faut bien reconnaître les qualités des autres. Même si vous ne devez pas m’en trouver beaucoup, soupire-t-elle tristement. Vous avez de la chance que Maxou se soit épris de vous, vous savez ?

— J’en ai conscience, oui. C’est un homme bien, lui dis-je laconiquement. Où est-ce que vous voulez en venir ?

Elle hésite clairement à continuer et je la vois qui se triture les mains, mais quand elle relève les yeux vers moi, je comprends qu’elle s’est décidée à me parler.

— Miléna, je sais que vous êtes une fille bien, que vous avez un grand cœur et c’est à ce cœur que je veux parler. Il faut… Non, ce serait bien que vous me laissiez une vraie chance avec mon mari. Vous ne croyez pas qu’on la mérite un peu quand même ? J’ai fait des erreurs, certes, mais personne n’est parfait…

Bingo… Elle va me demander de m’effacer, génial. D’ici à ce qu’elle me parle de l’intérêt des enfants, il n’y a qu’un pas.

— Je veux bien entendre que vous ayez envie de cette chance, mais vous ne pouvez pas obliger Maxime à être encore amoureux de vous. Il ne l’est plus, c’est un fait… Je suis désolée, mais je crois que vous devriez passer à autre chose, Florence. Je suis sûre que vous pourriez trouver quelqu’un de bien.

— Oh Miléna, j’ai bien compris qu’il n’était plus amoureux… Mais il faut que j’essaie. Vous le savez comme moi, s’il ne vous voit plus tous les jours, peut-être qu’il me redonnera une chance ? Qu’il finira par se réhabituer à moi ? Et je peux même le laisser vous faire plaisir de temps en temps, vous savez, cela ne me dérangerait pas du tout. Mais, pour les enfants, pour notre famille, vous ne pensez pas que ce serait bien qu’on essaie à nouveau d’être une famille ?

Double bingo. Je devrais peut-être jouer à l’Euro Million aujourd’hui. Et le pire, c’est qu’elle fait mouche. Evidemment que j’ai eu cette pensée, à plusieurs reprises. J’en ai même discuté avec Maxime.

— Me faire plaisir de temps en temps ? Je crois que vous ne comprenez pas, Florence. Je l’aime, moi. Je n’ai aucune envie de le partager, de ne l’avoir qu’une fois de temps en temps.

— Oh Miléna, ne m’obligez pas à me mettre à genoux devant vous, mais s’il faut le faire, je le ferai. J’ai besoin de vous, de votre compréhension… S’il vous plaît, donnez-moi une chance. Donnez à ma famille une chance… Je… Je sais que c’est un grand sacrifice que je vous demande, mais si vous l’aimez, laissez-lui la possibilité de retrouver sa famille comme avant et de décider s’il veut la garder comme ça ou la faire exploser en vous y invitant…

Elle est plutôt douée et convaincante, cette… Voldemort arrive à me faire douter. C’est stupide, Max a choisi de demander le divorce, je ne lui ai pas mis la corde au cou, je ne lui ai jamais suggéré quoi que ce soit.

— Vous pouvez comprendre qu’après trois ans sans nouvelles, Maxime ait tourné la page, non ? Je n’y suis pour rien, moi, c’est son choix de demander le divorce, Florence…

— Si vous le laissez continuer comme ça, mes parents vont m’emmener avec eux. Ils veulent que j’accepte le divorce et… Ils vont me faire interner. Ils disent que c’est de la dépression, mais je sais qu’ils me croient folle. Oh Miléna, continue-t-elle en s’agenouillant vraiment à mes côtés, vous êtes mon seul espoir. Sans vous, je perds tout. Jamais plus je ne verrai mes enfants si je suis hospitalisée en psychiatrie. Je vous en supplie, Miléna, dites-moi que vous me laissez une petite chance…

Elle semble tellement fragile à cet instant qu’elle arrive finalement à parler à mon cœur… C’est moche et vraiment bien joué de sa part.

— L’internement ? Ce n’est pas définitif, ça. C’est pour votre bien, ça, et donc pour celui de vos enfants.

— Et vous croyez vraiment qu’un juge laisserait des enfants à une personne déclarée folle ? Je ne le suis pas, Miléna, croyez-moi. Avec Maxou, je peux redevenir moi-même. Et il continuera de vous aider quoi qu’il arrive, je le connais bien après toutes ces années où on était mariés…

Je me lève et m’éloigne d’elle, mal à l’aise. Elle est vraiment culottée, honnêtement. Mais elle n’a pas tort, en soi. Sur certains points.

— Je ne suis pas avec lui pour qu’il m’aide, Florence. Arrêtez avec vos préjugés de merde. Oui, il m’a hébergée pour ça, à la base, mais je ne suis pas en couple avec Maxime parce que j’ai besoin d’un hébergement ou d’être accompagnée à la préfecture. Vos parents ont peut-être raison de vouloir que vous consultiez pour aller mieux, ce n’est pas une autre personne qui vous permettra de vous rétablir.

— Florence ! Relève-toi, voyons, tonne une voix masculine derrière moi. Tu n’as donc pas compris ce que je t’ai dit ? Arrête de t’humilier comme ça ! Ce n’est pas digne de toi ! Et laisse donc cette pauvre Miléna tranquille !

Eric semble plutôt désabusé, un peu agacé même, et Florence a un air coupable affiché sur le visage. Et moi je me retrouve une fois de plus au beau milieu de tout ça.

— Ce n’est rien, elle est inquiète pour la suite, je comprends qu’elle cherche des solutions, je vous assure.

Même si pour ça elle veut m’évincer.

— Florence, on repart demain et tu rentres avec nous. Si tu restes ici, tu vas devenir folle. Et tu vas perdre tout espoir d’avoir tes enfants avec toi, un jour. Non mais, tu te rends compte de ce que tu fais juste pour retrouver Maxime dans ton lit ? Ce n’est pas possible de continuer comme ça !

— Je ne veux pas repartir, Papa. Arrête de vouloir gérer ma vie, je t’en prie !

— Tu n’es plus en capacité de rien gérer, ma Pucette. Allez, n’embête plus Miléna et les autres, viens.

Elle ne répond pas et se lève brusquement avant de s’engouffrer dans la maison, visiblement agacée par l’attention que lui porte son père.

— J’espère qu’elle ira vite mieux, pour les enfants… Vous croyez qu’elle va accepter de se faire soigner ? Enfin, ça ne me regarde pas, excusez-moi…

— Non, ça ne vous regarde pas, mais on va essayer de la faire soigner, oui. Elle en a besoin.

J’acquiesce en silence et rassemble mes affaires pour rentrer à mon tour. Je subis le comportement de sa fille depuis des semaines, mais ça ne me regarde pas, très bien, je veux bien l’entendre, même si ça m’agace. Mais si c’est vraiment chacun ses problèmes, je vais arrêter de me retenir de tout avec Max devant nos invités pour éviter de froisser qui que ce soit. Je vais vivre ma vie et assumer mes envies, tant pis si ça gêne ou agace Florence, si j’ai droit à des regards encore plus noirs de son père. Et vivement que l’on retrouve une certaine sérénité au château, tout ceci est bien trop oppressant.

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