Faits divers
Ça caille ce soir ! Je souffle au creux de mes mains pour leur donner un peu de chaleur. Oh ! C’est bon ça. Je presse le pas. Je savais que je n’aurais pas dû sortir. Mais ils ont insisté. Et puis, bon… C’était quand même le pot de départ de Greg. Toujours perdue dans mes pensées. J’avance. Mes talons claquent sur les pavés des ruelles du quartier. Un écho seulement. De mes pas. Rapides. Et de cette envie pressante de rentrer. Personne ne m’attendait. Mais je me jetterais au chaud dans un lit confortable. Et je m’effondrerais par la fatigue d’une journée interminable. L’hiver est là. Les pots de fin d’année aussi. Un mois de fêtes. Un long marathon à tenir jusqu’aux nouvelles résolutions.
Deux heures du matin. Plus que deux rues. Et j’arriverais enfin au pied de l’immeuble. Rue du Maréchal. J’ai souvent l’habitude d’y passer. De m’arrêter. Regarder les nouveaux graffes. Des jeunes. De la rue. Mais la nuit. Ça fait flipper ! Y’a toujours des trucs qui s’passent dans les ruelles adjacentes. Donc, je la traverse avec un pas plus rapide. Tête baissée. Pour ne provoquer personne. J’avance. Le cœur battant à vive allure. J’ai compté les pas. Bientôt la fin de la rue.
J’entame les dix derniers mètres de la rue. Dans un silence criant, percé par les seuls échos de mes talons sur les pavés. Un bruit. Un flash. Au fond de la dernière ruelle, m’interpellent. Je reste là. Pétrifiée par l’inattendu. Hésitant à m’enfoncer dans la pénombre du cul-de-sac. Je tente de percer l’obscurité en plissant les yeux. Au loin, je semble apercevoir une silhouette. Je m’avance. Le cœur en suspens. Ne comptant plus les battements de mon cœur. L’adrénaline à elle seule me tenait debout.
Et là. Assise par terre. Une jeune femme. Complètement perdue et apeurée. Je regarde autour de nous. Rien que le néant. Un noir étouffant. Un silence angoissant. Elle était toute seule dans cette ruelle sombre. Recroquevillée sur elle-même. Gelée par les températures nocturnes de Décembre. Pétrifiée par l’obscurité des lieux. Elle s’était abritée derrière les poubelles d’un restaurant d’quartier. Elle tenait dans sa main droite, une lame ensanglantée. Je me suis approchée d’elle. Lui ai adressé quelques mots. Elle ne semblait pas comprendre. Son regard vide et figé me laissait croire à un état de choc. Elle tremblait. Ne pouvant lâcher ce couteau.
Je lui ai parlé. Quelques minutes. De qui j’étais. Pouvait peut-être lui faire baisser sa garde et lâcher prise. Au bout d’un moment, quelque chose dans mes mots l’a retenue. Elle m’a regardé. A fondu en larmes. Qui pouvait-elle être ? Une jeune femme, au teint pâle. Aux yeux noisette. Aux cheveux auburn et longs. Elle les avait ramenés sur chaque côté de son cou, comme pour se tenir chaud. Elle portait un jean délavé et sali par la rue. Un sweat. Bien trop grand pour elle. Et une paire de tennis noire. Les mains ensanglantées. Le visage noirci par le maquillage. Abîmé par des coups. Ses lèvres étaient ouvertes. Un cocard à l’œil gauche.
Nous avons marché. Presque titubé. Jusqu’au commissariat. Arrivées devant le parc à droite du bâtiment, on s’est arrêtées. Un homme faisait les 400 pas devant les escaliers. Il attendait quelqu’un. La jeune femme à mes côtés prit peur. Elle a paniqué. Et elle a fui. En courant. Je l’ai suivie. Tant bien que mal. Ralentie par le froid. Par la fatigue. Elle avait rebroussé chemin. Jusqu’à la petite ruelle sombre. Inquiète pour cette jeune femme. J’ai choisi de l’emmener chez moi. Petit appartement à deux rues d’où nous nous trouvions. Je lui ai prêté des vêtements. Une serviette. Elle a pris une douche chaude. S’est habillée chaudement. On a pris un café ensemble.
La nuit ne serait plus bien longue. Le soleil se lèverait bientôt. Je lui ai proposé mon canapé. On a discuté quelques heures. Elle m’a raconté l’histoire d’un mari violent. Des coups. Des cocards. Des bleus sur le corps. Des courbatures. De toute la honte qu’elle avait de sortir. Et de la hantise qu’elle avait si son mari l’apprenait. Et l’histoire d’un ras-le-bol. D’un élan de courage. Cette nuit. Quelques heures avant notre rencontre. Son mari avait haussé la voix. Levé la main. Sur elle. L’avait rabaissée. Humiliée. Elle avait saisi le poignard familial sur la commode du salon. Lui avait planté la lame dans les côtes. Avant de s’enfuir. Perdue et apeurée. Dans la ruelle en contre bas de la rue Maréchal.
Pourquoi cette ruelle par cette nuit d’hiver ? Erin avait été adoptée à sa naissance. Elle avait grandi dans le restaurant. Elle avait l’habitude de se réfugier derrière les poubelles et les cartons du restaurant. Pour jouer. Se cacher. Fuir les devoirs. Ou la foule de clients de ses parents. A leur mort. Elle avait été mise en foyer. Elle y a mal grandi. Elle fuguait. Tout le temps. Comme pour seule cachette cette ruelle d’enfance. Son refuge. Contre le temps. Contre la vie.
Cette nuit. Elle pensait l’avoir tué. Elle avait quitté le domicile conjugal. Laissant son mari, inconscient à terre. L’avoir revu devant le commissariat lui avait fait peur. Il se vengerait. Il la tuerait cette fois-ci. Lui. Ne porterait jamais plainte. Il l’attendait juste. Pour la ramener à sa dernière demeure. L’affaire serait étouffée. Les violences conjugales on n’en parle pas.
On a discuté. On s’est endormie dans le salon. Au réveil. Erin avait fui. Sans un mot. Où irait-elle ? Comment se protégerait-elle ? Serait-elle un fait divers de plus à Marlon-sur-rive ? Elle était restée un mystère. Une inquiétude. Une angoisse. Jusqu’au jour. Où dans la rubrique - faits divers - du quotidien de la ville. Sa photo. Avec un avis de recherche de la police. « Tina Degrassi est activement recherchée par les services de la police pour trafic de drogues ».
- Et je me suis donc rendue dans vos services pour faire une déposition. Vous connaissez toute l’histoire Monsieur l’agent.
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