Sous l'emprise de l'Aigle argenté
L’épée juste sous son cou, Garanos sentit la froide morsure de la défaite. Il s’avoua vaincu, le regard baissé, tandis que Macar, le général à la chevelure d’argent, rangeait son épée avec une satisfaction maîtrisée. Le silence pesant enveloppait la place du village, à peine troublé par le murmure du vent dans les arbres et le bruissement des armures.
"Courageux ou inconscient ?" demanda Macar, sa voix résonnant dans l'air chargé de tension. "Dans tous les cas, ce village est maintenant sous l'autorité de l'Aigle d'Argent, à moins bien sûr que quelqu'un s'y oppose."
Les habitants, les yeux rivés sur le sol, n’osèrent prononcer le moindre mot. Leurs visages étaient marqués par la peur et la résignation. Ils savaient que s’opposer à un homme tel que Macar serait suicidaire, et aucun d’entre eux ne souhaitait voir leur village réduit en cendres. Les soldats du bataillon, voyant qu'aucune rébellion n’émergerait, commencèrent à explorer les lieux, inspectant chaque maison, chaque recoin, sans rencontrer de résistance.
Un homme du bataillon, aux cheveux bruns coupés courts, une maigre barbe grisonnante et un cache-œil couvrant son orbite droite, s’approcha de Macar. Sa tunique bleu et marron était usée, témoignant des nombreuses batailles qu’il avait traversées. Sa voix grave retentit alors qu'il s'adressait à son supérieur : "Général, recruter ce type est une mauvaise idée. Il est clair qu’on ne peut pas lui faire confiance. Avec un désir de liberté aussi ardent et des aptitudes médiocres au combat, c’est tout sauf un bon candidat. Il y a des milliers de scénarios possibles dans lesquels ce paysan pourrait nous causer des problèmes."
Le regard perçant de Macar se posa sur son conseiller. "Je comprends ton inquiétude, Elte-Mun," répondit-il calmement, "et tu as entièrement raison. Cependant, j'aimerais voir comment les choses vont se dérouler. Peut-être que ce type nous surprendra. Et si jamais il devient un problème, je pourrais mettre fin à ses jours d'un seul coup. Compris ?"
Elte-Mun, légèrement agacé mais respectueux de l’autorité de son général, hocha la tête. "Oui, général," dit-il, avant de s’éloigner pour superviser les soldats qui fouillaient le village.
Macar se dirigea alors vers Garanos, toujours secoué par l'amertume de sa défaite. Le général planta ses yeux froids dans ceux du jeune homme et lui dit : "Bon, dis-moi tout sur toi. Ce sera plus rapide que de poser des questions. J’ai besoin de tout savoir sur les hommes de mon bataillon, tu comprends ?"
Garanos, l’amertume de la défaite encore sur la langue, prit une grande inspiration avant de répondre : "Je me nomme Garanos, j’ai 24 ans. J'ai toujours vécu dans ce village. Mon père était un chevalier de Zerdha, à la solde du Sunregan, tandis que ma mère était une simple couturière. Elle était souvent malade, et c'est moi qui m'occupais d'elle. Mon père est mort lors de la bataille de Grandtesmort. Depuis, je me suis entraîné physiquement tous les jours, un peu à l'épée aussi, car tout le monde voulait que je suive les traces de mon père. Mais, quand le moment est venu, j'ai préféré ouvrir une taverne, qui fonctionne plutôt bien. Voilà, vous savez globalement tout."
Macar l’écouta sans ciller, puis haussa un sourcil, l’air légèrement déçu. "Oui, la classique," dit-il d’une voix sans émotion.
Garanos, surpris par la réponse, fronça les sourcils. "Co-comment ça, la classique ?"
"Une mère malade, un père absent ou mort... c'est toujours la même histoire. Soixante-quinze pour cent de mon bataillon ont globalement le même passé. Je m'attendais à quelque chose de plus original dans un coin reculé comme celui-ci."
"Excusez-moi de ne pas avoir un passé assez original pour vous," rétorqua Garanos, la voix teintée d’ironie et de ressentiment, "mais c’est con parce que je n’ai pas pu le choisir."
Macar fit un geste vague de la main, comme pour balayer cette conversation devenue sans intérêt. "Bref, nous allons rester environ quatre jours dans ce village. Ensuite, nous partirons. Profite de ce temps pour faire tes adieux et toutes ces conneries. Mais n'essaie pas de nous embrouiller, sinon tu comprendras la vraie définition de la douleur."
Garanos acquiesça d’un signe de tête, le visage fermé. Sans un mot de plus, il tourna les talons et se dirigea vers sa taverne, son sanctuaire, maintenant à jamais changé par cette journée fatidique.
La taverne était faite de poutres en bois massif et de clous rouillés, une construction solide mais modeste, reflet du travail acharné qu’il avait investi pour en faire un lieu de vie au cœur du village. En entrant, il fut frappé par l’ambiance calme qui régnait à l’intérieur. Les lampes étaient éteintes, baignant la salle d’une lumière douce filtrée par les fenêtres. Quelques clients étaient déjà là, discutant de faits divers, d'aventures épiques, ou de récits dénués de toute classe, comme seuls savent le faire ceux qui ont trop bu.
Garanos s’approcha de celui qui servait les verres en son absence. Un petit homme blond à la moustache fine, que tout le monde appelait « Lou », qui se tourna vers lui avec un sourire lorsqu’il le vit arriver.
"Lou," commença Garanos, "je dois te parler."
Le blondinet écouta attentivement tandis que Garanos lui expliquait la situation, les conséquences de son duel perdu, et son enrôlement forcé dans l’Ordre de l’Aigle d’Argent.
"Ça veut dire que dorénavant c’est moi l'tavernier ? Je sais pas combien de temps j’pourrais tenir, mais j’vais essayer d’faire du mieux que j’peux," répondit Lou avec un air sérieux. Puis, plus léger, il ajouta : "Sinon, j’espère que t’auras d’la chance et que tu crèveras pas trop vite. Allez, bonne chance, Gara' !"
Garanos lui sourit, un sourire triste mais sincère, avant de quitter la taverne. Il savait que c’était l'une des dernières fois qu'il la voyait, ce lieu qu'il avait bâti de ses mains, rempli de souvenirs de moments heureux et de rires. Maintenant, sa vie ne serait plus jamais la même. Enrôlé de force dans l'Ordre de l'Aigle d'Argent, il était entraîné sur un chemin qu’il n’avait jamais souhaité emprunter.
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