9- Les matinales

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Premier comme la veille, je croise Jean-Luc. Il bavarde une seconde avec moi, comprend que je suis en train de griffonner sur mon carnet et que je sollicite son silence.

Je retombe rapidement dans mon récit, quand l’une des animatrices arrive et ouvre la porte. Dès que j’entendre, j’abandonne l’idée de continuer et mets mon histoire en suspens. J’ai le temps de poser mes affaires, boire un coup, et retirer mon masque. Penché à la fenêtre, je contemple le soleil qui tente de chauffer l’air de l’hiver.

—C’est à l’entende de pas derrière moi que je me retourne et croise le regard d’Eronne.

—Matinal ? dit-il avec des gobelets en cartons et une bouteille de jus en main.

Un de mes sourcils se hausse, insistant Eronne à m’expliquer ce qu’il fout avec ça.

—Pour ceux qui ne boivent pas de café.

—Oh ! Généreux de ta part.

Il se penche vers la table.

—C’est qui qui à amener des clémentines.

—Moi. Elles viennent de mon jardin.

—Oui, c’est génial. Je peux en prendre une ?

—C’est fait pour, sinon, je ne les aurais pas mi ici.

—Généreux… dit-il en souriant.

Je la sens la remarque.

Eronne attrape une clémentine, pose les gobelets et le jus. Je le regarde déambuler dans la petite salle avec la sensation qu’il pourrait devenir plus qu’un fantôme dans ma vie.

—C’est de toi que Candyce me parlait ? Tu voulais être éditeur ?

Il se retourne.

—Et c’est toi le jeune auteur dont elle m’a aussi parlé…

—On dirait bien. Mise à part si on est plusieurs.

—J’ai comme un doute.

Il en est convaincu et moi, je commence à me fasciner pour cet homme qui s’y proche me paraît plus grand que moi.

—Pourquoi cette envie d’entrer dans le circuit du livre en tant qu’éditeur ?

—En fait, ce serait plus en tant que directeur de collection qu’éditeur. Parce que j’aime ça. J’aime lire. J’aime trouver des perles, suivre leur progrès et les voir un jour en vente sur des étalages en me disant que je les ai lu en avant premier quand elles baignaient encore dans leur jus.

Sa réponse me convient. Elle fait écho au lecteur que je suis.

—Tu n’as jamais lu un livre dans ces premiers moments ?

—Si… Souvent. J’en lis énormément sur les plateformes. Et j’ai pu lire et donner mon avis sur des livres qui aujourd’hui sont sous contrat. J’ai l’étrange sensation d’avoir contribuer à leur élévation. Je me sens même privilégié. J’ai pu recevoir des romans d’auteur que je suivais en bêta-lecture.

—J’en ai fait l’expérience aussi. Voilà un jeune homme qui me comprend bien.

—Un jeune homme. Je suis plus vieux qu’il n’y parait.

—Dans ta tête ?

—Dans mon comportement. Parfois, je baragouin dans ma barbe comme un ancêtre. Je pense être une vielle porte centenaire.

—Une porte ?

—Je grince.

Il explose d’un rire qui me surprend. Il est doux, presque séduisant.

Merde ! C’est quoi encore le délire. Qu’est-ce que j’ai avec ce type ? Séduisant ? Allo ! C’est un mec, t’es hétéro.

Enfin… je commence sérieusement à me le demander. J’ai quand même un goût assez particulier pour les personnes androgynes.

—T’es un gars intéressant. Enfin, une porte très attirante.

Attirante ? Il me fait quoi là ? Attirante dans quel sens ?

Zen, Léandre. Respire.

Eronne sent le demi-malaise.

—Quand je dis attirant, je parle d’intellect. Bien que tu sois très bien foutu.

Ça, c’est fait. On n’peut pas nier. J’ai un corps assez athlétique. Des épaules trop larges, des cuisses musclées et des tablettes de chocolats enrobés d’une fine couche de graisse. Même pas un centimètre.

—T’es pas mal non plus avec tes boucles blondes et ton regard qui fait chavirer l’âme.

Un petit moment de flottement. Eronne sourit, prêt à se marrer.

Je suis complétement taré. Je suis en train de draguer un mec. De mieux en mieux.

—Et sinon, t’as pas trouvé de ME qui avait besoin d’un directeur de collection ?

Ouais, autant revenir sur un sujet moins glissant.

—J’ai un peu cherché, mais je ne me suis pas étendu sur l’affaire. J’hésite encore.

—À quoi ?

—À me laisser. J’ai une amie qui aimerait ouvrir un ME, elle m’a demandé si je serais prêt à m’investir avec elle.

—Bah, c’est canon comme proposition. Pourquoi tu n’te lance pas ?

—Je ne sais pas. En plus, ma pote, elle sait carrément où elle va. Elle en a rêvé toute son adolescence de sa propre ME. Mais il se trouve qu’elle avait préféré travailler avant.

—Se faire un stock de tunes ? Ouais, ça parait logique. Bah, je ne serais te conseiller de la rejoindre une fois que le projet verra le jour.

—Je crois pas que je dirais non, mais j’ai conscience que ça ne nous fera pas vivre.

—Bah, vous avez qu’à commencer en associatif, puis quand la ME aura un peu grandit et que vous pourrez vous décrocher un petit smic profitez.

—T’es du genre optimiste ?

—Moi ! dis-je, un poil choqué.

Est-ce qu’il m’a bien regardé ?

—Pas du tout. Je suis même tout le contraire.

—Sérieux ? Eh bien, c’est pas l’image que tu renvoies. Tu me donnes envie de me lancer à fond.

—Ok. Y’a pas de mal. Mon image ne renvoie jamais vraiment ce que je suis à l’intérieur. J’ai tellement passé mon temps à cacher ma part ténébreuse pour correspondre aux autres.

—Ce serait un masque que j’ai devant moi ?

Eronne s’approche, fait mine de me scruter. Ses yeux semblent caresser ma peau. Les battements de mon cœur jouent des percussions. Genre, c’est concert gratuit sous mon thorax.

—Un masque mille fois rafistoler. Mais là, je dois avouer que le masque est devenu un simple voile. C’est facile de parler avec toi.

—A ce qu’il parait. C’est facile de parler avec toi aussi.

—Si tu savais ce que les gens sont capable de me dire en croisant mon regard. T’n’en reviendrais pas.

—Tu aies une sorte de filtre de vérité ? étonnant comme mec.

—Un filtre de vérité… ça doit être ça. Bah, parfois, j’m’en passerai.

On finit assis sur le canapé. Je vois le reflet de Candyce sur la vitre devant moi. Elle a tenté de nous saluer, puis ne voulant sans doute pas nous déranger a opéré un demi-tour. Je l’entends discuter avec une de ses collègues, pendant qu’Eronne me raconte son parcourt.

—Aujourd’hui, je veux me centrer sur moi, sur mes envies. Mais dans l’immédiat, j’ai besoin de pognons. Je ne repousse pas la possibilité de devenir directeur de collection et d’en vivre d’ici cinq ans. Je suis du genre à me porter chance.

—C’est une bonne chose, et plus encore, de le savoir.

L’arrivé des autres participants est le moment où notre bulle de révélation disparait. On parlera encore. Ça, je le sais. Je l’ai ressenti. J’ai éveillé l’intérêt du chasseur de perle. Et en révélant à Eronne mon pseudo sur scribay, je sais que ce soir, j’aurais un nouveau lecteur. Est-ce lui que je devais rencontrer ici ? est-ce pour ça que je participe à cette presta ? Est-ce qu’un jour Eronne se penchera plus professionnellement sur mon cas... ?

Voilà que je brode encore de l’espoir…

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