Chapitre 18 : Pause café

9 minutes de lecture

JAMIE

 Je suis déjà réveillé depuis une bonne heure lorsque l’alarme de mon iPhone résonne bruyamment dans la pièce silencieuse. L’écran qui s’illumine dans la pénombre affiche six heures. Bon sang, j’ai l’impression d’avoir passé des heures à tourner et virer en attendant que le soleil se lève. La journée commence à peine et je suis déjà dans un état lamentable. J’appuie sur l’écran pour faire taire la sonnerie et m’assois en m’étirant. Mon dos me fait un mal de chien. Sept nuits passées dans ce foutu canapé et me voilà avec un tour de rein.

Visiblement, ma jeunesse a déjà foutu le camp.

Je soupire en me massant la nuque pour apaiser mes muscles tendus. Ces derniers jours à tourner en rond dans l’appartement de Chase m’ont littéralement rendu fou. J’ai passé mon temps à penser à Hannah. A me remémorer ses dernières paroles. A attendre un appel de sa part. Elle avait besoin de temps et d’espace pour réfléchir. Les jours qui ont suivi notre rendez-vous sur Urangan Pier, j’ai donc essayé de tenir parole. Je partais tôt le matin et rentrais tard le soir, nos rares échanges se résumant à quelques formules de politesses et à des sourires gênés. Quand son frère est arrivé, je leur ai même laissé la maison. Qu’est-ce que je pouvais faire d’autre de toute façon ? Passer une semaine complète avec Hannah et sa famille ? Impensable. L’ambiance était déjà suffisamment tendue, inutile d’ajouter d’autres membres de la famille Mendes à l’équation. Quand elle m’a enfin rappelé hier soir pour me donner rendez-vous, mon état d’angoisse avait atteint un degré pitoyable. J’étais tellement soulagé d’entendre sa voix. Comment en suis-je arrivé à ce stade ? Comment ai-je pu devenir aussi accro à cette fille en si peu de temps ? Chase a peut-être raison. Mon état de privation m’embrouille l’esprit et je confonds certainement mon besoin irrepressible de la revoir avec mon manque de sexe.

 Après une douche et un brossage de dents express, j’attrape l’un des deux derniers T-shirt jetés en boule dans mon sac et enfile un short. Je parcours mes mails rapidement puis jette un œil à ma montre. Sept heures. Je grogne, exaspéré par les minutes qui semblent s’écouler plus lentement que jamais. Tant pis, j’y vais et je l’attendrai sur place. Je vais devenir cinglé si je patiente une heure de plus enfermé entre ces quatre murs. Chase qui passe sa vie à sortir jusqu’à l’aube et baiser tout ce qui bouge, est toujours dans un état semi-comateux. Cet imbécile commence à huit heures et je me demande comment il s’arrangera cette fois-ci pour arriver à l’heure au bureau. Après lui avoir filé un coup de pied pour le faire émerger, j’attrape mes clés et file en vitesse.

  Je passe les quinze minutes que dure le trajet jusqu’au Benny’s Café à me repasser en boucle les événements des dernières semaines. Les rues sont étonnamment désertes, même pour un vendredi à 7h30. Impatient, je tapote nerveusement le volant en attendant que le feu passe au vert. Je crève d’envie de la voir, elle et sa moue boudeuse. Je me gare sur la première place disponible sur le parking du café et grimpe les marches le ventre noué. Je balaye la terrasse du regard et la repère immédiatement, assise à une table isolée.

C’est elle. Elle est de dos, mais je la reconnaîtrai entre mille.

Elle porte une robe longue bleu pâle qui fait ressortir son teint halé. Le tissu fluide et léger est tenu sur ses épaules par quatre bretelles fines qui se croisent dans son dos. Mon cœur a un loupé lorsque je m’approche. Le tissu qui forme un V dans son dos, descend subtilement jusqu’à la naissance de ses reins et ses cheveux remontés en chignon négligé ne gâchent rien au spectacle. Le souvenir de ma bouche sur ces épaules sublimes me revient soudain en pleine face et je dois m’arrêter quelques instants pour me ressaisir. J’inspire et expire plusieurs fois pour tenter de reprendre le contrôle sur les palpitations incontrôlées qui agite ma poitrine.

Du calme mon vieux.

Prenant mon courage à deux mains, je m’avance et la salut en arrivant à sa hauteur.

— Bonjour.

Son visage se tourne vers moi et ses yeux s’agrandissent. Elle semble surprise et reste figée quelques secondes. Je suis soulagé lorsque je vois son visage se fendre d’un sourire radieux.

Comment est-il possible qu’elle soit encore plus belle que dans mes souvenirs ?

Elle se mort la lèvre timidement avant de me répondre.

— Salut. Merci d’être venu. Je ne t’attendais pas avant au moins une heure, ajoute-t-elle perplexe et regardant la pendule sur le mur d’en face.

— Ouais, j’ai… un peu d’avance. Je… n’aime pas faire attendre les gens.

D’accord, c’est un gros mensonge. Je suis certainement le mec le moins ponctuel du continent. Mais ma réponse valait bien mieux qu’un honnête « oui, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit à la perspective de te voir ce matin ».

— Alors ? Comment s’est passée cette semaine en famille ?

Je décale la chaise pour m’asseoir en face d’elle sans la quitter des yeux. A vrai dire, j'en suis carrément incapable. Elle est radieuse ce matin, son teint est plus hâlée que la dernière fois que je l’ai vu et elle semble reposée, sereine. Ces quelques jours de répit lui ont visiblement étaient bénéfiques.

— Bien. Super bien même ! C’était génial de les revoir, répond-t-elle avec un sourire nostalgique.

Une des serveuses, qui ne doit pas dépasser le mètre cinquante s’approche de nous en traînant des pieds, un calepin dans une main et un stylo dans l’autre.

— Qu’est-ce que je vous sers messieurs dames ? Nous demande-t-elle d’un ton monotone. Elle fixe l’horizon d’un air absent en mâchouillant son stylo dégueulasse. Son carnet posé sur son ventre proéminent, cette dernière attend notre commande sans dire un mot. Je jette un œil à Hannah qui fixe avec des yeux exorbités son tablier parsemé de tâches douteuses. Il a l'air d'avoir été lavé il y a plus d'une décennie. Ses yeux ronds croisent mon regard et je me retiens de rire en apercevant sa tête dégoûtée. Je me décide finalement à passer commande le premier, abrégeant le supplice de notre serveuse déprimée. Je n’ai absolument pas faim ce matin, un simple café noir fera l’affaire pour moi. Je suis bien trop angoissé pour avaler quoi que ce soit. Amusé, j’écoute Hannah énumérer sa commande. Un thé sans sucre, un jus d’orange, une assiette de pancakes et une assortiment de fruits.

Bon Sang. Mais où compte-t-elle mettre toute cette nourriture ?

Hannah tourne la tête vers moi lorsque la serveuse s’en va enfin et je ne peux m’empêcher de rire. Gênée, elle pouffe à son tour puis se justifie en ronchonnant.

— Quoi ? J’ai toujours faim le matin…

Elle s'esclaffe de nouveau avant de reporter son regard sur la table. Les joues rouges, elle se met à triturer la serviette en papier coincée dans son verre. Je suis intrigué par cette Hannah timide et hésitante. Les hurlements et les bouderies je connais. Ce sourire réservé en revanche … elle est craquante.

— Inutile de te justifier pour ton appétit d'ogre, je lui rétorque amusé. Je regrette aussitôt mon ton taquin et lui sourit gentiment, en espérant rattraper ma maladresse. C’est plus fort que moi, je lui sers mon humour à deux balles et elle finit toujours par s’énerver et foutre le camp. Je me mors la langue en attendant sa réponse. Le poids sur mes épaules s’allège quand elle me retourne finalement mon sourire.

— Oui, malheureusement, je ne suis pas une de ces filles qui peuvent se contenter de picorer comme des moineaux. J’ai faim. Tout le temps. Horrible, crois-moi. Je crois que je mange plus que Clark, fini-t-elle avec un sourire résigné. Je l’observe, fasciné. Pourquoi s’excuse-t-elle ? Elle a un corps magnifique. Elle est magnifique, loin d'être filiforme comme toutes ces nanas stéréotypées. Mon cœur s’emballe de nouveau au simple souvenir de ses formes sensuelles et à la sensation de mes mains agrippées à la chair de ses hanches parfaites.

— C’est noté. La prochaine fois, je t’inviterai au ciné plutôt qu’au restaurant dans ce cas, je lui réponds malicieusement. Elle ne répond rien et se contente de rire en secouant la tête. Une once d’espoir me pince la poitrine. Elle n’a pas dit non. Est-ce qu’elle serait d’accord pour un sortir avec moi ?

Du calme mon gars, tu t’emballes.

La brise matinale est agréable. Quelques promeneurs s’aventurent sur la plage. Il est à peine huit heures mais le soleil brille déjà dans le ciel dégagé et une douce chaleur inonde doucement les rues. Des hommes d'affaires et quelques couples viennent s'ajouter aux clients, remplissant peu à peu la terrasse du café. Hannah me résume brièvement le séjour de son frère. Les anecdotes sur sa nièce me font rire et j’ai soudain le cœur serré. Mes sœurs me manquent. Mes nièces aussi. Nina en particulier. Affreusement. Je ravale mon chagrin et reporte mon attention sur Hannah. Je l’écoute, sans rien dire, laissant mon regard se promener sur les traits parfaits de son visage. C’est la première fois que je peux l’observer d’aussi près. Et aussi longtemps. Toutes nos discussions n’ont jamais duré plus de deux minutes et ce sont toujours soldées par des cris, des pleurs ou des baisers torrides. Cette ambiance décontractée me plait largement plus, même si nos disputes se terminant avec sa bouche sur la mienne me manquent particulièrement. Détendue, elle me dit en souriant que leur avion a décollé hier soir mais qu’ils ont promis d’être de retour pour les fêtes de Noël. Profitant d’un silence, je la questionne, intrigué.

— Pourquoi m’as-tu donné rendez-vous Hannah ?

Elle se tortille sur sa chaise en cherchant ses mots, de nouveau mal à l’aise.

— J’ai pris le temps de réfléchir et je suis d’accord...

Je me redresse, surpris, avant de la fixer en plissant les yeux.

— D’accord pour quoi Hannah ?

Franchement, j’ai du mal à y croire. Je veux qu’elle le dise à haute voix. Ma respiration s’emballe, rien que d’y penser.

— Tu sais bien, Annie… La liste…

Elle se racle la gorge en me fuyant du regard, les sourcils froncés. Elle est tellement compliquée. Pourquoi faut-il toujours jouer aux devinettes avec les femmes ?

— Tu es d’accord pour le faire seule, ou tu es d’accord pour le faire avec moi… ? J’insiste en la regardant droit dans les yeux.

— James par pitié. Tu tiens vraiment à me l’entendre dire ? Râle-t-elle.

— Oui, vraiment, je lui réponds avec un sourire satisfait. Elle lève les yeux au ciel avant d’abdiquer.

— Bien. Je suis d’accord pour le faire avec toi, récite-t-elle d’un air blasé en croisant les bras. Je la regarde, ravi et lui tends la main par-dessus la table.

— Deal.

— Deal, répète-t-elle en attrapant ma main après quelques secondes d’hésitation et en la secouant énergiquement.

Ses doigts fin toujours emmêlés aux miens, elle tourne légèrement la tête et plisse les yeux en me regardant de biais. Elle m’observe d’un air sceptique, comme si j’allais l’arnaquer d’un moment à l’autre. Pour sa défense, je dois avoir l’air satisfait d’un chat ayant avalé un canari. J’ai du mal à croire qu’elle ait accepté mon offre et je compte bien en profiter un maximum avant qu’elle ne change d’avis. Ou que je ne fasse tout foirer. Cette fille est fascinante. Imprévisible. Impossible de savoir jusqu’à quand notre accord tiendra. Elle finit par rire et lâcher ma main lorsque notre commande arrive. Amusé, j’avale une gorgé de mon café en l’observant attaquer ses pancakes avec appétit. Ses yeux pétillants se posent sur moi et mon cœur se remet à palpiter quand elle me demande avec curiosité, une de ses joues remplie de sa dernière bouché :

- Bon alors, par quoi commence-t-on ?

***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Audrey Gart ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0