Chapitre 2

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Katani se répéta la dernière phrase que Méta avait prononcé. Une fois n’était pas coutume, elle ne pouvait que donner raison à sa sœur qui souffla bruyamment, sûrement de contrariété. Cette phrase n’avait aucun sens.

  • Je ne comprends pas ! s’insurgea la Reine, d’une voix si glaciale que Katani en frissonna. C’est absurde !

Katani observa l’échange tendu de regard entre les Ardents et leur Reine.

  • A-t-il ajouté quelque chose ? demanda Ayevi d’un ton impérieux tandis que son Aura bleutée se déployait telle une roue tout autour d’elle.

Rafa s’avança, l’air grave.

  • Non Votre Altesse. C’est la fin du message.
  • C’est hors de question ! Jamais je n’accepterai cela, fulmina Ayevi en se levant les poings serrés. Je vais aller trouver le Dévoreur.

Katani qui bouillait intérieurement de ne toujours rien comprendre à la situation épineuse qui se jouait devant elle, comprit pourtant qu’Ayevi s’apprêtait à user de la magie pour se transporter au cœur de l’immense volcan. Une folie !

  • Ma Reine, attendez ! s’écria Rafa en s’avançant plus que ne le permettait le protocole. Je comprends. Mieux que quiconque, vous le savez ! Cependant, il lui appartient de décider…
  • Non ! Je suis la Reine ! C’est à moi de régler cela !

Rafa et Ayevi s’affrontèrent du regard un instant. Cela bouleversa Katani plus qu’elle ne l’aurait imaginé.

  • Est-ce que quelqu’un veut bien m’expliquer ce qui se passe ?

La Reine lui lança un regard noir, certainement pour lui rappeler combien son avis était inutile en ces circonstances.

  • Je sais, je ne suis que l’accidentelle et inutile cadette de la lignée mais j’en fais tout de même partie ! J’ai le droit de savoir, s’énerva la jeune princesse furibonde.

Ce ne fut qu’en voyant le visage de sa sœur pâlir qu’elle comprit enfin ce que signifiait la phrase répétée par Méta.

C’était elle que le Dévoreur de Vie appelait à entrer en son sein.

Or, à sa connaissance, seuls les Ardents avaient une chance de sortir vivants d’une telle invitation. Toute princesse qu’elle fut, cela restait une sentence de mort inéluctable.

Elle demeura figée un instant incapable de réfléchir puis, elle se ressaisit. Un espoir naquit en son cœur. Peut-être tout cela avait-il un sens. Peut-être que Rafa avait soumis sa requête à Gregan et que c’était la raison pour laquelle le Dévoreur voulait la voir. Elle posa les yeux sur Rafa pour y trouver du réconfort. Hélas, d’une moue perceptible d’elle seule, il tira un trait sur la belle histoire qu’elle venait de se raconter.

  • Je ne veux pas… s’entendit-elle dire d’une voix étrange.
  • Ne t’inquiète pas ! lui répondit aussitôt Ayevi, en posant une main sur son épaule. Je vais m’en charger.

Katani comprit qu’elle s’apprêtait à nouveau à se téléporter.

  • Non, s’opposa-t-elle en agrippant le poignet de sa sœur. Ne fais pas ça !
  • Je suis la Reine d’Éphémia, c’est à moi de régler ça. Lâche-moi s’il te plaît.
  • C’est trop dangereux Ayevi, tu le sais ! s’insurgea Katani. Tu ne peux pas risquer ta vie ainsi… même pour moi.
  • Je te rappelle que je suis la Reine-Sorcière, celle qui garantit que la Magie continue de protéger cette terre, montagnes et volcans compris ! Le Dévoreur est mon sujet, il dépend de moi, comme tout un chacun !
  • Aucune Reine n’est jamais entré dans sa bouche…
  • Il suffit ! s’irrita la Reine en se détachant de la poigne de Katani. Depuis quand es-tu devenue une experte de l’histoire de notre don de sorcellerie ? Tout cela ne t’intéresse pas il me semble…
  • Mais… tenta de l’interrompre Katani.
  • Assez, te dis-je. Cesse de t’inquiéter, ce doit être une erreur. Comment la survie d’Éphémia pourrait-elle dépendre de toi, tu es à peine sortie de l’enfance. Retourne à tes jeux et laisse-moi m’occuper du reste.

Katani vit rouge. Toujours ce dédain insupportable !

À l’instant même, elle avait cru qu’Ayevi s’était mise en colère parce qu’elle pensait que la vie de sa sœur était menacée. Quelle illusion ! La Reine s’était vexée que le Dévoreur ait insinué que Katani ait un quelconque rôle à jouer dans la prospérité du Royaume. C'était la chasse gardée d’Ayevi, la grande Reine-sorcière.

  • Mes plus plates excuses, Votre Altesse Serenissime, siffla-t-elle en fusillant sa sœur des yeux. En effet, tout cela m’importe peu !

Elle vit les sourcils de sa sœur se soulever, signe annonciateur d’un sermon des plus déplaisants. Katani souhaita être loin, assez loin pour échapper à ce regard sentencieux et plein de mépris.

À sa grande surprise, les murs de la grande salle d’audience s’effacèrent pour laisser place à l’immensité de l’Océan Pourpre.

Elle se trouvait désormais sur sa plage secrète, celle qu’elle avait découverte à six ans lors de sa première fugue quand elle avait compris, que même pour sa mère, elle n’aurait jamais la priorité.

Des larmes amères roulèrent sur ses joues tandis qu’un rire désabusé s’échappait de sa gorge. Elle s’était téléportée alors qu’elle ne l’avait plus fait depuis ses dix ans, l’année où ses parents s’étaient éteints. Une nuit, elle avait rêvé d’eux et s’était téléportée durant son sommeil dans le caveau royal. Elle y avait passé presque toute la journée avant qu’on ne la retrouve. Depuis, elle ne parvenait plus à se déplacer ainsi.

Ayevi l’avait tanné régulièrement pour qu’elle s’y essaie à nouveau. Peut-être qu’elle arrêterait désormais.

Katani se laissa tomber sur le sable. Assise, ses genoux pliés entre les bras, elle se laissa happer par la danse des vagues. Cela l’apaisait depuis toujours.

Les heures passèrent. L’esprit de la jeune princesse suivait la valse de l’Océan. Tantôt la colère contre sa sœur revenait la tarauder tandis qu’à d’autres moments l’inquiétude lui étreignait les entrailles. Quand bien même le comportement altier et plein de suffisance d’Ayevi l’irritait au plus point, elle l’aimait. Même si elle ne l’aurait avoué que sous la torture, elle savait quel poids pesait sur les épaules de sa sœur, elle admirait sa sagesse pour diriger le royaume et lui laissait volontiers cette place. Katani serait dévastée s’il venait à lui arriver malheur.

L’adolescente ne pouvait s’empêcher de jeter de fréquents regards anxieux en direction de la chaîne de montagnes dont elle devinait plus qu’elle ne voyait les cimes, guettant le moindre signe que quelque chose tournait mal.

La journée passa sans que rien ne vienne troubler la course des nuages ou le ressac des vagues. Ayevi avait certainement réussi à dénouer le problème.

Le soleil se coucha. Katani ne parvenait pas à se décider à rentrer au palais. Si elle était heureuse que rien de funeste ne soit arrivé, elle ne s’imaginait pas pouvoir supporter le sourire satisfait de la Reine.

La nuit s’installa, le ciel se piqua d’étoiles. Katani ne bougeait pas, tout juste leva-t-elle la main pour invoquer un petit feu qui la réchauffa.

Elle envisagea de partir à l’aventure sans se retourner maintenant qu’elle était à nouveau capable de se téléporter. Un petit rire triste la secoua. Était-elle seulement capable de réitérer ce sort ? Elle ne l’avait même pas vraiment voulu et ignorait comment elle y était parvenu.

De toute façon, Ayevi ne permettrait jamais que sa petite sœur devienne une vagabonde. Elle la retrouverait pour la faire enfermer à double-tour dans une tour de palais jusqu’à ses vieux jours.

Katani remuait ces sombres pensées quand elle fut interrompu par une ombre qui s’approchait à pas silencieux. La princesse perçut la présence étrangère pourtant elle ne sursauta pas, nullement effrayée. Elle l’avait reconnu à l’instant même où il avait posé le pied sur la petite plage : Rafa, qui d’autre aurait su où la trouver.

Le jeune guerrier se posta à ses côtés sans un mot. D’un bref coup d’œil, elle entraperçut son visage impassible tourné vers l’océan.

Ils demeurèrent ainsi de longues minutes. Pourtant de multiples questions taraudaient l’esprit de la jeune princesse. Les mots restaient coincés dans sa gorge.

  • Elle y est allée ? se décida-t-elle enfin à demander d’une voix voilée par de trop longues heures de silence.

Rafa acquiesça.

  • Elle est revenue ? insista Katani inquiète malgré tout.
  • Oui. Saine et Sauve. Je suis venu vous rejoindre aussitôt.

Katani soupira autant de soulagement que d’irritation. Elle n’avait pas fini d’entendre Ayevi lui rabâcher combien son attitude avait été puérile.

  • Elle avait raison alors… c’était un stupide malentendu ! Et j’ai perdu mon sang-froid. J’ai eu tort. Comme toujours ! se morigéna-t-elle, des larmes amères lui coulant sur le visage.
  • Vous n’aviez raison ni l’une, ni l’autre, nuança la grand guerrier en s’asseyant à ses côtés pour passer un bras réconfortant autour de ses épaules.
  • Qu’est-ce que tu racontes ? renifla Katani en laissant sa tête aller contre son ami. Que n’ai-je donc pas compris encore ?
  • Cessez donc de vous plaindre, petit chat sauvage ! la tança-t-il affectueusement. Vous aviez tort quand vous pensiez que la Reine risquait sa vie en allant rencontrer le Dévoreur de Vie. Il existe un sort qui ouvre la Bouche de celui-ci à la Reine-Sorcière.
  • Et Ayevi le connait par cœur, bien sûr ! siffla Katani.
  • Oui. Cependant, elle avait tort. Ce n’était pas un malentendu ou une erreur. Le Dévoreur lui a répété à l’identique son message. Il lui a même précisé que ce n’était pas elle qu’il attendait.
  • Alors… c’est bien de moi dont parlait le message … comprit Katani.
  • Oui, c’est vous : l’unique seconde fille depuis que les Reines-Sorcières règnent sur Éphémia.
  • Est-ce que cela a un rapport avec ma demande d’être autorisée à chevaucher Laïfa ? s’entendit demander Katani, s’accrochant à cet espoir pour ne pas se laisser envahir par la peur.
  • Non, je n’ai pas pu lui présenter votre requête.

Katani, malgré ses efforts, se mit à trembler. Elle n’était qu’une jeune adolescente de quinze ans. Certes, elle était issue d’une lignée de grandes Sorcières mais elle était loin d’être une étudiante assidue de ses dons magiques. Les êtres tels qu’Ayevi ou Rafa pouvaient envisager après de longues années d’entraînements d’entrer dans la Bouche du Dévoreur et d’en sortir vivants. Elle, elle n’avait aucune chance d’y survivre.

  • J’ai peur Rafa, souffla la jeune fille.

L’Ardent s’écarta un peu pour planter ses yeux dans les siens.

  • J’espère bien jeune fille. Quiconque envisage d’entrer dans la bouche du Dévoreur sans éprouver ce sentiment n’est qu’un fou ou un imbécile.
  • Ayevi ne voudra jamais que j’y ailles.
  • La décision ne lui appartient pas.

Katani soupira. Peu importe ce qu’en pensait Rafa, elle ne voyait pas comment elle pourrait passer outre l’avis de la Reine.

  • Toi, tu veux que j’y ailles, n’est-ce pas ? interrogea-t-elle Rafa, d’une voix anxieuse.
  • Ce n’est pas à moi de décider.
  • C’est bon Rafa, s’agaça l’adolescente. J’ai compris que c’est à moi de faire ce choix. Et je ne sais pas quoi faire ! Le Dévoreur a dit que la survie du Royaume est en jeu ! Tu te rends compte ?

Le guerrier acquiesça d’un air grave.

  • Mais… je suis terrifiée… et si je ne suis pas à la hauteur, et si je meurs… et que ça ne change rien. J’ai besoin que tu me dises ce que tu en penses Rafa ! Que ferais-tu à ma place ?
  • Je suis un Ardent, Katani. Si le Dévoreur m’appelle, je ne peux que répondre.
  • Tu penses que je dois y aller alors ? Peu importe ce que je risque ? Tu t'en fiches que je ne revienne pas ! finit-elle les larmes aux yeux.
  • Je suis devenu un enfant des Flammes Sacrées à votre âge, princesse. Je suis entré dans sa bouche et j’en suis ressorti vivant. Différent mais vivant. Vous pouvez le faire aussi, j’en suis certain… Cela dit, si vous y entrez, je serai mort d’inquiétude jusqu’à ce que je vous vois en sortir.

Les yeux de l’Ardent s’étaient illuminés d’éclats ambrés, signe qu’il vivait de fortes émotions.

  • Tu te trompes Rafa. Je ne suis pas toi. Tu es un enfant des Flammes, un Croc qui plus est, l’un des plus vaillants que je connaisse. Je n’ai pas ta force d’âme, je le sais.
  • Vous ne m’avez pas connu avant, rétorqua-t-il. J’ai été appelé par le Dévoreur mais je ne l'avais jamais voulu, contrairement à la plupart des autres crocs. je ne pensais pas sortir vivant de mon baptême… et pourtant…
  • Tu veux que j’y ailles, murmura-t-elle.
  • Je veux que vous décidiez par vous-même. Quelque soit votre choix, je serais à vos côtés.

Katani soupira avant d’à nouveau s’appuyer contre son ami. Elle avait toujours revendiqué sa soif d'indépendance, Rafa l'avait toujours respectée, à sa manière. Ce soir-là, elle aurait aimé qu'il lui dise quoi faire.

  • J’ai besoin d’y réfléchir, murmura-t-elle en fermant les yeux.

Quelques instants plus tard, elle s’était endormie.

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