Chapitre 7

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64ème UT, TU35988 de l’UIG

À bord du vaisseau பாத்39선박 affrété par l’UIG


Ils étaient rentrés bien avant l’autre équipe, qui avait, d’après Fluuusigrati, fait une découverte absolument stupéfiante. Brixtral avait hâte de découvrir de quoi il s’agissait et d’assister à la confrontation des trouvailles des deux visites. Il espérait également qu’Oostrail serait intéressé par l’échantillon qu’il avait prélevé.

En attendant le rassemblement général, il décida d’aller se promener dans le vaisseau et en particulier dans le poste de pilotage. Le silence y régnait, rompu ponctuellement par le bruit de mastication du pilote. Celui-ci, Iixtrien comme Brixtral, avait pris une des manies de cette espèce qui était de mâchouiller un genre de branche au goût suave et sucré, extraite d’une plante qui poussait sur plusieurs planètes de l’UIG.

Le poste de pilotage était la partie centrale du vaisseau. On se serait cru dans le point de rendez-vous de nombreuses galeries, comme le noyau d’un réseau de tuyaux. C’était sans doute dû à la structure du bâtiment, qui était basée sur une organisation biologique, végétale même, d’où les formes arrondies partout.

Le pilote était assis dans son siège, entouré de trois écrans courbes, avec un pavé de commande devant chacune de ses mains. Il semblait dormir en mastiquant. Il faut dire qu’étant en orbite, il n’avait pas grand-chose à faire. De plus, les navettes vers le sol étaient totalement automatiques.

En s’écartant un peu, Brixtral regarda sur les moniteurs correspondant à la vue vers சூன்04. Cette planète recelait un genre de beauté qu’il ne se serait pas attendu à rencontrer sur une boule de rocher quasiment sans vie. Il trouvait beaucoup de charme à ce relief accidenté et même à cette couleur rouge. Il lui avait semblé apercevoir une sorte de calotte blanchâtre autour du pôle nord.

— Oui, Brixtral, lui confirma le pilote, qui paraissait avoir entendu la question silencieuse, on dirait bien qu’il y a de l’eau sous forme de glace sur cette planète. C’est ce que j’ai compris des échanges entre la cheffe et son arbre…

Il ne pouvait pas décemment laisser passer un tel manque de respect. Il répliqua un peu sèchement :

— Je pense que vous voulez parler de Fluuusigrati ?

— Euh oui, probablement, fit le pilote un peu penaud.

Cette faculté de certains de ses congénères, d’oublier parfois qu’ils vivaient au sein de l’UIG et que, dans cette Union, toutes les espèces d’Intel étaient au même niveau l’étonnait vraiment. Cela concernait aussi les Fluuussios — Fluuusigrati en particulier qui était tout sauf « l’arbre de la cheffe » — ces grands sages, qui existaient sans doute depuis des milliards de TU, étaient en tout cas l’espèce la plus ancienne de cette Union, nettement plus que les Iixtriens. Comment, celui qui était aux commandes d’un vaisseau missionné par cette Union Inter-Galactique elle-même, pouvait-il ne pas faire le parallèle avec le bout de bois qu’il mâchonnait sans y réfléchir, habitude typique des coins les plus reculés des mondes iixtriens, et la partie supérieure des Fluuusios ?

Brixtral, se ressaisissant, se plongea dans l’examen des vues de la planète rouge autour de laquelle ils tournaient. Certaines montagnes présentaient des dimensions gigantesques, dépassant son entendement. En effet, dans l’UIG, la plupart des corps célestes se rencontraient sous forme relativement peu accidentée. Sans doute érodés par le temps, les vents et les eaux, la plupart des reliefs montraient de douces courbes ou de jolis arrondis. Aucun pic, arrête ou crevasse comme il les observait en ce moment. C’était vraiment un dépaysement total. Il n’en revenait pas de ce que l’Univers pouvait offrir de facettes différentes, originales, inattendues.

Il fut interrompu dans ses réflexions par sa perception du geste du pilote qui valida l’arrimage de la seconde navette sur le vaisseau. Ils arrivaient. Brixtral était réellement impatient à l’idée de la confrontation entre les découvertes et les ressentis des deux équipes après cette première journée d’exploration. Il se dirigea vers eux.




Au loin, il reconnut la voix de Broxvrat, le scientifique iixtrien. Celui-ci semblait, comme l’Oosat qui faisait partie de la première équipe, connaitre une infinité de blagues à tous propos. Brixtral se trouvait trop loin pour comprendre la teneur de son récit , mais il perçut clairement les rires — un genre de bruit de trompette pour l’Oosat et une sorte de grincement pour le Chtchinion — en réponse à la chute inattendue sortant de la bouche du chimiste-biologiste Iixtrien.

Puis, au détour du couloir, ils apparurent tous les trois. Ils avaient l’air à la fois épuisés et guillerets.

— Oh Brixtral ! fit son congénère en le reconnaissant. La récolte a été bonne pour vous en bas ?

— Oui, intéressante en tout cas. J’ai pensé à vous et je vous ai rapporté un échantillon d’une matière étonnante dénichée sur place.

— J’ai hâte de voir cela dans mon laboratoire, mais laissez-nous nous détendre quelques instants avant de vous retrouver en salle de réunion pour débriefer ensemble.

Ses deux collèges approuvèrent silencieusement. Ils en avaient de toute évidence plein le dos et les pattes eux aussi. Il faut dire qu’ils étaient restés au sol sensiblement plus longtemps que l’autre équipe.

— Il n’y a pas d’urgence, Broxvrat, Asobalarava n’a pas encore fixé le moment de notre débriefing. Elle devait attendre que vous soyez rentrés. Allez vous reposer un peu, je vais la prévenir de votre arrivée.

— Merci, Brixtral, fit, au nom des trois présents, Chtchinionami, l’ethnologue. Nous aussi, nous avons des nouvelles surprenantes à partager avec vous tous.

Sur ces paroles mystérieuses, mais pleines de promesses, les trois explorateurs à peine revenus tournèrent les talons et repartirent dans leurs cabines respectives, laissant notre Iixtrien avec encore plus de questions et d’interrogations que lors de son retour à bord du vaisseau. Qu’avaient-ils pu bien découvrir ? Étaient-ce les mêmes choses qu’eux ? L’architecture, enfin ce qu’il en restait, semblait très différente des ruines qu’il avait explorées avec ses collègues… Quelles surprises pouvaient-elles recéler ?




Il erra un peu dans le dédale de couloirs du bâtiment avant de tomber sur l’Ablonienne qui était à nouveau en grande conversation avec Fluuusigrati. Décidément, ils ne se quittent plus, ces deux-là, se dit-il. Il faut reconnaitre qu’à part l’équipage, ils étaient les seuls qui ne descendaient pas au sol. Cela devait les rapprocher, par la force des choses.

— … Vraiment je me demande ce qu’ils ont pu trouver en bas ? s’interrogeait-elle.

— On le saura bientôt, chère amie. Peut-être devrait-on lancer la réunion de débriefing ?

— Vous avez raison, je vais me renseigner sur le retour de la seconde équipe, répondit-elle en amorçant le déplacement de sa cuve vers le poste de pilotage.

Brixtral l’arrêta presque aussitôt :

— Ils viennent juste de rentrer, Asobalarava. Je les ai croisés. Ils sont partis se délasser quelques instants et ils sont, semble-t-il, « des nouvelles surprenantes à partager avec nous tous », dixit Broxvrat.

— Oh, voilà qui s’annonce passionnant ! s’enthousiasma la cheffe de l’expédition, dans une belle gerbe d’éclaboussures.

— Que se passe-t-il ? demanda le Fluuusio attiré par les bruits d’eau, et qui les avait rejoints.

— Il vient de m’indiquer que l’autre équipe à des « nouvelles surprenantes à partager ». Mais il nous faut leur laisser souffler un moment. Le temps passé à la surface a dû être un peu éprouvant. La gravité y est nettement plus élevée que sur les deux premiers cailloux explorés.

— Dans deux dixièmes d’UT ?

— Oui, cela me semble bien, approuva-t-elle.

— Je vais les en informer si vous le souhaitez proposa Brixtral.

— Merci d’avance, Secrétaire, bruissa Fluuusigrati reconnaissant.

Ils allaient certainement mettre ce délai à profit tous les deux pour faire des conjectures sur ce qui allait être révélé lors du débriefing à venir.

Il allait vraiment être urgent de faire passer le message à tous, sur le fait qu’il voulait être Brixtral, intégré à cette équipe d’exploration et non plus le « foutu » Secrétaire de la commission des affaires Inter-Galactiques, embarqué en observateur. D'autant plus qu’il le tenait plutôt bien son rôle d’explorateur ! Ses collègues le lui avaient même dit. Il aborderait le sujet d’emblée lors de cette conférence de débriefing à venir.

Fort de cette résolution, l’Iixtrien se rendit dans la partie des cabines personnelles du vaisseau et se présenta à celle de son congénère.

— Oui, Brixtral ? demanda Broxvrat.

— Je voulais juste vous avertir qu’Asobalarava a calé notre réunion globale de bilan de la première journée sur place dans environ trois dixièmes d’UT.

— Entendu, j’y serai. Je vais en informer mes collègues. Merci.

— Je vous en prie, fit le secrétaire qui décida d’aller passer son temps libre dans la bibliothèque du vaisseau.

Il s’aperçut qu’il avait laissé l’échantillon prélevé au sol dans sa cabine. Tant pis, il le remettrait à Broxvrat lors du débriefing à venir.

En attendant celle-ci, il avait encore envie de se plonger dans les paysages rouges et accidentés de cette planète mystérieuse. Il se demandait à quoi elle devait ressembler aux temps de l’apogée de cette espèce d’Intels qui était venue l’occuper. Y avait-il de gigantesques bâtiments ? Voyait-on une nuée de vaisseaux en orbite ? Pouvait-on y observer un énorme spatioport fourmillant d’opérations ? Combien d’Intels vivaient ici dans sa « grande époque » ? Il faudrait d’ailleurs qu’il pose la question lors de la réunion, sur d’éventuels satellites encore actifs. Il ne se souvenait plus si cela avait été évoqué durant des sessions de présentation de ces deux planètes avant de partir de l’UIG.

Le temps de ces réflexions, il était arrivé dans la pièce servant de médiathèque. Il s'installa devant un écran et chercha toutes les vues possibles de la planète autour de laquelle ils orbitaient. Faisant défiler les images de la surface, il finit par se faire une bonne idée de la géographie de celle-ci. Elle n’était pas tout à fait sphérique, mais plutôt aplatie aux pôles et présentant deux aspects complètement différents sur les parties nord et sud comme on le lui avait appris avant le voyage. Il n’avait cependant pas noté ou pas retenu cette zone de fracture très profonde vers l’équateur sur une très grande longueur avec autour ce qui ressemblait à un relief extrêmement accidenté, pour lui, habitué aux simples collines. Les montagnes ainsi que cette faille colossale témoignaient d’une intense activité géodésique passée.

Il découvrit également ces bassins d’impacts immenses, semblant indiquer des traces de corps célestes gigantesques, sans doute au temps de la formation de ce système stellaire. Il s’émerveillait de ce que l’Univers pouvait présenter comme diversité. Il pensait avoir tout vu avec cette UIG prodigieusement hétéroclite, mais non, le Monde paraissait encore receler d’autres étrangetés, au-delà de tout ce qu’il aurait pu imaginer.

— Alors, on rêve, Secrétaire ? le surprit le Fluuusio dans un bruissement délicat, comme un chuchotement.

— Oh, c’est vous, Fluuusigrati ?

— Oui, je venais me renseigner plus avant sur cette planète quand je vous ai aperçu, absorbé dans la contemplation des panoramas de celle-ci. Vous sembliez tellement immergé dedans que j’ai hésité à vous déranger.

— Oui, je suis fasciné par ce que le Monde nous réserve comme surprises

— Comme vous dites. Vous ne pouvez pas imaginer comme cela me change de mes univers-forêts. Cette poussière, cette absence totale de la moindre végétation. C’est beau, mais ceci ne me semble pas vraiment vivant.

— Un jour, Fluuusigrati, si cela ne vous dérange pas, il faudra que vous me relatiez ce que c’est qu’être partie prenante d’un de ces mondes-forêts. J’ai appris beaucoup de choses là-dessus, dans ma formation, mais c’est un témoignage vécu qui me passionnerait.

— Avec plaisir, Secrétaire, je vous raconterai ce qui pourra vous intéresser.

Là, il en avait l’occasion, hors réunion. Il allait la saisir :

— Au fait, Fluuusigrati.

— Oui, Secrétaire ?

— Justement, c’est de cela qu’il s’agit.

— Comment ça ?

— Pourriez-vous, s’il vous plait, me considérer comme Brixtral, membre de cette expédition de la même manière que les autres et non plus comme je ne sais quel fonctionnaire de l’UIG venu se faire mousser ?

— Mais avec plaisir, Sec… Euh, Brixtral. Je ne m’adressais à vous que par respect envers votre titre de Secrétaire de cette Commission. Ce n’était absolument pas une façon de vous tenir à l’écart.

— Merci Fluuusigrati.

L’explication du Fluuusio le rassura quant à son sentiment d’intégration dans la mission. Il n’était pas, enfin au moins par celui-ci, vu comme un observateur extérieur. Il fallait juste vérifier que c’était le cas pour tous les autres présents dans ce vaisseau.

— Je vous en prie. J’y pense, souhaitez-vous que j’évoque cette façon de s‘adresser à vous également auprès de notre cheffe et du reste des membres de l’équipe ? interrogea le Fluuusio.

— J’en ai déjà parlé à Oosvlax et Chtchinionina avec qui j’étais au sol, mais si vous voulez le faire auprès des autres, je vous en remercie. J’envisageais même d'aborder cette question lors de cette réunion, afin que tout le monde l’entende.

— Si vous en ressentez le besoin, Brixtral, n’hésitez pas. Mais de mon côté, j’en toucherai deux mots à tous ceux que je croiserai avant.

— Merci Fluuusigrati. Je crois que je vais vous laisser la place et vais aller m’allonger quelques instants avant notre débriefing. Toutes ces images m’ont un peu donné le tournis.

— À tout à l’heure, Brixtral.

Regagnant sa cabine, à la fois satisfait d’avoir abordé cette façon de le considérer et fatigué par cette immersion dans les multiples vues de cette planète, il ne tarda pas à plonger dans un sommeil profond, aussitôt étendu.




Il rêva qu’il se trouvait sur une planète couleur bleu-vert, et qu’au lieu de sa crête violette, il avait des sortes de feuilles qui lui recouvraient la tête. Ses trois bras étaient devenus noueux et pleins de ramifications, sur lesquelles poussait une innombrable feuillaison. Ses trois jambes se terminaient par des racines qui s’enfonçaient dans le sol. Il se savait faire partie d’un réseau géant tapissant toute la surface émergée de cette planète, comme si de ses extrémités enterrées partaient des liaisons vers tous ses congénères. Il avait connaissance de tout ce qui se passait en tout point. Il avait accès instantanément à tout le savoir commun. Il sentait la douceur de la pluie sur certains, le mordant du froid, la soif de la sècheresse, la chaleur du soleil sur d’autres… Toutes ces sensations, ces connaissances en simultané l’épouvantèrent et il se réveilla en sursaut.

Se ressaisissant, il se leva et se rappela l’heure du débriefing prochain.

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