IV- Des pensées menant au déni 1/2

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 J'ai ressassé les paroles de ma mère de nombreuses fois, avant d’aller dormir et après mon réveil le lendemain. Peut-être même l’ai-je rêvé ! Le matin, je l'entendais me parler et sa voix résonnait dans la bergerie comme si elle était avec moi, avec moi et la chèvre. Mais je ne pouvais croire en cette chose. Je ne dis pas refuser de croire qu'il fut un temps l'être humain croyait dans l'idée des Gardiens de l'Equilibre. Je refusais de penser à ce que j'en soi un. Ou un humain choisi par eux. Qu'est-ce qui m'y a prédestiné ? Ma vie de paysan ? cette existence rude et sévère où l'on fait face quotidiennement aux soucis et qu'ils ne peuvent que grandir années après années ? qui suis-je parmi tous ceux-là ? Est-ce que cela a à voir avec mes parents ? sont-ils liés à cette prophétie d'une manière ou d'une autre ? savent-ils quelque chose précisément que ma mère ne m'a pas avoué ?

Une boule de colère se formait en mon corps contre je ne sais pas qui, ou quoi. Mon visage s’est durci gravement lorsque mon père s'est présenté à la porte du bâtiment. D'un geste de la tête il a désignait la vieille chèvre que je n'ai pas eu le courage de sortir ce matin :

« Il faut prendre une décision la concernant. Il commença à dire.

- Laquelle ? Je répondais en m'arrêtant de balayer pour la regarder mâchouiller un bout de bois.

- Elle ne donne plus de lait et elle est trop petite pour que sa peau nous rapporte quelque chose. Elle ne nous sert donc plus à rien.

- Tu voudrais t'en débarrasser ?

- Elle est vieille, elle a bien vécu.

- Elle n'est pas malade et a encore moins de problème physique. Elle ne donne plus de lait à cause d'une dégénérescence héréditaire. Cela justifie-t-il sa mort ?

- Parlons-nous d'une chèvre ou d'un homme ? Il m’a demandé en me fixant d’une manière que je dirais provocatrice.

- Hmm... je ne pus faire autre chose en réfléchissant aux sentiments qui m'animaient pour cet animal. J'avais pris l'habitude de son existence bien spéciale. Elle n'était pas une chèvre comme les autres, elle se démarquait. J’avais un attachement. Mais cela restait notre gagne-pain ou notre perte, c’est vrai.

- Voilà. Elle doit donc disparaître. »


 Mon père disparu à ces mots. Cela voulait dire qu'il fallait que je m'occupe de cette disparition. J'ai soupiré un instant et je me suis dirigé vers la chèvre. A mon mouvement, celle-ci a relâché son trophée et s'est mise à me regarder.

J'ai alors repensé à ce que j'avais dit. Le seul souci de cette chèvre repose sur une déficience qu'elle a depuis quelques années dont on savait depuis toujours qu'elle l'aurait. Elle ne pouvait plus donner de lait parce que quelque chose dans son système ne marchait pas. Sa mère l'a eu avant elle et la mère de sa mère, selon les dires de ma mère à moi, l'a eu en première. S'il y avait un moyen sur cette Terre de débloquer ce qui bouchait le fluide, cette pauvre chèvre aurait la vie sauve. Je me demandais même si cette anomalie n’était pas aussi à l'origine de sa folie. Puisqu'elle ne pouvait faire ce que toutes les autres chèvres faisaient, elle devait trouver cela bizarre, se sentir exclue et agir alors différemment. J'ai un vague souvenir que sa mère n'avait pas un comportement tout à fait net avant elle.

Tandis que j’attrapais la chèvre par ses cornes et que je la tenais fermement, prêt à partir l'abattre, j'ai vraiment voulu, au fond de moi, que cet animal aille mieux, que ce qui l'empêchait de vivre sa vie correctement disparaisse. J'ai même fermé un moment les yeux en demandant silencieusement.

Je ne sais pas ce qui s'est passé autour de moi quand j’ai eu les yeux clos mais lorsque je les ai rouverts, sur le pas de la porte de la bergerie, la chèvre a bêlé d'une façon inattendue. Elle a bêlé une fois, c'était très rapide, de la même manière que ses consœurs.


 Très surpris par ce que je venais d'entendre, je l'ai lâché. Normalement elle aurait dû fuir, c'est ce qu'elle fait tout le temps, par peur de moi ou par sa folie. Au contraire elle est restée près de moi et a crié en ma direction plusieurs fois. J'ai cru reconnaître l'attitude de la chèvre qui attend d'être trait. Je me suis exécuté puisqu'en posant ma main sur son ventre, il était visiblement temps.

Après avoir récupéré le lait de chèvre dans un seau, je suis allé le montrer à mon père :

« Papa ! Plus besoin de tuer la vieille chèvre ! Elle donne enfin du lait, regarde !

- Voilà une excellente nouvelle ! Il faudra veiller à sa régularité et peut-être alors qu'elle a encore de belles années devant elle.

- Je l'espère. »

La discussion n'allait pas plus loin tellement j'étais heureux pour elle. Je ne voulais pas en dire plus, je voulais la regarder en silence gambader à sa manière dans le champ.

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