XIII- D'un pari sur l'avenir 2/2

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 Je suis très indirect dans le récit de cette journée parce qu'en réalité je ne suis pas sûr que j’aie réellement dit tout cela. L'intention y était j'en suis certain mais avais-je tant de talent d'orateur ? Je suis sceptique.

Quant au déroulé même de la journée et une grande partie de la suivante c'est un peu flou. Enfin, c'est de l'entrainement militaire, il est question de faire un geste et de le répéter encore et encore, encore et encore. On le fait et refait jusqu'à ce qu'il devienne un automatisme. Je n'avais d'une journée coupée en deux pour enseigner ce que j'avais retenu d'une semaine et demi. Je n'ai pas enseigné les mouvements de groupe par exemple en dehors du mur de bouclier. Cette technique sert à subir le premier choc des lignes, elle me semblait vitale pour la bataille probable à venir.

Ce ne fut pas simple cependant de trouver des boucliers dans le village. Les paysans n'ont pas ça chez eux et s'il est possible de remplacer une épée avec un bâton ou une pique par une fourche, il y a peu de chose dans le monde rural qui ressemble à un bouclier de soldat. Ce n'est que quand le village commença à se vider que plusieurs idées me sont venues. Une roue de brouette ou d'un petit chariot, un couvercle de soupière et aussi avec beaucoup de chance une souche d'arbre déracinée, pouvaient servir de bouclier. Après avoir trouvé dix de ces ustensiles, il était possible de former un mur de bouclier. Une moitié des recrues faisait le mur, l'autre jouait les assaillants. Le principe est de tenir une défense imprenable par des attaques classiques, il faut briser les boucliers pour passer, le contourner ou le franchir par au-dessus, mais entre les boucliers les défenseurs peuvent finement tirer à l'arc ou toucher d'estoc. Lorsque les dix défenseurs étaient submergés, on changeait de côté, les attaquants devenaient défenseurs et réciproquement. La terre était retournée, certaines recrues tombaient et se faisait piétiner, il y avait de la douleur, de la colère et assez peu de maîtrise.

Mais le midi de la deuxième journée était passé depuis longtemps et il était l'heure de partir. Nous devions rejoindre Elk. Quand j'ai crié la fin de l'entrainement, toutes les recrues ont pris place en rang devant moi. Elles n'avaient pas fières allures. Une partie était noire de boue humide des vêtements au visage, une autre avait ici ou là des petites plaies sanguinolentes. Toutes avaient le visage fermé. Je ne sais pas si la peur les prenait déjà ou si c'était la déroute de l'exercice qui avait sapé leur moral. Il fallait néanmoins redonner courage à ces hommes avant de partir.


 Tout à coup le tonnerre gronda. Une pluie fine suivie qui se transforma en quelques minutes en une averse. Il m'a été plus difficile de prendre la parole sous la pluie mais je l'ai fait. J'ai complétement oublié ce que j'ai dit en revanche. Cela devait parler du village, du Royaume, de notre terre en péril. Nos familles qui nous ont précédés sur la route de Elk comptent sur nous pour défendre leur vie. Même si la vie des travailleurs de la terre et des éleveurs n'est pas toujours une existence rêvée, elle est essentielle. Ce sont dans les villages que l'on voit la plus grande et plus pure solidarité, chacune et chacun d'entre nous est prêt à laisser ce qu'il fait pour aller aider un voisin. On ne se pose pas la question de quelle tâche est la plus importante, est la plus vitale, entre la nôtre et celle de cet ami. Non, on va l'aider pour le soutenir dans un moment de détresse. Parce que la vie est ainsi, plus elle est difficile plus on s'entraide parce que l'on veut être aidé en retour.

Aujourd’hui notre terre a besoin de défenseurs. Notre terre a besoin de héros. Les plus grands héros des légendes ne sont pas venus des milieux faciles, les plus grands héros sont nés sur les terres les plus malheureuses. Et quand je dis cela, je ne peux m'empêcher de penser à moi et ce que je suis devenu. Mais là n'est pas encore la question.

Sous la pluie, le vent et l'orage j'ai eu des vivats et autres exclamations. Puis nous nous sommes mis en route en formation deux par deux. Elk nous attendait.


 Quoique, en vérité, je ne savais pas ce qui m'attendait à Elk, ce qu'elle avait réussi à préparer, si elle avait géré les centaines (les milliers ?) de famille des villages alentours et si elle pouvait tenir un siège. Dans tout cela, que valait mes vingt recrues ? Seront-elles un renfort apprécié ou bien juste vingt types en plus sur le dos de la ville ? Ainsi mon discours gonflant le courage n'avait pas tant marché sur moi.

Pour continuer à me perturber une autre chose allait se passer. Si le village de Kern est au bas d'une colline sur laquelle se trouve ma maison, lorsque l'on quitte le village en direction de Elk il y a une petite bute à franchir. J'étais en tête de la file de mes recrues lorsque je suis arrivé en haut de la bute. Il continuait à pleuvoir et la lumière du Soleil manquait déjà cruellement. Cela m'empêcha de voir que de l'autre côté de la bute un comité nous attendait. Une armée constituée facilement d'un millier d'hommes. Devant elle un groupe de cinq cavaliers se dirigea vers nous. J'avançais de quelques pas tandis que mes recrues s'alignaient sur la bute.

"Halte-là ! cria le premier cavalier qui s'arrêta à ma hauteur. Il ne semblait pas avoir d'armure pour la guerre, il était revêtu d'habits en cuir. Mais la pluie expliquait la raison de cacher le fer et l'acier, de peur qu'il rouille. Qui êtes-vous ?

- Nous sommes des villageois, nous nous rendons à Elk. Je prenais la parole.

- La route est fermée, la ville est assiégée, vous devez faire demi-tour. Les autres cavaliers arrivaient et s'arrêtaient derrière le premier, en ligne.

- Pour aller où ? Elk est notre ville, nous devons y aller.

- Ce ne sera pas possible. Le cavalier quitta mon regard pour observer les autres "villageois". Vous êtes armés ? Vous voulez rejoindre les rangs de la ville c'est bien cela ?

- Oui. J'ai préféré dire la vérité directement, je ne voyais pas ce que je pouvais dire d'autres, mon art du mensonge est limité.

- Alors on vous laissera passer contre des prisonniers.

- Comment ?

- La guerre, fiston, c'est la guerre. Il faut faire des prisonniers pour avoir un peu de rentrée d'argent de la rançon. Alors, hmm... vous êtes vingt et un. J'accepte de vous laisser passer contre vingt prisonniers !

- Et si je refuse ?

- La mort te fauchera rapidement.

- Je suis Arn, apprenti Chevalier du Royaume, je vous défie en duel contre le passage de mon groupe en direction de Elk ! Je fis sur une pulsion.

- Aah ! Rollon a un apprenti ! Et il est devant moi ! J'ai gagné cette journée de merde ! fit le cavalier en riant avec ses comparses derrière lui. Après quoi il prit un ton sérieux et me jugea du regard. J'accepte ton duel. Si je gagne ce sera ta mort et les chaînes pour tes camarades. Tu n'as pas de cheval je parie, alors nous allons le faire à terre, ici et maintenant.

- Très bien !" Je conclu sur un ton déterminé.

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