Chapitre I : Fun Facts

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 Je me suis faite tromper.

 Ouais, je sais, ce n'est pas terrible de commencer comme ça. Ça me fait chier de me présenter par un aveu de faiblesse et de me définir par mon statut marital – bien que je ne sois pas sûre que la case « cocue » existe sur les papiers administratifs – comme s'il s'agissait de la seule expérience réellement poignante qu'il m'avait été donné de vivre jusque-là. Promis je ne m'épancherais pas trop longtemps sur le sujet, et je ne m'éterniserais pas non plus en apitoiements pour ma propre personne. Je ne suis pas la première, ni la dernière à qui cela arrive, ça me semble être une expérience quasi-universelle. Mais bon, si je suis tout à fait honnête, c'est la seule chose à laquelle je suis capable de penser en cet instant, alors il fallait que je déballe mon sac, histoire de planter le décor, faire un état des lieux du bagage minable que je me trimbale à ce moment-là.

 Alors permettez-moi : ouin ouin, j'ai le cœur brisé. Plaignez-moi s'il vous plaît.

 Voilà, maintenant que c'est fait, nous pouvons passer à autre chose. Comme par exemple : mon déménagement. Je n'avais pas l'intention de rester dans cette ville trop pleine de souvenirs, ni la volonté nécessaire pour les effacer. J'ai donc décidé de fuir, pour aller me terrer dans un petit village de campagne, perdu au milieu de rien. Le rêve.

 J'avais prévu de trouver un job – n'importe quoi, je m'en foutais complètement, le premier qui se présenterait à moi – et de mettre au rancart mes six ans d'études intensives. Quel gâchis, me direz-vous. J'y vois plutôt une espèce de libération : de toute manière, les diplômes de nos jours, parait-il que ça ne signifie plus rien.

 Je n'ai pas réellement choisi où nous allions atterrir, moi et ma soucoupe d'infortunes, flairable à des milles à la ronde. Ça s'est fait comme ça, un coup du destin : la mère d'une amie de ma tante (rien que ça) est décédée quelques mois plus tôt, et la famille n'avait pas le cœur à vendre la maison pour le moment. Je payais un petit loyer, eux avaient le sentiment de donner une seconde vie – et de faire une bonne action en me sortant du vortex dépressif dans lequel je m'enfonçais – à la baraque dans laquelle ils avaient grandi.

 Un gros camion de cartons et quatre heures de route plus tard, je posais les pieds dans ce qui allait être mon nouveau havre de paix : une petite maison de campagne poussiéreuse à la tapisserie atrocement fleurie. Je devrais sûrement songer à me renommer Laura Ingalls, mais j'ai déjà un prénom de gourde à couettes blonde, alors je pense que je n'aurais pas de mal à me fondre dans le décor. À vrai dire, je crois même que je ne la déteste pas, cette tapisserie. Bienvenue chez toi, Joséphine.

 Les escaliers grincent, le robinet de la cuisine fuit, et je suis bien. Je me dis que cette maison est un peu comme moi : défaillante. Ça me fait me sentir mieux, j'ai le sentiment qu'elle et moi, on se comprend. Il y même un petit jardin, et bien que je n'ai jamais planté le moindre bulbe de ma vie et que je ne sais pas faire la différence entre une mauvaise herbe et de la ciboulette, il n'est jamais trop tard pour commencer, pas vrai ? Nouvelle maison, nouvelle vie, nouvelle moi. Laura Ingalls n'a qu'à bien se tenir.

 J'ai vérifié d'ailleurs en faisant ma demande de recensement et, fun fact : la case « cocue » n'existe pas.

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