096 Christa tyrannique
Steve était sur les nerfs, comme chaque fois qu'il entamait une nouvelle mission. Il n'y pouvait rien : malgré son expérience, il paniquait toujours un peu. Heureusement, ce petit malaise disparaissait dès qu'il était à pied d'œuvre.
— Ce n'est pas grand chose. Je mets la mission en place, je vérifie que ça tourne bien, puis je te passe les commandes.
Erin soupira.
— Je sais, nous avons tout préparé ensemble, je suis parfaitement au courant.
— Désolé, mais c'est plus fort que moi. En attendant je te confie la maison ici.
— Pas de problème.
Il fit encore une fois le tour de son bureau, cherchant ce qu'il avait bien pu oublier, ne trouva rien, soupira et se laissa tomber dans son fauteuil. Un coup d'œil à sa montre lui permit de constater que la voiture devant l'emmener à l'astroport ne serait pas là avant une dizaine de minutes. Il soupira encore. Erin le regardait faire avec un sourire ironique. Il l'interrogea brusquement.
— Tu sais que ça ne va pas mieux avec Christa ?
— Vu la tête que tu fais chaque matin, ça ne m'étonne guère.
— Je pense que je vais revenir m'installer ici, dans ma garçonnière. J'y ai déjà passé la nuit dernière, prétextant un départ aux aurores ce matin, et elle n'a pas réagit. Apparemment, elle s'en fout !
— Tu crois que c'est la meilleure solution ?
— Tu ne peux pas savoir comme l'ambiance est délétère à la maison. Quoi que je fasse, c'est toujours mal. Tiens, l'autre jour elle m'a fait un scandale parce que j'avais laissé traîner ma veste sur un fauteuil du salon. Je n'avais pas fait attention, je m'étais installé pour lire mon courrier en rentrant du boulot, puis j'ai quitté la pièce en laissant ma veste sur place. Du coup, elle m'a démontré que j'étais un cochon, qui ne tenait aucun compte des efforts qu'elle faisait pour tenir la maison propre, etc... Je te rappelle que je lui paye une femme de ménage trois fois par semaine ! Nous donnons une drôle d'image de la famille à Tina.
— Tu crois que ce sera mieux si elle ne te voit plus ? Une fille a aussi besoin de son papa.
— J'essaierais de m'occuper d'elle, en l'emmenant à ses cours de musique par exemple. Au retour, nous irons manger chez McFrites, elle adore. Et ainsi nous pourrons parler un peu tous les deux. Je voudrais qu'elle ne souffre pas trop de la situation.
Erin secoua la tête en signe d'assentiment. Steve reprit, hésitant.
— Je voudrais te demander... ça m'ennuie mais... pourrais-tu passer à l'occasion pour voir si Christa va bien, si elle n'a besoin de rien ?
Erin fronça les sourcils.
— Tu me demandes de l'espionner ?
Steve se redressa brusquement.
— Non, pas du tout. Je t'assure que je n'ai pas pensé à ça. Mais toi, au moins, tu es en bons termes avec elle, elle te parlera librement. Après, c'est toi qui voit si tu as des choses à me dire... je ne sais pas, si la solitude lui pèse, si elle a besoin de quelque chose. Tu sais, c'est dur ce qui nous arrive. Lorsque l'on est l'un en face de l'autre, c'est la guerre, les petites réflexions acides, quand ce n'est pas pire. Mais dès que je m'éloigne de la maison, je la revoie telle qu'elle était au début... Qu'avons nous fait pour en arriver là !
Erin le regarda en silence. Elle voyait l'ironie de la situation, mais n'avait pas le cœur à s'en réjouir. Au contraire, la confiance de Steve lui faisait mal. Elle n'en était pas digne, et cela la tourmentait. Steve redemanda :
— Alors c'est d'accord, je peux compter sur toi ?
— Ça ne me plaît pas. Ce n'est pas mon rôle de m'immiscer dans votre vie de couple.
— Pour ce qu'il en reste ! Tu sais, je suis inquiet de la laisser seule comme ça alors qu'elle n'a pas le moral. Si elle est assez forte pour réorganiser sa vie sans ma présence tant mieux. Mais je ne voudrais pas que cela tourne au drame. Je t'en supplie, vas la voir.
Erin soupira.
— OK, j'irai.
— Merci beaucoup. Tu m'enlèves un poids.
— Tu sais, sur le long terme ce n'est pas à moi de régler votre problème. Et le fait de fuir le domicile conjugal n'est pas une bonne solution. A moins que tu n'ai l'intention de refaire ta vie...
— Tu es folle ! Si je suis obligé de vivre sans Christa, ce ne sera pas pour partir avec une autre.
Son oreillette s'activa. Il répondit brièvement et se leva.
— Abdul m'attend. J'y vais.
Soulagé de pouvoir mettre fin à la discussion il sortit du bureau d'un pas précipité. Erin resta seule face à ses scrupules.
Un peu plus tard dans la matinée, elle reçut un appel téléphonique de Christa. Celle-ci voulait qu'elles se retrouvent chez Erin en début d'après-midi.
— Mais je travaille -protesta la mercenaire- en l'absence de Steve, j'ai la responsabilité de la base.
— Et bien tu n'as qu'à déléguer. Je suis libre jusqu'en fin d'après-midi, uniquement aujourd'hui.
— Tu rêves, je ne vais pas m'absenter du boulot à peine le patron parti...
— Écoute, si tu m'aimes tu trouveras bien une solution. Je serai devant chez toi à treize heure quarante.
Christa interrompit la communication brusquement, empéchant Erin de protester encore. Accablée, celle-ci se prit la tête dans les mains. C'était la troisième fois que Christa lui faisait le coup : Steve à peine parti, elle appelait pour fixer un rendez-vous, unilatéralement. Et puis, tout ceci était décevant : Christa ne désirait qu'un câlin, quelques frissons, un orgasme et au-revoir. Ce n'était pas de cela qu' Erin avait rêvé durant toutes ces années.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu es fatiguée ?
Rob venait d'entrer en coup de vent dans le bureau et l'avait trouvée, toujours prostrée.
— Non, un problème perso.
— Tu as une vie personnelle, toi ?
— Idiot !
Il posa des documents sur le bureau.
— Le dossier Karmin Stern. J'ai fait une première analyse des besoins. On peut en parler cet après-midi ?
— Je n'aurai pas le temps, il faut que je sorte. A ce propos, je pourrais te demander de superviser l’entraînement des gars à ma place ?
Rob la regarda, surpris.
— Pas de problème. Si tu as besoin de moi pour autre chose n'hésite pas.
— C'est gentil, merci.
Malgré tous ses efforts, Erin arriva en retard au rendez-vous. L'accueil de Christa fut plutôt frais.
— Je croyais que tu allais me poser un lapin : ça fait plus d'un quart d'heure que j'attends.
— Tu ne te rends pas compte. J'ai des obligations professionnelles moi.
— Tu ne vas quand même pas te mettre à parler comme Steve. Il a toujours des obligations professionnelles, jamais des familiales.
Erin préféra ne pas répondre et entra la première dans l'immeuble. Christa dut quand même se rendre compte qu'elle avait été un peu trop loin, et que son amie faisait la tête, car, dès qu'elles furent dans l'appartement, elle devint plus câline. Elle vint serrer Erin dans ses bras, et posa sa tête contre sa poitrine.
— Heureusement, toi tu me comprends. C'est un vrai casse-tête pour m'échapper et disposer d'un peu de temps, Mais nos rencontres sont des rayons de soleil qui me redonnent le goût de vivre. Je ne sais pas si je te l'ai déjà dit, mais tu est merveilleuse de douceur, d'attention, de tendresse. Je suis très chanceuse d'avoir une amie telle que toi.
Erin fut à moitié convaincu par ce discours, mais elle avait beau être énervée en arrivant, elle ne pouvait pas résister à la présence de Christa contre elle, à son parfum, à la douceur de son corps. Ses mains, ses bras, ne pouvaient que s'ouvrir pour l'accueillir et la chérir.
Après l'amour, elles restèrent un moment allongées cote à cote. Christa rompit le silence la première.
— Je pense que Steve va bientôt me quitter.
Inquiète, Erin se redressa sur un coude et la regarda attentivement.
— Pourquoi dis-tu ça ?
— La nuit dernière, il a découché, soit disant parce qu'il partait très tôt ce matin. Je pense qu'en fait il voulait voir ma réaction à l'idée qu'il reprenne sa garçonnière.
— Tu crois ?
Christa soupira.
— Voyons, Erin, ne fait pas l'innocente, il a dut t'en parler.
Erin hésita à répondre. Finalement elle choisit de ne pas trop en dire.
— Il m'a simplement laissé entendre qu'il passerait plus souvent des nuits à la base, parce que c'était plus pratique, et que comme cela tu ne serrais pas obligée de te plier à ses horaires souvent irréguliers.
— Tu parles ! Jure-moi qu'il n'y a pas de femme là dessous.
— Alors ça, je peux te le jurer sans peine.
Christa fit une grimace, pas convaincue, ou alors déçue de ne pas trouver un nouveau grief contre Steve. Erin se recoucha sur le dos et regarda le plafond.
— Et s'il envisageait sérieusement de se séparer de toi, qu'en penserais-tu ?
— Je préférerais cela à la situation actuelle. Je ne peux plus le supporter. Dès qu'il est présent, il m'énerve. Il est aussi délicat qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Mais il ne s'en sortira pas comme ça : j'ai tout quitté pour lui, j'ai même vendu mon entreprise : la connerie de ma vie ! S'il n'est pas capable d'être un bon compagnon, il faudra bien qu'il se souvienne qu'il m'a fait un enfant, et que c'est moi qui m'en suis toujours occupé. Il aura intérêt à mettre la main au portefeuille !
Erin soupira. L'argent était le nouveau sujet de discutions pour Christa, spécialement l'argent de Steve. Comme s'il ne l'avait pas choyée, installée dans une jolie maison, couverte de cadeaux. Elle préféra ne pas répondre.
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