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Autant qu’il s’en souvienne, Alice avait toujours été cette fille perfide qui dupait, trompait, mentait. Ils avaient vécu ensemble trois ans à Cliffwalk House avant qu’il ne soit envoyé en pension à Eton College. L’une des dernières fois qu’il la vit, c’était l’été de ses quatorze ans, lorsqu’il revînt pour les vacances au manoir. Cette année-là, une sombre affaire secoua la domesticité. Lady Annabel, attendue en compagnie du duc, son époux, auprès du roi Georges V au Royal Ascot, perdit sa broche sertie d’émeraudes, présent inestimable de la reine Victoria à sa cousine Charlotte de Hanovre pour son mariage avec leur aïeul, le très prometteur August William Wintersley qui venait alors de recevoir le titre de duc de Twynham.

Ce bijou, le duc, l’avait transmis à son épouse à l’occasion de leurs fiançailles, sa disparition l’indisposa, et la duchesse, bien en peine de le retrouver avant la date fatidique, organisa le jour même une battue dans tout le manoir. Son conteneur, un écrin doré ciselé de fleurs et d’arabesques végétales posé ordinairement dans sa chambre sur la table en marbre rose de sa coiffeuse, avait été découvert béant avec son trésor arraché et la clé encore enfoncée dans la serrure comme preuve de forfaiture. Même les perles d’un collier arraché que lady Annabel avait rassemblées là en attendant de le faire réparer, manquaient. Le voleur se trouvait dans la maisonnée, et par une implacable logique, les soupçons se portèrent sur les domestiques, tout particulièrement sur les bonnes qui nettoyaient au quotidien la chambre de la duchesse, Claudia et Susan, deux jeunes demoiselles de vingt ans à peine.

Lady Annabel fit fouiller sous sa surveillance la chambre qu’elles partageaient au manoir. Ses investigations se révélèrent fructueuses. Elle découvrit rapidement sous l’oreiller de Susan la broche volée. Le regard de la duchesse foudroya la pauvre jeune fille sur place. Tandis que la bonne clamait son innocence à qui voulait l’entendre, lady Annabel retourna la petite chambre sens dessus dessous à la recherche des perles manquantes. Sans résultat. À bout de nerfs, elle renvoya l’accusée sans préavis ni solde et fit jeter le jour même tous ses effets personnels derrière la grille du grand portail. À peine quelques heures plus tard, la pauvresse prenait un train pour Dorchester.

Pour beaucoup, l’affaire s’arrêta là : la duchesse accompagna le duc au Royal Ascot avec la somptueuse parure et fit honneur au roi et à son mari, mais pour William Theophile Wintersley, elle commença seulement. Peu de temps avant qu’il ne reparte en pension, au retour des vacances en Écosse dans le clan des Haliburton, sa belle-famille, il découvrit autour du cou de Penny, l’affreuse poupée tout en chiffon de sa cadette de neuf ans, un collier de perles mal assemblées d’un nacre brillant et satiné. Enfilées sur un fil de couture trop long, elles étaient enroulées cinq fois autour de la tête du jouet. Liam comprit aussitôt d’où elles provenaient. Il prit la poupée et interrogea sa sœur. Alice Rose Wintersley ne chercha même pas à lui mentir et lui avoua franchement le vol de la précieuse broche. Pas le moindre remord ne sourdait dans ses paroles. Elle se montra même satisfaite du renvoi de « cette sauterelle poilue ». Liam menaça sa sœur pour qu’elle aille sur-le-champ se dénoncer, mais la fillette ne cilla pas.

Il décida de tout rapporter à leurs parents. La petite lady lui spécifia qu’il le regretterait, mais le jeune lord ne pouvait rester sans rien faire tant l’injustice le révoltait. Alors sans écouter davantage ses funestes avertissements, il rentra au manoir et demanda audience à sa belle-mère. Elle l’accueillit dans ses appartements, et attablée à sa coiffeuse tandis que Claudia la brossait, elle l’écouta sans dire mot raconter toute l’histoire. Quand il eut fini, elle lui lança un regard noir et lui ordonna de sortir. Peu de temps après, la duchesse convoqua sa fille. À l’issu de cet entretien, les soupçons ne se portaient plus sur sa sœur, mais sur lui. La fillette n’eut aucun mal à convaincre sa mère de la culpabilité de son frère, dans la chambre de qui elle cacha le trésor. La duchesse se hâta d’en informer le duc qui trouva lui-même les perles de la discorde. La clémence paternelle lui épargna le fouet, mais le condamna à une demi-journée de réflexion à genou dans son office.

Durant ces heures de torture où ses rotules le brûlaient, où les crampes le tenaillaient et où il luttait pour se tenir droit, Alice, cette petite peste sournoise et égoïste, vint le saluer et constater sa souffrance avec un petit air hautain et méprisant :

« Si tu ne t’étais pas mêlé de cette histoire, tu n’en serais pas là. Je t’avais prévenu, c’est bien fait pour toi ! »

Voilà le genre de personne qu’était sa sœur ! Rien d’étonnant à ce qu’elle lui ait menti, puis couché avec lui avant de le voler le lendemain matin et de s’enfuir en courant après l’avoir attaqué sournoisement. Theo attrapa la bouteille de whisky par le goulot et vida son fond d’une traite.

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