Chapitre 12
Vendredi 29 novembre 2019 - 09h00
Département des Yvelines (78)
L’entretien n’avait pas duré plus d’une dizaine de minutes, le temps de procéder aux formalités classiques. La deuxième adresse avait conduit les deux flics chez un couple d’octogénaires. Elle, avec une canne, lui à moitié plié en deux et équipé de la tête aux pieds en appareils médicaux. Impossible qu’ils soient impliqués.
Le nom du scientifique évoqué par Ana n’eut pas plus de succès. Les deux citoyens étaient formels, il n’avaient jamais entendu parlé de l’homme en question, n’y même croisé sa route. À l’évidence, les enquêteurs n’obtiendraient pas de nouvelle information ici.
La femme n’avait fermé sa porte qu’une fois Delfino et Dupuis dans leur voiture. Probablement devait-elle continuer de les observer à travers l’oeil de Judas. Le moteur de la Duster ronronna quelques secondes et le véhicule s’engagea dans l’allée pour rejoindre sa prochaine destination.
- Dernière chance. Où va-t-on ?
- L’adresse est située à Épône, chemin des Ardilles. Il semblerait qu’il s’agisse d’une zone d’activités économiques des Yvelines.
- Quelle poisse ! Tout ce temps perdu pour rien. Si je n’aimais pas mon métier…
La première adresse les avait mené dans une épicerie de quartier sur la commune de Chatou. Le propriétaire, un jeune pakistanais, avait paniqué à la vue des cartes tricolors, de quoi attirer l’attention du binôme. Mais après plusieurs questions, il ne fit aucun doute que l’homme n’avait aucun lien avec le dossier.
Le GPS réglé, la voix indiqua à Charles de s’engager sur l’autoroute A13 dans trois cents mètres. Il activa son clignotant et coopéra sans aucune résistance. L’asphalte défilait à grande vitesse dans un silence parfait entre les deux coéquipiers.
Ana bouillait intérieurement, tout comme son collègue. Patiner autant sur un début d’enquête n’annonçait pas une suite très réjouissante. Le retard s’accumulait et l’auteur du crime ne tarderait pas à libérer ses pulsions meurtrières. D’autres victimes en perspective d’ici peu, elle le ressentait.
Avait-elle loupé un élément dans ses recherches ? L’idée lui traversa l’esprit. Pourtant, elle s’était assurée deux fois de la véracité de chaque information qu’elle avait collectée. Elle secoua sa tête pour chasser cette possibilité et se déconcentrer sur l’objectif.
La voix robotique s’exprima régulièrement jusqu’à annoncer une arrivée imminente. D’un côté de la route, une ville d’un peu plus de six mille cinq cents habitants, assez active, et dont le développement se faisait étape par étape. De l’autre, des champs à perte de vue et leur destination composée d’un ensemble de bâtisses.
- Je n’aime pas trop le décors, Ana.
- Beaucoup d’angles morts, de recoins. Pas idéal.
Charles arrêta le véhicule à une cinquantaine de mètres du bâtiment numéro six placé tout au bout de l’allée. Le coffre ouvert, il tendit un gilet pare-balles à Ana et enfila le sien aussi vite que possible. Le Sig-sauer à la ceinture, il ajusta sa veste et marcha vers l’entrepôt.
Autour d’eux, la zone était très calme. Des bruits d’engins en pleine manoeuvre au loin, parfois le faible écho d’une voix humaine. Qu’aurait pu bien faire un criminel dans un endroit si reculé ? À bonne hauteur, Dupuis aperçu une chaine rouillé par le temps et la pluie sur la porte. Les lieux n’avaient pas servi depuis un bon moment ou bien la personne après qui ils couraient était un véritable génie.
Le goût amer d’une fausse piste se dévoilait peu à peu. Les deux flics prièrent pour trouver un indice à l’intérieur. Alors qu’Ana resserrait les crocs de la pince-monseigneur, une voix l’interrompit.
- Bah qu’est-ce qu’ils font les deux là ? Ils essayent de rentrer comme des filous dans le hangar pour piquer du matos ? J’vais appeler la police, j’vous préviens. Vous allez pas vous en sortir comme ça, petite vermine.
Charles fit volte face et dégaina son arme de service. Le canon tendu vers un homme grassouillé et la salopette recouverte de tâches de cambouis, il baissa son pistolet quand l’inconnu lâcha sa clef à molette de peur. Sa carte de service sortie d’un mouvement très calme, il la présenta pour s’identifier.
- C’est nous, la police. Capitaine Dupuis de la police judiciaire de Paris. Et vous, que faites-vous ici ?
- Bah… euh… j’travaille quoi. Chui garagiste juste à côté, j’répare les taules froissées.
- Connaissez-vous le propriétaire de cet entrepôt ?
- Y’a personne depuis des lustres. Ça fais bien dix piges que j’bosse dans le coin, jamais vu quelqu’un passer. Vous devez être les premiers.
- Et de nuit ?
L’intervention d’Ana le fit sursauter. Elle s’était éclipsée avec discrétion pour faire le tour extérieur de la bâtisse sans trouver le moindre élément exploitable.
- J’crèche pas non plus dans les locaux. Et les caméras vont pas vous aider, elles sont hors service depuis des mois. J’ai pas la trésorerie pour mettre un nouveau système en place.
Le garagiste répondit à deux ou trois autres questions avant d’être libéré. Le dernier espoir pour les deux enquêteur résidait dans l’exploration de l’entrepôt.
La pince-monseigneur croqua l’acier de la chaine et brisa un maillon. Main sur la garde de leur arme, Dupuis et Delfino pénétrèrent avec prudence, lampe-torche droit devant. Les deux faisceaux éclairèrent une pièce plongée dans la pénombre. Toutes les fenêtres avaient été condamnées avec des grandes planches de bois.
Le lieutenant Delfino tenta de basculer l’interrupteur pour activer les néons fixés au plafond, sans succès. Le système électrique ne devait plus être alimenté depuis des années. Difficile d’évoluer dans un si vaste endroit dans de telles conditions.
- J’ai un projecteur avec une batterie dans le coffre du Duster.
- Je vais y aller si tu n’y vois pas d’inconvénients, proposa Ana. Je vais en profiter pour prendre mon appareil photo de poche et de quoi noter ce que l’on pourrait trouver.
Alors que la flic s’éloignait à grandes foulées, une odeur familière saisit le capitaine Dupuis. La chaleur de la braise à peine éteinte, les cendres virevoltant sous l’impulsion de ses pas. Quelque chose avait brûlé dans ces lieux, mais l’incendie n’avait pas eu lieu dix ans auparavant. Trois semaines, un mois… Deux tout au plus.
Charles pointa son crayon lumineux devant lui et balaya lentement l’obscurité de gauche à droite, son engin de mort sous la lueur. Il ne parvenait qu’à éclairer sur une vingtaine de mètres quand le hangar en faisait au moins cent cinquante de longueur. Combien de temps allaient-ils rester dans ce lieu pour en faire le tour ?
Un pas après l’autre, il s’enfonça dans les ténèbres. Ses sens étaient en éveil, son coeur battait au rythme de ses appuis. La main devenait moite, laissant la crosse du Sig Sauer lui échapper. Un pièce métallique percuta le sol. Dupuis fit volt-face, son corps tout en tension. Rien.
Que pouvait bien faire Ana ? Le temps devenait bien long. Et si l’ennemi l’avait surprise par derrière. Il aurait attendu dans un coin, les aurait observés et aurait frappé au seul moment où le binôme s’était séparé. Le garagiste…
Charles s’élança à travers l’entrepôt. Quelle erreur venait-il de commettre ! Ne jamais laisser un équipier seul dans une zone hostile, il le savait pertinemment. Comment avait-il pu ? Lui, capitaine de la police. Il n’avait pas le droit.
Le cadre de la porte se rapprochait quand il sentit son pied s’arrêter et son corps tout entier basculer. Aucune parade possible. Ses poignées puis son visage accrochèrent le sol. La lampe torche cassa et l’opacité des lieux l’entoura. Il se releva, tâtonna pour retrouver son équipement et reprit sa courses avec plus de prudence.
Ses muscles se durcissaient à chaque foulé, son souffle se faisait de plus en plus saccadé, mais il ne pouvait pas abandonner. Ana était en danger.
Proche de l’issue, un faisceau éblouissant l’aveugla. Les mains en protection, il entendit :
- C’est bon, Charles. On peut commen… Mais que t’est-il arrivé ? Tu es dégueulasse…
La voix d’Ana.
- Euh… Rien. Laisse tomber.
Deux heures d’autonomie, le projecteur n’irait pas plus loin. Les deux enquêteurs espéraient quitter l’endroit bien avant la fin du compte à rebours, mais ils étaient sur les lieux de leur unique piste, un espoir bien amaigri à présent.
L’exploration ne fut pas sans ménagement. Delfino et Dupuis découvrirent une carcasse de camion carbonisée, une pile de cartons si humide qu’il en était impossible de les soulever sans arracher un morceau. Les boites en fer sur le sol avaient rouillé.
Ana passa son doigt sur une fine trainée noircie. L’odeur caractéristique d’un composant à base d’éthanol, probablement du white spirit. Mais la femme y vit surtout le signe d’un feu surfant sur un produit accélérant, une course folle et rapide jusqu’à sa proie dévorée dans la joie et la chaleur. D’autres marques rejoignaient le véhicule ou s’en échappaient.
Cent cinquante mètres de longueur sur soixante de largeur et pas une seule trace exploitable.
Charles accusa le coup une fois dehors. Affaissé contre le capot de sa voiture, il croisa les doigts et posa sa tête dessus. Son rituel pour réfléchir lorsqu’il n’avait plus aucun idée en tête. Où son raisonnement avait-il pu faillir ?
- On rentre au 36 et on reprend tes recherches depuis le début. Un élément nous a échappé.
- J’ai pourtant tout vérifier plusieurs fois.
- Pas de remords, Ana. Nous sommes des flics, nous pouvons nous aussi nous tromper. L’important reste de retrouver la bonne piste, la remonter et boucler le criminel.
Il lui adressa un grand sourire et plongea derrière le volant. Reboosté, il mit le contact et pressa l’accélérateur. Le garagiste fit un grand mouvement du bras pour les saluer et retourna dans son antre mécanique.
Alors qu’il s’apprêtait à s’engager sur la départementale, Charles pila brusquement. Sa coéquipière eut à peine le temps de se protéger qu’elle sentit le tableau de bord lui percuter les avant-bras. Il enclencha la marche arrière et remonta la route.
- Mais que fais-tu ? Ça ne va pas dans ta cabeza, Dios mio ?
- Tu n’as pas remarqué ?
- De quoi me parles-tu ? Il n’y avait rien dans l’entrepôt !
Mélange de colère et d’agacement, Charles ne tarda pas à fournir une explication pour éviter les foudres et la voie stridente d’Ana.
- Une rangée de boite aux lettres derrière le garage.
Delfino écarquilla les yeux. Elle tourna la tête pour observer à travers la vitre arrière et repéra au loin la forme rectangulaire s’agrandir à grande vitesse. Un nouveau coup de frein et les deux descendirent. L’oubli aurait pu leur coûter cher.
Le battant tenait à peine, ils n’auraient pas de mal à le faire céder. Ana saisit son arme, empoigna la crosse et frappa lourdement à deux reprises la partie haute du volet. Il pivota sur lui-même à la troisième tentative et livra son précieux contenu.
Charles s’empara de la pile et jeta par terre les prospectus. Au milieu, une enveloppe humidifiée, mais toujours exploitable. Enfin la chance leur souriait. Il s’empressa de la retourner.
Sur la papier, une adresse, celle du hangar. Mais un autre élément capa toute l’attention des deux flics. Le temps ne l’avait pas effacé, un soulagement. En lettres capitales, écrit avec un stylo à bille bleu, le nom de l’entreprise.
VIROTECK.
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