Chapitre 3

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Depuis une heure, je cherchais ma dernière fille dans tout le palais. Après avoir vérifié dans toutes les pièces, je finis par la retrouver à la bibliothèque. Assise devant Benjamin, elle l’observait, le menton dans les mains, les coudes sur la table. Ben marmonnait, passait ses mains dans ses cheveux, jouait avec ses stylos. Ses révisions ne devaient pas se passer comme il l’espérait.


— Liz, tu n’embêtes pas ton frère, j’espère ?

– Mais… non. J’ai rien fait cette fois, me répondit-elle d’une petite voix.

— Je confirme, maman, ajouta mon fils sans lever les yeux de ses fiches.

— Tu veux que je t’amène de quoi t’occuper, ma chérie ?

— Un Puzzle ?

— Je vais essayer d’en trouver un que tu n’aurais pas encore fait. Ben, tu veux quelque chose à grignoter ?

— S’il te plait.


Lizéa était l’admiratrice numéro un de Ben. En grandissant, il s’était embelli. Ses épaules carrées, ses muscles apparents et les abdos qu’il laissait visibles y étaient pour quelque chose dans la fascination de sa petite sœur. Le tir à l’arc l’avait beaucoup aidé à avoir ce physique que tous les jeunes de son âge rêvaient d’avoir. Je farfouillais un moment dans le placard à jouet de ma fille et parvint à trouver l’unique puzzle qu’elle n’avait pas encore commencer. J’allais devoir lui en acheter d’autres. Je fis un détour par les cuisines pour ramener à boire et à manger à mes enfants. De retour à la bibliothèque, Lizéa observait toujours Ben avec attention. Elle détourna le regard quand elle m’entendit rentrer. J’installais son puzzle sur une autre table, proche de mon fils, mais suffisamment loin pour qu’elle ne le dérange pas.


— Ben, où est ta sœur ?

— Bah là, répondit-il en désignant Lizéa, sans lever la tête.

— L’autre sœur, idiote.

— Je ne sais pas, m’man, souffla-t-il. Je ne suis pas son secrétaire.


J’embrassais tour à tour mes deux enfants avant de partir à la recherche de ma fille. Elle avait l’habitude de travailler dans le jardin, mais je ne l’avais pas vu. Je parvins à la trouver dans sa salle de musique. Une salle insonorisée qu’Océane avait fait installer pour qu’Elise puise s’entrainer à la batterie. J’ouvris lentement la porte et l’entendis jouer. Elle n’était pas seule.


— Ça ne va pas les gars, les interrompit ma fille. Éthan, tu es trop en avance sur le tempo. Et toi Mathis, tu es trop en retard.

— Okay Princesse, répondit l’un des garçons. On reprend.

Ma fille se leva pour boire. Elle s’arrêta en croisant mon regard.

— Maman ? Tout va bien ?

— Je ne vous dérange pas ? Je venais juste prendre de tes nouvelles.

— On répète pour le concert de fin d’année.

— C’est ton groupe ?

— Tu veux que je te présente.

— Ce n’est pas la peine. Je ne veux pas vous faire perdre de temps. Vous avez besoin de quelque chose ?

— On a tous ce qu’il faut, merci.

— Je ne vous dérange pas plus.


Elise faisait partie d’un groupe de musique depuis qu’elle était entrée au Lycée, trois ans auparavant. Je n’avais jamais rencontré ses camarades, mais je lui faisais suffisamment confiance. Elle m’avait aussi prouvé à plusieurs reprises que ses répétitions n’étaient pas un frein à ses études. Son dossier scolaire était exemplaire. Ne pouvais rester avec aucun de mes enfants, je partis retrouver ma femme dans le bureau. Celle-ci s’était endormie sur ses documents.


— Chérie ? la réveillais-je en douceur.

— Qu’est-ce que… merde, je me suis endormie ?

— Tu travailles trop.

— Et toi, on dirait que tu t’ennuies. Tes enfants ne veulent pas jouer avec toi ? me charia-t-elle.

— C’est ça, moque-toi. Tu as besoin d’aide ?

— Avoue que tu ne peux pas décrocher. Avoue que ça te manque.

— Bon d’accord, ça me manque. Donne-moi un casse-tête. Autre chose que de la compta.

— Voyons voir…

Elle farfouilla dans tous ses dossiers avant de m’en tendre un bleu bien rempli.

— La justice ? Sérieusement ?

— C’est toi qui m’as demandé un casse-tête. Ne viens pas te plaindre.

— C’est vicieux. Quel est le problème ?

— Une recrudescence de la criminalité dans les campagnes. Et les petites prisons ne parviennent plus à prendre en charge ce surplus.

— Je vois. Ce n’est pas un casse-tête ça, tu veux ma mort en fait ?

— Retour à la case départ, mon amour.

— C’est vrai que j’avais commencé avec la justice dès mon couronnement. Je vais m’occuper ça.

— Ça m’arrangerait grandement.


Cela faisait maintenant sept ans que ma charge de travail avait été dominée par deux. Je ne m’occupais plus que de la comptabilité et de tous les dossiers en lien avec l’argent. Mais Lizéa grandissait. Aidée par son frère et sa sœur, elle avait de moins en moins besoin de moi et je me retrouvais à tourner en rond dans le château. Telle une souris en cage. Pour pallier ça, j’aidais de temps en temps ma femme sur des dossiers bien plus complexes. Ceux qui, habituellement, n’étais pas de me ressort. Ceux ce dans lequel je planchais pendant des semaines. Ceux qui me permettaient de me rendre utile, de faire travailler mon cerveau.

Dossier dans la main, je m’installais à mon propre bureau et branchais mes écouteurs à mon téléphone. J’allumais mon ordinateur, organisais mes papiers, prête à commencer à travailler. Au moment où je voulus m’y mettre, Liliane frappa à la porte et entra, intimidée. Je retirais alors mes écouteurs.


— Excusez-moi de vous déranger.

— Que puis-je faire pour toi ? la questionnais-je.

— Mademoiselle Bianca m’envoie vous remettre ces documents. Ce sont des CV et des lettres de motivations pour le poste de demoiselle de compagnie pour Mademoiselle Lizéa.

— Déjà ? Vous avez été efficace. Je vais regarder ça, merci.

— Avez-vous besoin d’autre chose ?

— Tu n’as pas d’autres taches ?

— Mademoiselle Bianca m’a dit de voir avec vous.

— Dans ce cas, pourrais-tu aller me chercher le Code pénal à la bibliothèque ? Mon fils t’aidera à le trouver si besoin.

— Tous de suite, Madame.


Liliane referma la porte derrière elle. Océane soupira et sa tête finie entre ses mains. Je laissais tomber mon travail pour la rejoindre. Mes bras autour de son cou, je l’embrassais.


— Va te reposer, mon amour. Tu reprendras plus tard.

— Je n’ai pas de temps à prendre, Elena.

— Je ne veux pas que tu t’épuises au travail comme j’ai pu le faire. Tu veux bien m’écouter, cette fois ?

— Je me reposerais demain.

— Océ…

— Je sais ce que je fais, chérie. Fais-moi confiance.


Cette fois, c’était Océane qui n’allait pas bien. Je ne savais cependant pas quoi faire pour l’aider. Elle calculait tout à l’avance, si bien que je n’avais rien à lui reprochais. Je ne pouvais pas non plus l’aider, ne sachant ce qu’il se passait. Tout ce dont je parvenais à comprendre, c’était qu’elle me tenait à l’écart d’un dossier. Celui qui lui prenait tellement de temps. Sur mon bureau, mon téléphone vibra. J’embrassais ma femme avant d’aller lire le message que je venais de recevoir. C’était le Dr Langstone.

J’abandonnais tout pour aller le retrouver à l’infirmerie. Il était assis à son bureau. Devant lui, un dossier noir. La même couleur que le dossier qui inquiétait tant ma femme. Au moment où j’entrais, Jeanne, la sœur d’Emma sortit d’une autre pièce. Depuis qu’elle avait terminé ses études de médecine, elle avait rejoint le Dr Langstone, afin de le seconder jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite.


— Bonjour Elena, m’accueillit-elle.

— Entrez, enchaîna-t-il. Jeanne, tu veux bien nous laisser un instant ?

— Pas de soucis. Je vais aller voir ma sœur.


La porte de l’infirmerie se referma derrière Jeanne et le Dr Langstone se redressa sur sa chaise. Il était nerveux et agité.


— Il y a un problème ?

— Océane ne souhaitais pas que je vous en parle, mais vous avez le droit de savoir. J’ai fait des recherches sur votre mère. J’ai réussi à retrouver sa trace.

— Qu’est-ce que vous essayez de me dire ?

— Elle est toujours en vie.


Ça faisait dix-huit ans que j’étais sans nouvelle. Dix-huit ans qu’elle était sortie de ma vie, sans autre explication qu’une simple lettre. Et voilà qu’elle réapparaissait du jour au lendemain.


— Elena ? Vous m’écoutez ?

— Excusez-moi, vous disais ?

— Je disais que je pense bientôt prendre ma retraite. Jeanne est tout à fait capable de me remplacer.

— Attendez, quoi ? Mais vous venez de…


Il venait de se passer quoi, là ? Il m’avait parlé de ma mère, je n’avais pas pu l’imaginer. Pourtant, c’était comme s’il ne m’avait rien dit. Comme si… non, je devais être juste trop fatiguée. Je devais me reconcentrer sur le vrai sujet de la discussion. Il allait enfin prendre sa retraite.


— Il y a un problème ? ajouta-t-il.

— Pas du tout, excusez-moi. Quand comptez-vous partir ?

— D’ici un mois, je pense. Le temps de finaliser certains points avec Jeanne. Surtout à propos de votre dossier.

— Que se passe-t-il avec mon dossier ?

— Je vous suis depuis dix-huit ans maintenant. Je vous ai vu devenir une femme, une épouse, une mère. Je tiens à ce que Jeanne ait toutes les informations en sa possession.

— Je comprends. En tout cas, je vous remercier pour toutes ses années de services, Docteur.

— C’est normal. Je ne changerais pas de numéro donc si vous avez besoin, n’hésitez surtout pas.


Je discutais encore un moment avec lui, à propos de la suite et de Jeanne avant de retourner au bureau. Je savais que ce que j’avais entendu n’était pas la réalité. Je l’avais forcément imaginé. Mais en même temps, je ne parvenais à m’y résoudre. Il se passait quelque chose d’anormal et je tentais de l’ignorer, en me concentrant sur autre chose. De retour au bureau, j’informais rapidement ma femme du départ futur du Dr Langstone, sans lui parler du passage avec ma mère. Je travaillais ensuite pendant près d’une heure sur mon nouveau dossier. Elise entra dans le bureau et s’installa en face de moi. Elle joua avec mes stylos, sans prononcer le moindre mot.


— Je peux t’aider, ma grande ?

— Oui. Je viens aussi au nom de Ben. C’est à propos de nos comptes en banque personnels. On aimerait renégocier avec toi nos montants mensuels.


Sans le répondre, j’ouvris le site internet de la banque pour vérifier leurs comptes. Étant encore mineur, c’était moi la gestionnaire. Leurs deux comptes étaient dans le positif et leurs dépenses étaient faites avec soin.


— Quatre cents pièces d’or par mois, ça ne vous suffit pas ?

— Et bien… comme tu dois le voir, on a respectivement beaucoup de dépense personnelle. Ben achète beaucoup de livre, de matériel de tir à l’arc. Quant à moi, c’est la même chose pour les vêtements et du matériel pour le groupe.

— Vous arrivez pourtant à acheter tout ce dont vous avez besoin avec quatre cents pièces d’or.

— En fait, on aimerait devenir un peu plus indépendant financièrement. L’année prochaine on sera à l’université, Ben voyagera et on aimerait commencer à avoir quelques économies.

— Vous ne voulez pas une maison rien qu’à vous tant que vous y êtes ?

— Bah si c’était possible…

— Elise, soupirais-je.

— Je rigole, maman. Mais l’année prochaine, j’aimerais bien habiter sur le campus. On sait qu’être le Prince et la Princesse, c’est de bénéficier d’une trésorerie assez conséquente, mais ce n’est pas notre argent. C’est celui de l’Empire, c’est le tien et celui de maman.

— Pour que ce soit votre argent, il faudrait le gagner. Et ce n’est pas qui en faisait des études que vous allez pouvoir en gagner.

— On en gagne déjà par nous-même, maman.

— Les fameuses entrées d’argent qui ne vienne pas de moi. Explique-toi.

— Ben donne des cours de soutien et j’en gagne aussi avec les concerts du groupe.

— Très bien, j’augmente à cinq cents pièces d’or par mois jusqu’à la fin de l’année. On réétudiera tout ça ensuite. Mais à la condition que vous vous serviez une partie de votre argent pour votre sœur.

— A ce propos, la fête foraine est de retour en ville la semaine prochaine. On aimerait y aller avec Liz.

— Ça, c’est une bonne idée. Marché conclu.

— Merci maman.


Elle fit le tour du bureau pour m’embrasser puis sortit, en sautillant du bureau. Océane me regarda en souriant.


— Elise est dure en affaires, rigola-t-elle.

— Elle a appris de la meilleure. D’ailleurs, on devrait peut-être commencer à ouvrir un compte pour Lizéa, tu en penses quoi ?

— Elle n’y aurait accès qu’à seize ans, comme les jumeaux, par contre.

— Évidemment.


Le site de la banque étant toujours ouvert, j’en profitais pour regarder toutes les possibilités de compte. Mes enfants n’avaient pas droit aux bourses, mais leur donner ainsi de l’argent de poche, c’était comme s’ils pouvaient en bénéficier. En leur donnant la possibilité de disposer librement de leur argent, j’avais pour objectif de les préparer à la vie d’adulte, à les rendre indépendants. Benjamin, voulant faire le tour de monde, il allait devoir renoncer à tous les privilèges associés à son statut de prince. Elise, quant à elle, allait devenir la prochaine impératrice. Elle devait être économe et faire ses comptes. Lizéa, quand elle grandirait, serait la seule à pouvoir décider de la vie qu’elle voulait mener. Même aujourd’hui, elle n’avait aucune obligation d’être une princesse parfaite. Ce qu’elle n’était évidemment pas.

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