Chapitre 15

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Cela faisait déjà deux mois que j’étais internée et j’avais enfin l’autorisation de rentrer chez moi. Le fait d’avoir un médecin à domicile, Jeanne en l’occurrence, avait beaucoup joué en ma faveur. Juste avant de rentrer, j’avais discuté avec Caroline et Sarah, qui était bien plus consciente de la réalité qu’à mon arrivée. Je leur avais promis de passer voir Sarah dès que je le pourrais et elle m’avait promis, en retour, de venir me voir au château dès que Sarah pourrait, à son tour, sortir.


De retour à la maison, je savais déjà que je n’allais pas y rester longtemps. J’avais enfin pris ma décision, concernant ma mère. Pour être certaine que je n’avais pas à nouveau été manipulée par elle, je devais la voir en personne, me faire mon propre avis. J’avais même déjà appelé, avec l’aide de Jeanne, celle qui s’occupait de la communauté.


— Tu es sûr de vouloir y aller maintenant ? ma questionna Océane.

— Je pense que c’est le moment. Avant de le regretter ou de douter.

— Je comprends. Tu as tout prévu avec… comment elle s’appelle déjà ?

— Clémence. Oui, tout est prévu. Normalement, ils n’acceptent pas les téléphones, mais j’aurais le droit de garder le mien pour travailler.

— Tu voudrais rester combien de temps ?

— Je ne sais pas. J’aimerais prendre la température avant de parler avec ma mère.

— Tu as raison, vas-y en douceur.

— J’aurais mon ordinateur, si tu as besoin de quoi que ce soit, tu me scan un document et tu me l’envoies ou tu m’appelles.

— Ça va aller, ne t’inquiète pas.


Alors que je refaisais ma valise au propre, mes enfants entrèrent dans ma chambre et se jetèrent sur le lit, comme de vulgaires poupées de chiffon.


— Tu vas où, maman ? me questionna Lizéa.

— Voir quelqu’un qui est loin d’ici.

— Je peux venir avec toi ? S’il te plait ?

— Pourquoi pas, enchaîna Océane. Ça lui montrera que tu es prête à faire des efforts pour lui reparler.

— Tu es sûr que Liz peut voyager ?

— Oui. Je vais te préparer tout ce dont tu as besoin avec une note explicative pour ses médicaments. Et puis elle sera contente de t’avoir que pour elle.

— Oh, oui ! joua ma benjamine.

— Va vite faire ta valise.


Lizéa sortie de ma chambre en courant, mes jumeaux se redressèrent sur mon lit et croisèrent, en même temps, les bras.


— Tu va voir grand-mère, c’est ça ? me questionna Ben.

— Oui. Mais je vous promets de ne jamais être seule avec elle.

— J’aimerais venir aussi avec toi, enchaîna Elise.

— Non, vous avez bientôt vos examens. Profitez de l’absence de votre sœur pour réviser au calme.

— Je viendrais une fois les examens finis.

— Marché conclu. N’oublie pas ton dossier d’inscriptions pour la fac, Elise. Ben, n’oublie pas de…

— Je sais ce que j’ai à faire, maman.


Une heure plus tard, nous étions en route. Je n’avais rien dit à Lizéa concernant ma mère. De toute façon, elle était encore trop jeune pour savoir. Elle s’endormit dans l’avion, après avoir bavé contre le hublot devant le paysage qui s’éloignait et se réveilla à l’atterrissage. Arrivée aux portes de la communauté, Clémence, une grande femme blonde, légèrement enrobée, avec un visage plein de douceur, nous accueillit.


— Bienvenue Elena. Je vois que tu es venue accompagnée ?

— Merci de m’accueillir malgré ma demande complexe. Je te présente ma dernière fille, Lizéa. Elle est turbulente, mais elle a été récemment brulée dans l’entièreté de son dos. Elle doit faire l’objet d’une surveillance un peu plus poussé.

— Je préviendrais ceux qui s’occuperaient des ateliers auquel elle ira. Qu’est-ce que tu aimes faire, Lizéa ?

— Manger, manger et manger ? blagua-t-elle.

— Un atelier pâtisserie alors ? rigola Clémence.

— Elle aime aussi la pâte à sel, les puzzles et elle fait du karaté.

— Plein d’activité donc. Je suis sûr que tu trouveras de quoi t’amuser. Je vais vous installer dans votre chambre, suivez-moi.


Je laissais Lizéa s’occuper de sa propre valise et je suivis Clémence dans plusieurs couloirs. Elle m’ouvrit une chambre minimaliste, mais assez spacieuse, avec une armoire, un grand lit et un bureau. Elle me donna la clé puis me fit visiter le bâtiment. On termina la visite dans la salle commune, qui sert aussi de réfectoire, pile pour le diner.


— Votre attention s’il vous plait. Je vous présente Elena et sa fille Lizéa. Elles vont passer quelque temps avec nous. Elena, le buffet est en libre-service juste ici. Vous pouvez vous servir et vous asseoir où vous voulez.

— Merci.


Je balayais la salle du regard et reconnue ma mère dans un coin, seule. Elle avait les cheveux grisonnants, des cernes sous les yeux, mais semblait bien plus calme et apaisée que la dernière fois que je l’eusse vu. Elle me sourit et je le lui rendis, pour lui faire comprendre que j’étais bien là pour elle.


— Maman ! cria Lizéa, comme à son habitude. Il y a du chocolat.

— Qu’est-ce que j’ai dit, Lizéa ? Entrée, plat, dessert. Pas dessert, plat, entré.

— Pff, même pas drôle.

— Ne commence pas où je te mets au lit, jouais-je.


Elle me tira la langue puis rigola en récupérant son assiette. À l’opposé d’où se trouvais ma mère, un groupe me fit signe de les rejoindre. Je replie mon assiette de viande et légume, m’assurais que celle de ma fille était un minimum équilibré puis rejoignis le groupe. Lizéa s’assit comme si personne autour d’elle n’existait.


— Bonjour, commençais-je intimidée.

— Salut ! Elena, c’est ça ? me répondit un homme.

— Exact.

— Enchanté. Je suis Patrick et voici Johana et Sophie.

— Je suis ravie de faire votre connaissance.

— Pourquoi tu es venu ici ?

— Pour une histoire de famille. C’est compliqué.

— Tu sais, ici on ne pose pas de question personnelle et on ne parle pas politique. C’est la seule règle de la communauté.

— Ça va me changer, rigolais-je.

— Pourquoi ? questionna Johana, sans me regarder.

— Disons, pour faire simple, que je travaille dans la politique.

— De toute façon, c’est nul la politique.

— Okay ! intervint Patrique. On va arrêter de parler boulot alors. Ne sois pas vexé par les propos de Johana. Elle a une légère forme d’autisme. Elle dit tout ce qui lui passe par la tête.

— Tiens, j’en connais une autre, jouais-je en lançant un regard à ma fille.

— Même po vrai, répondit-elle, la bouche pleine.

— Je sais un minimum me contrôler, Patrick, intervint Johana. Bienvenue, Elena, si tu veux un endroit calme, je te conseille le bord du lac.


Patrick et Sophie regardèrent Johana, étonné. Elle semblait avoir fait quelque chose auquel ses amis n’étaient pas habitués.


— Depuis quand tu dévoiles tes secrets à une inconnue ?

— Je ne sais pas. Elle m’inspire confiance.

— J’irais voir alors, merci.


Pendant le reste du repas, Patrick m’expliqua rapidement le fonctionnement de la communauté. Tous ses membres étaient coupés du monde extérieur. Pas de télévision, pas de radio, pas de téléphone, pas d’ordinateur. J’étais de retour en enfance, sans les violences physique et psychologique de ma mère. N’étant pas partie en vacances, j’avais toujours besoin de travailler. J’avais minutieusement négocié avec Clémence pour qu’elle m’autorise à utiliser mon ordinateur portable ainsi que mon téléphone. N’ayant qu’un petit bureau dans ma chambre, il valait mieux que je travaille dans la grande salle, d’où je pouvais aussi surveiller ma mère. A la fin du repas, Clémence m’interpella, pour qu’on discute. Elle confia Lizéa à une jeune femme, celle qui s’occupait des ateliers puzzles et elle m’invita à la suivre dans son bureau.


— Je suppose que tu aimerais que je te parle un peu de ta mère avant que tu discutes avec elle ?

— Oui. Je n’ai eu aucune nouvelle d’elle pendant dix-neuf ans et… elle est l’origine de tous mes traumatismes.

— Tout ce qui se trouve dans ce dossier, c’est ce qu’elle a pu faire ici depuis son arrivée. Je peux seulement te parler de la femme qu’elle est aujourd’hui, je ne sais rien de son passé.

— Vous l’avez accueilli sans savoir qui elle était ?

— Lorsqu’elle est arrivée, j’ai décidé de faire confiance à celle qui me l’a envoyé.

—Corine.

— Exact. Corine est née ici. Elle est partie à la capitale pour ses études. Je ne l’ai jamais connu personnellement, mais elle et ma mère étaient de bonne amie, pendant leur jeunesse.

— C’est grâce à elle que ma mère sut que je la cherchais ?

— Oui. Elle m’a avertie et ta mère, après plusieurs jours de réflexion, a pris la décision de t’écrire. Tu veux commencer par quoi ? Je te parle du qui elle est aujourd’hui ou tu me parles de pourquoi tu n’as pas cherché à prendre de ses nouvelles toutes ses années ?

— Il vaut mieux que vous commenciez.


Elle ouvrit un gros dossier bleu et sortit plusieurs documents qu’elle étala devant moi. Il ya avait aussi bien des analyses, des comptes rendus médicaux que des lettres, fermées à mon nom.


— Ta mère est atteinte de schizophrénie sévère. Elle ne fait pas du tout la différence entre le bien et le mal, elle n’a pas conscience de la mesure de ses actes. Elle a parfois de rares moments de lucidité, où elle comprend qu’elle ne va pas bien. C’est le diagnostic effectué par le médecin de la communauté à son arrivée. En réalité, depuis que le bon traitement, elle ne se fait pas remarquer. Elle voit le médecin une fois par moi et elle s’assure d’être toujours là où un responsable peut garder un œil sur elle.

— Comme dans la salle commune ?

— Exactement. Elle m’a aussi beaucoup parlé de toi, sans entrer dans les détails. Du mal qu’elle t’avait fait, qu’elle n’a pas été une bonne mère et de ce qu’elle aurait préféré faire, sans sa maladie. Elle t’a écrit plusieurs lettres, sans jamais avoir le courage de te les envoyer.

— Elle s’est fait passer pour morte, en même temps.

— Pas vraiment, c’est toi qui as interprété sa deuxième lettre de cette façon. Quand tu seras prête, tu pourras les lire.


Je récupérais la pile, il y en avait plus d’une vingtaine, toutes datent, pour la plupart, du jour de mon anniversaire. Je les mis de côté pour l’instant.


— Je sais qu’elle n’était pas totalement maitresse d’elle-même. Je suis moi aussi malade. Mais j’ai fait le choix, tant qu’il en était encore temps, de me faire soigner. Je n’ai pas attendu qu’il soit trop tard. Je n’ai pas attendu d’avoir détruit ma famille.

— Ta mère ne s’est même pas rendu compte qu’elle devenait malade.

— Je la comprends, mais ça ne veut pas dire que je lui pardonne.

— Qu’est-ce qu’elle t’a fait pour que tu lui en veuilles à ce point ?

— Que savez-vous de la politique de l’Empire ?

— Pas grand-chose.

— Ma mère était l’Impératrice avant moi. Ou une dictatrice, devrais-je dire.


Pendant plus d’une demi-heure, je racontais mon histoire à Clémence. De mon enfance à ma vie de famille actuelle, en passant par mon accession compliquée au trône et toutes les difficultés que j’avais rencontrées. Compréhensive, elle ne jugea pas une seule fois ni ma mère ni moi. Avec les informations que je venais de lui donner, elle comprenait pourquoi ma mère n’avait cherché à forger aucune amitié, pourquoi elle n’avait pas voulu me contacter et surtout pourquoi ma relation avec elle était compliquée.

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