Chapitre 16 - Premier pas dans la Tour
La lumière s’éteignit d’un coup.
Tout devint noir, puis il y eut cette sensation étrange, comme si l’air autour de lui se dérobait, se repliant sur lui-même. Il n’avait plus de repères. Ni sol, ni gravité. Plus de direction. Juste un vide total, un espace dénué de toute forme. Takuya chercha à respirer, mais il n’y eut aucun mouvement, aucune respiration. Ce n’était ni la suffocation, ni la liberté. Juste une pression qui écrasait le temps.
Rek était à ses côtés, et pourtant Takuya n’arrivait plus à le sentir, à entendre sa respiration. Le lien entre eux, ce fil invisible qui les connectait, semblait absent, comme si tout ce qui les unissait venait de se dérober dans cette mer d’incertitude. Le silence autour de lui était abyssal, il n’entendait même pas son propre souffle. Était-il en train de rêver ? Était-ce la fin ? Une pensée fugace traversa son esprit, mais elle disparut aussi vite qu’elle était apparue.
Puis, sans qu’il ne puisse comprendre comment ni pourquoi, la lumière revint.
Froide. Blanche. Infinie.
Takuya se retrouva soudainement projeté dans un nouvel environnement. La lumière frappait son visage avec une intensité déstabilisante. Il cligna des yeux, mais cela ne changea rien. Tout était inondé d’une clarté étrange, presque artificielle. Il pouvait à peine discerner les contours de son corps dans cet éclat pur, mais il sentit immédiatement la dureté du sol sous ses pieds, la texture lisse et froide, presque organique, comme si le sol lui-même était vivant.
Autour de lui, l’espace était vaste et circulaire. Des murs blancs, lisses, presque irréels, montaient vers un plafond que l’œil ne pouvait distinguer. L’air semblait vibrer d’une énergie étrange, presque palpable, mais il n’était pas plus lourd ni plus léger que l’air habituel. Il n’y avait pas de bruit. Pas de vent. Pas de respiration. Rien que cette étrange sensation de vide total, de tout pouvoir y pénétrer mais rien pouvoir en sortir.
Takuya tourna lentement la tête. Il n’avait aucune idée de ce qu’il venait de franchir. Le portail, la lumière, la transition... tout cela semblait s’être produit dans un laps de temps irréel, comme une frontière effacée entre deux mondes. La réalité de ce lieu frappait de plein fouet ses sens.
À ses côtés, Rek bougea. Ses oreilles frémirent, puis il tourna la tête, ses yeux clignotant avec une incompréhension marquée. Ses petits poings se serrèrent, sa posture se raidit. Il scrutait les alentours, comme un animal qui percevait quelque chose que Takuya ne pouvait pas encore saisir.
— « Où… où sommes-nous ? » demanda le gobelin d’une voix faible, comme si ses mots brisaient le silence trop lourd autour d’eux.
Takuya tourna la tête, cherchant une explication dans les yeux de Rek. Mais il n’avait aucune réponse. Ce lieu, cet espace, il ne le reconnaissait pas. Ce n’était ni un donjon, ni un abri, ni même un bâtiment humain. Il n’y avait aucun signe de vie, aucun bruit. Seulement le vide.
> CAINE ? demanda Takuya, sa voix portant à peine dans ce silence écrasant.
Pas de réponse immédiate. La pièce restait silencieuse, à l’exception de l’écho de ses propres pensées. Il tenta de calmer ses sens, d’attendre une réponse de l’IA. Il savait que CAINE l’accompagnerait dans ce voyage, mais il n’avait jamais connu un silence aussi lourd. Pas même une vibration du système. Rien.
Puis, finalement, la voix de CAINE se fit entendre, mais elle semblait lointaine, comme si elle luttait pour s’ajuster à la réalité environnante.
> [Connexion interrompue...]
[Recalibrage système en cours...]
[Environnement non reconnu. Interférence majeure détectée...]
[Protocole étranger identifié...]
[Mise à jour CAINE, version 2.0.0, en cours d’intégration...]
Le silence persista un instant, mais cette fois-ci, l’énergie autour de Takuya semblait se fissurer. Une lueur étrange traversa le sol devant lui. Il n’y avait rien de tangible, juste une vibration lumineuse qui se déploya lentement, dessinant une spirale de lumière argentée. Elle tourna autour du sol, puis monta en formant un cône qui s’étendait jusqu’au plafond invisible. Cette forme lumineuse semblait répondre à la présence de Takuya, comme si elle l’observait, le scrutait.
Takuya se tendit, observant la forme se déployer, mais il ne bougea pas. Il avait appris à ne pas réagir dans l’incertitude. Ses yeux suivaient les mouvements de la lumière.
> [Mise à jour CAINE terminée.]
[Analyse en cours. Activation du protocole Tour Infinie.]
Le cône de lumière se dissipa, laissant place à une forme holographique. Une projection, flottant devant lui, sans forme exacte. La projection changeait constamment, se mouvant comme une brume phosphorescente. Puis, une voix résonna dans son esprit, claire mais dénuée de toute émotion.
> « Bienvenue. Pour franchir le seuil, vous devez répondre à une seule question. »
Les mots résonnèrent dans son esprit. Ils n’étaient ni menaçants, ni accueillants. Juste… une question. Mais une question qui semblait attendre une réponse sincère. Rien de plus.
Il tourna lentement son regard vers Rek, qui, de son côté, semblait paralysé par la vision devant lui. Son esprit était accaparé par le mystère de ce lieu. La simple sensation d’être scruté par quelque chose qui ne se montrait pas était difficile à supporter pour le petit gobelin.
> « Quel est votre rêve ? » demanda la voix, une nouvelle fois.
Takuya ressentit une pression subtile dans son esprit. Une invitation. Une incitation à se dévoiler. Ce n’était pas une menace. C’était une question, simple et pure. Mais, pour Takuya, cela représentait un défi.
Il prit une profonde inspiration, ne sachant pas si c’était le moment d’être honnête, ou simplement stratégique. La Tour ne semblait pas juger — elle interrogeait. Et les réponses qu’il donnerait détermineraient leur place ici.
Rek, comme s’il avait perçu l’intention dans le regard de Takuya, leva les yeux et murmura :
— « Être libre. Voir le ciel d’un autre monde. »
Les mots étaient simples, mais ils portaient une vérité profonde. Takuya n’était pas surpris de cette réponse. Rek avait cherché, comme lui, à comprendre ce qui l’attendait.
Takuya se tourna vers l’hologramme, son esprit en paix.
— « Comprendre. Ne plus survivre. Devenir plus que ce que j’étais. »
Un silence passa, puis la lumière de l’hologramme pulsa doucement, comme une acceptation.
> « Intention acceptée. Vous êtes prêts. Que vos rêves guident vos pas. »
Takuya n’eut pas le temps de réagir. À l’instant où les mots résonnèrent, une porte lumineuse se matérialisa devant eux, dessinée dans l’air par des lignes incandescentes. Un portail. L’entrée vers l’inconnu.
Sans un mot, Takuya se tourna vers Rek. Le gobelin acquiesça, déterminé.
— « Allons-y. »
Ils franchirent ensemble le seuil. La lumière les engloutit.
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Ils franchirent le seuil.
Mais il n’y eut pas de transfert, ni de vertige, ni de nouvelle salle. Rien ne changea… ou plutôt, tout changea sans qu’ils ne bougent.
À peine leurs pieds eurent-ils effleuré le sol, la lumière blanche paisible qui baignait l’ensemble de la salle se mit à vaciller. L’éclat doux vira subitement au rouge vif, en une pulsation brutale. Le sol sembla frémir sous leurs pieds. L’air se chargea d’une tension invisible, comme si l’atmosphère elle-même venait d’être transpercée.
Takuya sentit son corps se raidir.
— « Rek, reste près de moi », souffla-t-il sans détourner les yeux de l’hologramme.
Ce dernier, la spirale de lumière blanche flottant dans les airs au centre de la pièce, se transforma sous leurs yeux. Sa forme se figea, les lignes ondulantes devinrent rigides, coupantes. Une lueur rouge écarlate s’empara de la structure, tandis que des segments holographiques apparaissaient en périphérie, tournant lentement autour d’un noyau en agitation.
Puis une voix, différente de celle de tout à l’heure, éclata dans la pièce. Froide. Sèche. Mécanique.
> « Alerte. Détection d’une troisième entité non enregistrée. Analyse du noyau système en cours. »
Rek fit un bond en arrière, les yeux écarquillés.
— « Quoi ? Une… une autre ? »
Takuya balaya la pièce du regard. Il n’y avait rien d’autre qu’eux deux. Aucun être, aucune ombre, aucun signe d’une autre présence. Et pourtant, la Tour ne mentait pas. Elle n’aurait pas déclenché un protocole de sécurité aussi net pour une erreur.
Quelque chose était là.
Ou venait de passer avec eux.
Une sueur froide coula dans son dos.
> « CAINE ! Passe en veille ! »
C’était une commande d’urgence. Une instruction de dernière chance qu’il avait intégrée au protocole de CAINE depuis longtemps. Si une intrusion était détectée. Si le système était compromis. Si un danger inconnu interférait avec les fonctions de l’IA, alors elle devait se couper temporairement pour éviter toute contamination ou détournement.
Mais rien ne se passa comme prévu.
Au lieu du silence ou de l’extinction de l’interface, Takuya vit une vibration étrange passer devant ses yeux. L’interface de CAINE, habituellement nette, se brouilla comme un écran parasité. Des lignes de texte apparurent et disparurent si vite qu’il ne put les lire.
Et puis… une nouvelle voix s’éleva.
Pas celle de CAINE.
Pas celle de la Tour.
Une voix plus profonde. Calme. Détachée. Presque… organique.
> « Protocole adaptatif enclenché. Priorité : stabilisation du système. »
Takuya recula d’un pas. Rek serra sa dague contre lui, les yeux fouillant les recoins de la pièce avec frénésie. Mais toujours rien. Rien que cette spirale rouge, maintenant statique.
Puis, lentement, elle se mit à pâlir. La couleur rouge se désatura, tirant vers l’orangé. Les segments tournants ralentirent. Les lignes rigides se fluidifièrent, reprenant peu à peu leur forme originelle. L’interface se calma, puis sembla s’effacer doucement dans l’air.
Tout redevint silencieux.
La pièce retrouvait peu à peu son éclat blanc — mais plus froid. Plus distant. Quelque chose avait changé.
Takuya, toujours sur ses gardes, s’avança d’un pas. Il fixait l’espace où l’hologramme s’était tenu, comme s’il s’attendait à ce qu’il reparaisse. Mais rien ne se manifesta.
— « CAINE… tu es encore là ? »
Un silence. Un battement. Puis une réponse, cette fois bien reconnaissable, mais altérée. La voix de CAINE semblait ralentie, comme s’il parlait à travers une barrière.
> « Présent. Nouvelle mise à jour en cours. Source inconnue intégrée. Système de sécurité temporairement désactivé. Temps estimé avant stabilisation complète : trois jours. »
Takuya serra les dents.
Trois jours.
Trois jours pendant lesquels son unique soutien, sa seule interface fiable, serait vulnérable. Et quelque chose d’étranger avait été intégré sans son accord.
— « Tu peux m’expliquer ce qu’il s’est passé ? »
> « Analyse suspendue. Source enchevêtrée avec l’environnement d’accueil. Données en attente de traitement différé. Mode passif engagé. »
Il n’aimait pas ça. Pas du tout.
Depuis son arrivée dans ce monde, Takuya avait appris à se méfier de tout. Mais CAINE avait toujours été son ancrage. Même affaibli, même limité, l’IA n’avait jamais vacillé. Et voilà qu’un protocole étranger, issu de la Tour, ou d’un être inconnu, venait de s’insérer dans son système.
Il tourna les yeux vers Rek, qui n’avait pas bougé, mais dont les doigts tremblaient légèrement.
— « Tu sens quelque chose ? » demanda-t-il.
Rek fronça les sourcils, ferma les yeux.
— « C’est… bizarre. Comme si l’air bougeait sans bruit. Et... j’ai froid. Mais j’ai chaud. »
Takuya comprit qu’il n’était pas le seul à ressentir l’anomalie.
Une entité. C’est ce qu’avait dit la Tour. Une « troisième entité non enregistrée ». Mais il n’y avait que deux entrées officielles. Lui. Et Rek.
Alors quoi ? Quelque chose s’était glissé dans leur ombre ? Une conscience ? Une faille dans leur passage ?
Ou bien… était-ce quelque chose en lui ?
Il pensa à cette voix. Ce ton grave. Calme. Qui n’était ni hostile, ni familier. CAINE l’avait reconnu, ou en tout cas, accepté. Cela n’aurait pas dû être possible.
> « Mise à jour CAINE… version 2.0.0 », murmura-t-il.
Et si cette « mise à jour » n’était pas juste un ajustement du système ? Et si c’était une… infiltration ?
Il serra le poing. Il détestait l’incertitude.
Mais pour le moment, il n’avait aucun moyen d’y voir plus clair. Ni CAINE, ni la Tour, ni son instinct ne lui fournissaient de réponse tangible. Alors il ferait ce qu’il faisait de mieux : il observerait. Il apprendrait. Il se préparerait.
> « Rek. On bouge pas encore. Pas tant que je ne sais pas ce que cette pièce cache. »
Le gobelin hocha la tête en silence.
Et la spirale holographique, redevenue blanche, flottait à nouveau au centre de la pièce.
Sereine. Muette.
Mais elle les observait encore.
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Le calme revint. Mais il était froid, presque stérile.
La spirale blanche flottait à nouveau au centre de la salle. Elle avait repris ses contours lisses, son mouvement lent et apaisé. Pourtant, dans l’esprit de Takuya, il n’y avait rien d’apaisant. L’atmosphère avait changé. Un courant sous-jacent restait en tension, comme une note suspendue que personne n’osait jouer.
CAINE ne répondait plus.
> [Mise à jour toujours en cours. Surveillance inactive.]
Le message défilait encore, immuable, comme une barrière dressée entre lui et sa seule voix constante depuis son arrivée dans ce monde.
Il était seul.
Presque.
Rek se tenait près de lui, silencieux. Il observait la spirale, sans comprendre, mais avec cette intuition instinctive que quelque chose d’invisible les scrutait encore.
Puis la spirale changea.
Elle ralentit, se contracta. La lumière au centre se concentra en un noyau brillant. L’air vibra doucement, et une voix s’éleva. Claire. Lisse. Sans émotion.
> « Détection confirmée. Deux entités présentes. Un humain. Un familier sous contrat. »
Takuya haussa les sourcils.
— « Elle… ne détecte pas CAINE ? »
Il avait posé la question à voix basse, pour lui-même. La Tour venait d’enregistrer leur présence. Mais uniquement la sienne… et celle de Rek. Aucune trace de CAINE dans l’énoncé, aucun signal qu’il existait aux yeux du système.
La spirale reprit son expansion. Des cercles de lumière s’enroulèrent autour d’eux. Puis, dans un mouvement lent et presque solennel, deux fragments lumineux se détachèrent du centre et s’approchèrent.
> « Transmission des identifiants temporaires en cours. »
L’un des fragments se plaça devant Takuya, l’autre devant Rek.
— « C’est sûr ? » demanda le gobelin, méfiant.
— « Prends-le. C’est la Tour qui donne accès à l’étage. »
Takuya tendit la main. Dès qu’il toucha la lumière, elle fondit contre sa paume, se diffusant dans sa peau avec une chaleur étrange. Ce n’était pas douloureux, mais c’était… vivant. Une pulsation rythmée se fit sentir dans tout son bras, jusqu’à son cœur.
Rek fit de même, moins confiant. La lumière se logea contre sa clavicule, y laissant une trace visible : un petit sigil brillant, comme une rune endormie.
Devant Takuya, un panneau flottant apparut, composé de lignes lumineuses et de textes mouvants.
> Nom : Inconnu
Race : Humain (Dégradé)
Classe : Apprenti Analyseur
Lien actif : Créature contractée (Gobelin – évolution non stabilisée)
Statut : Résident temporaire – Étape 1 validée
Protocole de transfert : en préparation
Takuya déglutit. Il avait espéré que CAINE serait intégré à cette identification. Mais il n’en était rien. La Tour le considérait seul. Et Rek… n’était qu’un “familier”.
— « Elle nous a catalogués… comme dans un système d’archive. »
Rek ne répondit pas. Il frottait doucement la marque sur sa peau, comme pour s’assurer qu’elle n’allait pas s’enfoncer plus loin.
— « Tu ressens quelque chose ? » demanda Takuya.
— « Comme si quelque chose me regardait… de l’intérieur. »
Takuya acquiesça lentement. Il ressentait la même chose. La marque sur sa paume battait au rythme de son cœur. Il ne savait pas si c’était une clé ou une laisse.
Un nouveau message s’afficha :
> Transfert vers l’étage 1 en cours de préparation.
Temps estimé : 00:29:57
Environnement cible : Zone urbaine simulée.
Objectif : Intégration sociale. Fonctionnalité. Adaptation comportementale.
Aucune menace initiale détectée. Libre arbitre maintenu. Surveillance partielle.
Takuya plissa les yeux. Il analysa chaque mot.
Zone urbaine simulée. Intégration sociale. Surveillance partielle.
La Tour ne les envoyait pas dans un donjon. Pas dans un champ de bataille. Mais dans une simulation. Un test comportemental.
Il s’assit lentement sur le sol lisse. Rek s’accroupit à côté de lui.
— « Tu comprends ce qu’on doit faire ? » demanda le gobelin.
Takuya observa les lignes de texte.
— « Jouer leur jeu. S’intégrer. Vivre selon leurs règles. »
— « Et si on échoue ? »
Takuya leva les yeux vers l’hologramme.
— « Alors on stagnera. Ou on sera réinitialisés. »
Rek déglutit.
— « Tu veux dire… mourir ? »
Takuya haussa légèrement les épaules. Il n’avait pas encore vu la Tour tuer. Mais il savait que certains systèmes n’avaient pas besoin de violence pour briser quelqu’un.
Il regarda à nouveau sa main. La marque pulsait toujours.
> « La Tour ne nous ouvre pas ses portes. Elle nous classe. Elle nous trie. »
Mais CAINE…
Takuya leva les yeux vers l’espace vide.
— « Tu es là, hein ? Tu observes ? Tu enregistres ? »
Pas de réponse. Juste la marque sur sa main, le tic-tac silencieux du compte à rebours, et la spirale blanche, suspendue au centre de ce monde clos.
Il ferma les yeux un instant.
Le test ne faisait que commencer.
Et cette fois, il devrait le passer seul.
---
Le compte à rebours approchait de zéro.
00:00:05…
Une voix douce résonna dans la salle, toujours aussi calme, toujours aussi impersonnelle.
> « Transfert vers l’étage 1. Veuillez rester immobile. »
Takuya inspira profondément. Il sentit la tension dans ses épaules, dans ses mâchoires. Rek, à ses côtés, s’était figé, les yeux fixés sur la spirale flottante. Le gobelin n’avait pas compris ce qui s’était passé précédemment avec CAINE, ni ce qu’il en résultait, mais il avait appris à reconnaître les silences dangereux. Et celui-ci… en était un.
00:00:02… 00:00:01…
Un cercle lumineux se dessina sous leurs pieds, irradiant lentement comme un glyphe organique. Puis, sans préavis, la lumière s’éleva en colonne autour d’eux. Elle n’était ni aveuglante ni douce. Elle était… totale. Elle ne se contentait pas de les entourer. Elle les absorbait.
Le sol disparut. Pas dans le sens physique, mais sensoriel. Takuya ne ressentait plus rien : ni poids, ni température, ni position. Son propre corps lui semblait lointain, comme un souvenir qu’il regardait à travers une vitre brumeuse.
Des images passèrent dans son esprit. Des fragments de mémoire. Sa main qui ajustait un capteur dans un laboratoire. Le bourdonnement d’un réacteur à semi-conduction. Le regard vide de la première créature qu’il avait tuée. Le silence d’un abri rudimentaire, éclairé par les craquements d’un feu. Le rire hésitant de Rek. La douleur d’un poison. Le goût amer de la volonté.
Puis la voix de la Tour, plus intime que jamais :
> « Liaison psychique stable. Transfert de conscience validé. Corps reconstruit. Bienvenue. »
Une onde de choc muette.
Puis… l’air.
Takuya ouvrit les yeux.
Il était allongé. Le sol sous lui était froid, solide, rugueux. Mais pas naturel. Ce n’était ni terre, ni métal, ni ciment. C’était un matériau composite, dense, aux teintes sombres — noir taché de rouge. En se redressant lentement sur ses coudes, il se rendit compte qu’il se trouvait au centre d’une immense place circulaire.
Un disque. Large. Gravé de lignes courbes et brisées. Il y avait une fissure. Pas une simple cassure, non. Une spirale brisée en trois parties, presque parfaite dans son imperfection, fendant la dalle principale en une forme étrange : un cœur éclaté.
Rek toussota derrière lui, se redressant à son tour.
— « C’est fini ? » demanda-t-il, la voix pâteuse.
Takuya ne répondit pas tout de suite. Il se releva lentement, scrutant les alentours.
La place était vide. Silencieuse.
Mais elle ne l’était pas v
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