Sombre destinée
- Bonjour tout le monde !
Je traverse la pièce en direction du fauteuil dans lequel je trône depuis le début de l’année pour notre réunion de groupe hebdomadaire. Mes patients sont déjà installés et discutent ensemble. Il semble qu’ils n’aient pas fait attention à mon arrivée.
J’ai le temps de me servir un café.
J’ai très mal dormi cette nuit. Ma fille de 16 ans a encore fait le mur hier soir et n’est rentrée qu’à l’aube, tout juste avant que mon réveil ne sonne. A peine l’ai-je entendu remonter sa fenêtre, j’ai bondi dans sa chambre. Elle était habillée comme une pute. Je n’avais pas d’autres mots pour la décrire. Je ne parle même pas de son maquillage. Ma propre fille. Ma Lili. Mon bébé. Mais que lui arrive t-il ? Son comportement a tellement changé depuis cette dernière année. Depuis le jour où elle a tambouriné la porte de la maison, égratignée, dans la tenue d’Eve. J’ai essayé pourtant de l’analyser. En tant que psychologue, je me dois bien de tenter de comprendre ma fille avec l’arme que je manie le mieux. Mais je suis sa mère, son seul parent et ça, c’est ce qui rend mon pouvoir impuissant.
- On commence bientôt M’dame ?
Robert au premier rang me hèle. C’est un homme qui a passé sa vie à consommer de l’alcool. Au début c’était un verre de rouge par repas. Ensuite c’est devenu une bouteille de whisky par journée. C’est sa femme qui l’a inscrite à mon cabinet le jour où, se retrouvant sans rien à boire, il a sifflé son eau de toilette à 100 dollars le flacon.
- Je jette un œil au planning et je suis à vous.
Il sourit. Le vieil homme semble aller beaucoup mieux. Il a repris du poids et des couleurs. Je les regarde un par un, rang par rang, assis les uns à côté des autres. Au début ces gens là étaient des étrangers qui baissaient la tête en arrivant et fixaient leurs pieds pendant toute la séance. Le comportement typique de l’Homme face à la honte. Ensuite, ils ont chacun appris les problèmes des autres, et c’est sans se juger que nous avons pu mener des discussions jusqu’à essayer de se comprendre et de s’entraider. Aujourd’hui ils ont même créé des liens entre eux, chose que je n’aurai pas osé imaginer le premier jour.
C’est en les observant que j’aperçois cet homme au fond de la salle, debout. Un bel homme, musclé et à fière allure.
Je feuillette le planning que Mia mon assistante m’a tendue à mon arrivée au bureau. Zut j’avais complètement oublié !
Il fallait que ce soit aujourd’hui qu’il arrive celui là.
Je me masse les tempes.
- Votre attention tout le monde. Nous accueillons un nouveau membre aujourd’hui.
J’ouvre le bras vers le nouveau défi que mon patron m’a donné.
- S’il vous plait ? Bonjour Guil. Installez-vous et présentez-vous.
Il s’avance nonchalamment vers le siège libre. Mia a vraiment pensé à tout. Il continue de me fixer droit dans les yeux et ne semble pas perturbé d’assister à sa première séance. De plus, il est extrêmement canon, ce qui me déstabilise un peu.
- Mon prénom, c’est Guil, j’ai 32 ans. J’aime les petites brunes à forte poitrine avec un joli cul bombé. Donc si …
- Guil Guil Guil, merci pour cette introduction assez…original ! Je le coupe tout en me levant précipitamment de mon fauteuil. Mais ce n’est pas ce genre de présentation que je vous ai demandé.
De ses yeux gris clair, il m’observe de la tête aux pieds, pensif, puis affiche sa dentition parfaite.
- Tu ferais bien l’affaire mon mignon. Quoique j’ai du mal à deviner ta poitrine sous ce chemisier boutonné jusqu’au menton, mais je peux remédier à ça.
Soudain deux boutons de ma blouse sautent, laissant entrevoir mon décolleté plongeant.
- Waouh Miss Stevens je suis épaté ! On va chez moi ?
Je savais que j’allais avoir du fil à retorde avec celui là ! Je m’assois et attrape mon foulard que j’enroule autour de mon cou afin de cacher mes seins. Je tapote mes joues cramoisies et me ressaisis.
- Nous sommes ici pour discuter de nos problèmes Guil, alors bien que nous apprécions beaucoup l’humour, celui-ci n’est pas le bienvenue ici.
- Ouais c’est vrai mon gars. Robert se lève afin de prendre ma défense. M’dame Stevens on l’aime bien nous alors faut pas l’embêter.
- Sinon quoi ? Lui aussi se lève et toise Robert de sa grande taille. Tu sais qui je suis vieux tas d’os ?
Robert fait la moue. Guil lève les yeux au ciel.
- Voilà comment on est remercié ! 17 ans que je sers ce pays, que je risque ma vie pour vous ! Et pour quoi au final ? Finir par une retraite anticipée, avec des personnes qui ne me reconnaissent pas et qui sont bonnes pour l’asile de fou !
Il pose ses coudes sur ses hanches et reprend son souffle. Puis il sort un objet en tissus de sa poche. Sa casquette ornée d’un astre scintillant - son emblème - qu’il dépose sur sa tête. Robert devient alors ébahi. Il tend le doigt vers le surhomme qui se tient devant lui et s’exclame en regardant ses camarades.
- Bon dieu les copains, Astro est avec nous ! Putain mon pote ça fait un bail qu’on t’a pas vu.
Mes patients mettent quelques secondes avant de comprendre que le seul vrai super-héros d’Amérique se trouve parmi eux. L’admiration de Robert face à la deuxième personnalité de Guil efface les paroles blessantes qu’a eues ce dernier. Tous encouragent alors Guil alias Astro à raconter son histoire. Celui-ci, flatté et à la fois lassé s’assoit enfin.
- Astro … Eh bien ce nom ne m’avait pas vraiment manqué. Il me rappelle des moments sombres de ma vie.
Pendant quelques minutes, j’aperçois du désespoir dans l’abysse de ses yeux.
- Mais qu’est ce que j’ai pris mon pied ! Etre l’idole de millions de jeunes, l’idéal de toutes les américaines et être jalousé par leurs mecs ! Survoler le monde en une après-midi, reluquer les gonzesses chez elles à des kilomètres de la Terre, sans parler de toutes celles que je me suis tapé !
- GUIL !
- Milles excuses Miss.
Le super-héros retraité me lance un clin d’œil.
-Ouais, à cette époque c’était sympa. Les méchants, j’en faisais mon affaire, en un claquement de doigt comme qu’on dirait.
Il mime son geste.
- Mais imaginez si un jour les mots « impossible », « interdit » et « difficile » ne faisaient plus partis de votre quotidien ? J’ai mis du temps à m’en rendre compte. J’ai connu moi aussi cette vie, où l’on rêve de faire ou d’avoir ces choses que l’on ne pourra jamais toucher. Avant mes 15 ans, avant que les astres ne m’enlèvent de chez moi et me rendent si puissants.
- Tu veux dire que tu regrettes d’être devenu un super-héros fiston ? Mais c’est ça la belle vie !
- Les weekends seraient-ils des weekends et les vacances seraient-elles des vacances si les semaines de travail n’existaient pas ? Ne serions-nous pas tristes si nous arrêtions de ressentir l’euphorie qui nous envahis grâce à ces petits plaisirs qui rythment nos vies ? Et la fierté lorsque l’on atteint un objectif, la joie lorsque l’on gagne par l’effort, la reconnaissance devant un présent trop cher pour que l’on se l’offre soit même. Toute émotion a besoin de son contraire pour survivre. Comme le Bien et le Mal. Croyez-moi, c’est ça la belle vie. Une vie où l’on rêve.
Je devrais peut être emmené ma fille à ces séances …
- Alors moi j’ai peu à peu arrêté de rêver. Ma vie était devenue facile. J’étais devenu populaire, beau, fort et riche. J’avais tout ce que je voulais et je faisais ce que je voulais. Rien n’était au dessus de moi ; je n’avais pas de patron et je n’avais pas peur des forces de l’ordre. Au début c’était un véritable plaisir de jouer les super-héros. J’habite au dernier étage de la plus haute tour de Manhattan. Une tour réservée aux bureaux des hommes d’affaires. C’est un caprice que l’on n’a pas pu me refuser. Tout le 108e étage a été privatisé et réaménagé pour en faire un immense loft pour moi seul. C’était mission impossible quand on sait que les derniers étages sont attribués aux machines. Eh bien pour moi, c’est devenu possible. Avec mon pouvoir de voler, je n’avais pas besoin de monter par l’ascenseur. Et les filles que je ramenais, elles kiffaient ce nouveau moyen de transport. Pas une ne m’a un jour dis non. Pas même les femmes mariées.
- Mise à part pour vos histoires de femmes, je suis curieuse. Pouvez-vous nous expliquer comment se passaient les arrestations des « méchants » ?
- C’est qu’elle deviendrait jalouse ?
Il se lève de son siège et commence à faire les cents pas devant Robert, son fan numéro un, et les autres, omnibulés aussi par tout ce que leur héros Astro a besoin de leur confier. Puis il s’avance vers moi et s’accroupit devant mes jambes. Je sers les cuisses pendant que mes pieds qui touchent le sol à leurs pointes se contractent.
- Le crime, c’est simple encore une fois. Je le ressens tout simplement en moi. Lorsque quelque chose de mal va arriver, je le ressens. Là.
Il effleure de sa main le haut de ma poitrine, là où l’on peut ressentir battre mon cœur.
- Puis il suffit que je me concentre et tout se passe là.
Il dépose son doigt sur ma tempe.
- Ensuite, j’ordonne à mon corps de se déplacer, et je me retrouve à l’endroit même de ma vision.
- Génial !
- Mais au fil du temps cela ne vous suffit plus. Alors vous cherchez des rêves dans les choses que vous n’avez pas encore testés. Vous voyez où je veux en venir ?
Tous hochent la tête de gauche à droite. Je ne sais pas ce qu’il essaie de dire mais je me doute que c’est à cet instant que nous allons connaître la noirceur de son personnage.
- Le Mal.
Il se relève et se positionne derrière moi en s’accoudant au dossier de mon siège. Je sens son souffle dans le pli de ma nuque, ce qui n’est pas forcément désagréable.
- Le Mal est la seul chose qu’il m’est interdit d’obtenir. Alors je le veux. Je le veux plus fort que tout, j’en deviens même à le désirer encore plus fort que je n’ai désiré ces milliers de brunes qui ont squatté mon lit.
Il marque une pause.
- J'ai commencé d’abord à boire beaucoup d’alcool.
Robert le regarde avec dégoût.
- Puis lorsque l’alcool ne m’a plus fait d’effet, je me suis mis à la drogue. J’ai tout essayé. J’ai savouré chaque dose d’héroïne, de meth, d’extasie … Et puis il y avait aussi le GHB que je ne me suis pas contenté de prendre. J’ai aussi drogué une de mes conquêtes avec.
Je me retourne vers lui, choquée. Je n’ai pas l’habitude de juger dans mon métier. Mais venant de l’homme qui est sensé préserver les citoyens américains… Au fond, c’est un homme comme un autre. Un homme qui commet des fautes.
- Pourquoi, alors qu’elles tombaient toutes à vos pieds ?
- Pourquoi ? Toujours dans ce même but. Obtenir des limites et les dépasser. La quête du Mal. Et cette fille était différente. C’était ma première qui n’était pas majeure. Elle avait 15 ans et était magnifique. Elle a complètement succombé à mon charme, bien évidemment. Elle m’a sacrément chauffé, la garce, je b…
Mon regard noir l’arrête net.
- Eh bien disons que j’étais super excité. Alors quand j’ai voulu la ramener chez moi, elle a refusé car elle ne voulait pas coucher. La suite vous la connaissez. Lorsqu’elle s’est réveillée le matin même, nue et dépucelée, elle a pleuré toutes les larmes de son corps dans mes draps de soie blanc. Elle a tout ruiné avec son mascara ! Je venais de sniffé mon rail de cocaïne et cela m’a mis très en colère, si bien que je l’ai traité de grosse pute qui a ouvert les cuisses bien trop vite. J’ai même était violant avec elle. Je les ai vus dans ses yeux lorsque je l’ai coincé contre le mur et que me suis mis à la frapper, je les ai vus dans ses yeux ; L’innocence et la peur.
Il recommence à faire les cents pas. Sa main masse son front et ses tempes. Il ressemble maintenant en tout point à mes patients. Il marche et son visage fixe le sol.
- Je ne pense pas avoir eu honte de ce que j’ai fais. J’ai envié cette fille, j’ai envié les sentiments que j’ai retrouvés dans ses yeux. Les mêmes que les miens à son âge. Je l’ai alors prise dans mes bras et je l’ai allongé sur le lit. Je voulais recommencer avec elle, je voulais la baiser, la frapper et lire à nouveau dans son regard. Mais elle se débattait tellement ! Je l’ai lâché deux secondes pour attraper un préservatif et cela lui a suffit pour courir jusqu’à la fenêtre et sauter. Cette gamine a préféré mourir plutôt que de coucher avec moi.
- Mon Dieu Guil, cela n’a pas du être facile de vivre avec le décès de cette jeune fille sur les épaules.
- Elle n’est pas morte.
- Comment ça ?
- J’ai sauté à mon tour. Je l’ai récupéré au vol et l’ai déposé parterre. Elle ne m’a pas regardé, a continué à crier et a ensuite couru à travers rues.
Cette pauvre gamine doit être anéantie. Je n’ai pas eu de cas comme cela dans mes séances, mais je me mets à la place des parents, à cette place délicate où il faut arriver à gérer la douleur de sa fille et à canaliser la haine que l’on ressent envers celui qui lui a fait ça. Si seulement je pouvais rencontrer cette famille et tenter de les aider, même si je n’ai aucun droit pour cela. A moins que…
- Guil, cette fille, connaissiez-vous son prénom ?
- Vous êtes drôle Miss Stevens c’est comme si vous me demandiez si je connaissais le nom de toutes les filles d’Amérique !
Il s’esclaffe de rire.
- Répondez Astro ! Je lui ordonne.
Il s’arrête soudain et ce tient le cœur. La vision dans sa tête donne à son visage une expression de douleur. Il ferme les yeux et sert son t-shirt.
- C’est elle. Liberty. Elle m’appelle.
- Guil, attendez !
Puis il disparaît.
Je sors de la pièce en courant et continue ma lancée jusqu’à ma voiture dans laquelle je saute. Je démarre et mets le turbo.
Pourvu que je n’arrive pas trop tard.
A New York le trafic est infernal. Les rues sont bouchées et je colle ma main contre le klaxon. J’empreinte la voie des bus, puis certains trottoirs, je grille trois feus rouges et me retrouve coincée à deux pâtés de maisons de chez moi. J’abandonne ma voiture, enlève mes talons et cours encore plus vite.
Tiens bon je t’en supplie, j’arrive.
Je dépasse la porte d’entrée et enjambe les marches de l’escalier qui mène à l’étage où sont situées les chambres.
- Lili !
Lorsque j’ouvre la porte de sa chambre, Guil est là, agenouillé devant ma fille, gisant au sol.
- Non Lili !
Je le pousse et m’agenouille à mon tour devant son corps sans vie. Ses deux poignets sont ouverts jusqu’aux veines et baignent dans une marre de sang. Je m’écroule en sanglot sur elle. Non ! Pourquoi ? Pourquoi a-t-elle du partir avant moi ? Ma fille. Ma Lili. Mon bébé !
- Je suis désolé Miss Stevens, je n’ai pas pu la sauver.
- Allez-vous en Astro ! Vous avez tuez ma fille unique ! Ma Liberty…
J’attrape la tête de ma petite fille et la colle contre ma poitrine. Je la berce comme autrefois, comme je le faisais pour calmer ses peurs.
Repose- toi dans les bras de maman ma beauté.
- Je vous hais, vous m’entendez, JE VOUS HAIS !
Je ne parle plus je cris. Je cris toute la douleur qui s’est installée si rapidement dans tout mon être.
- Vous avez transformé la vie de ma fille en un enfer et vous l’avez assassiné !
Je rigole. C’est un rire nerveux.
- Je vous félicite super-héros, vous avez atteins ce but que vous rêviez tant d’obtenir. Vous êtes le Mal incarné. Que dieu vous maudisse !
Il s’échappe et disparaît.
Pardonne-moi Liberty,
Pardonne-moi de ne pas t’avoir comprise,
Pardonne-moi de ne pas avoir était ton super-héros,
Moi, ta maman,
Pardonne-moi de n'avoir pu te protéger, de n'avoir pu te sauver ...
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