Chapitre 1 - Partie 1 - La maison silencieuse

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La maison avait ce silence particulier des lieux trop pleins de souvenirs.
Chaque marche du vieil escalier gémissait comme un secret qu’on préfère taire. Les murs respiraient une odeur de papier jauni, de bois trop longtemps enfermé. Et dans cet écrin d’ombre tiède, Soren avançait seul, quatorze ans, avec cette curiosité nerveuse qui fait trembler le cœur.

Il aimait explorer les coins interdits. Pas par goût du danger, mais parce que là, dans ces pièces oubliées, il avait l’impression d’entendre enfin quelque chose qui lui était adressé. Une voix discrète, qui disait : regarde, ceci est pour toi.

Ce jour-là, il poussa la porte du grenier.
La poignée grinça comme si elle se plaignait, et l’air qui s’échappa avait la lourdeur d’un coffre ouvert après des siècles. La poussière se leva en danse lente, éclairée par un rayon unique de soleil. Tout semblait attendre.

Au fond, posé sur une table branlante, il y avait un livre.
Un livre énorme, relié de cuir sombre, la couverture craquelée comme une peau ancienne. Pas de titre. Pas d’auteur. Juste ce silence magnétique qui oblige à s’approcher.

Soren tendit la main. Le cuir était tiède, presque vivant.
Il hésita, mais la curiosité fut plus forte. Il ouvrit le volume.

Rien. Des pages blanches. Un désert de papier.
Son cœur tomba un instant — puis il vit l’encre surgir, lente, noire, dessinant une seule phrase au centre :

Pour lire, donne un peu de toi.

Soren recula, le souffle coupé. Ses doigts tremblaient. C’était absurde, mais ses yeux ne pouvaient pas lâcher ces mots. Comme si le livre le fixait en retour.

Il hésita longtemps. Puis, avec un sourire nerveux, il murmura :
— Trois cheveux, ce n’est rien, pas vrai ?

Il en arracha un. La petite brûlure au sommet du crâne fit couler une larme dans ses yeux. Puis un deuxième. Puis un troisième.
Il les posa sur la page.

Alors, tout bascula.

Les cheveux se mirent à se tordre, à danser comme des serpents d’encre. Ils s’étirèrent, dessinèrent des lignes, des montagnes, des océans, des formes délirantes. Le papier vibra, devint liquide. Les pages s’ouvrirent comme une mer mouvante.

Un vent surgit du livre, aspirant la poussière, les souvenirs, et enfin Soren lui-même.
Il cria, mais le cri fut avalé. Il tomba, happé par une lumière noire et rouge, par des horloges qui fondaient, des escaliers qui tournaient sur eux-mêmes, des créatures sans visage qui jouaient de la flûte avec leurs propres os.

Il tombait, tombait encore. Pas comme on tombe d’un toit, mais comme on glisse dans un rêve sans fin.
Son corps flottait, ses bras s’ouvraient. Autour de lui, des paysages naissaient et se dissolvaient : des plaines de miel, des océans de verre, des forêts où les arbres chantaient.

Puis, brusquement, il atterrit.

Le sol vibrait sous ses paumes. Une herbe étrange, couleur turquoise, lui collait aux doigts comme de la soie humide. Le ciel au-dessus n’était pas ciel : il changeait, d’or en cendre, de violet en noir. Et l’air avait le goût d’une pomme qu’on n’a jamais mangée.

Soren se redressa, tremblant. Il regarda autour de lui.
Et alors, il sut : il n’était plus dans sa maison. Il avait franchi le seuil.

Il venait d’entrer en Élyndra.

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