Chapitre 1-3

9 minutes de lecture

Le lendemain, elle le réveilla. « Il est l’heure. » fit-elle d’un ton presque enjoué. Il la regarda et avait du mal à la distinguer dans la lueur matinale. Voilà qu’elle lui adressait la parole de bon matin. Il ne se souvenait pas d’une telle attention depuis qu’il était ici.

Elle bougeait, changeait les choses de place, elle en entassait à certains endroits de la pièce. Elle était énergique et paressait même heureuse. Il savait que quelque chose se tramait. Son comportement n’était pas le même que d’habitude.

Elle se retourna vers lui et demanda gaiement « Vous voulez quoi pour le petit déjeuner ? » tout en désignant l’ensemble des choses sur la table.

Il avait toujours eu le droit à des repas déjà préparés et servit dans un plateau à même le sol. Il remarche et voilà qu’on lui propose d’aller à table. Cette offre était trop spontanée pour être honnête. Il se leva doucement. Son corps était toujours un peu douloureux et engourdit par l’inaction de la nuit. Il lui répondit en s’installant à table « Je vais voir ce que je vais prendre, je ne sais pas encore. » Il leva les yeux et tomba sur le regard de la jeune femme. En un instant, elle le scruta. Ce bref regard transperça la douceur matinale. Ses pupilles étaient des harpons, et ses iris agrippaient l’âme du pauvre homme. Cela ne dura qu’une seconde, mais le convalescent avait été comme mis à nu. Décontenancé, il essaya de reprendre ses esprits. Même si elle l’observait, il devait ne rien laisser paraître de sa méfiance ou une quelconque faiblesse.

Il détournait le regard pour éviter un face à face direct avec son hôte. Il hésitait entre les mets proposés quand la jeune femme suggéra « il faut bien vous nourrir, on a un voyage à faire. »

« Nous partons aujourd’hui ? » interrogea-t-il.

« Peut-être. Je ne suis pas pressé, mais il faudra partir un jour où l’autre. » Rétorqua-t-elle. Il commença a mangé, mais elle restait là, face à lui. Il se sentait toujours épié, examiné, analysé. Le repas était bien plus copieux qu’à l’accoutumer, il n’était pas forcement meilleur. Il y avait des racines et les plantes bouillies ou en bouillon, de la viande séchée ou ce qui semblait être de la viande séché et une sorte de pain ou de galette.  Il y avait aussi des sauces, des confitures et des mixtures peu engageantes. Toutefois, l’appétit était là et le corps en rémission souhaitait recevoir sont lots de nourritures, peu importait la forme ou la provenance de la denrée.

Le repas se passait sans bruit. La  jeune femme se servit elle aussi, piochant dans chaque plat. Elle consommait méticuleusement les aliments choisis pour sentir leur parfum et leur saveur. Chaque petite bouchée lui faisait plaisir malgré son apparence. Les saveurs étaient brutes, boisés, presque terreuses. La nourriture ne faisait pas dans le compromis, elle était rude et il fallait la marcher un moment avant de voir apparaitre un goût un peu plus agréable sous le palais.  

La manger n’était pas désagréable, mais il fallait y être habitué pour vraiment l’apprécier. Tous deux finirent leur petit déjeuner.

Elle le regarda. Elle pencha légèrement la tête à gauche. Un petit sourire apparu au coin de sa bouche. « Vous n’avez pas l’air timide et pourtant vous ne me parlez pas. » lança-t-elle malicieusement.

« Je ne suis pas très bavard avec les gens que je ne connais pas. » contrecarra-t-il.

Elle pencha alors la tête du côté droit et le dos ses mains se posèrent sur son menton. Elle plissa les yeux de contentement.

« Maintenant que vous êtes mon guide, vous allez devoir me parler davantage. Je n’ai pas besoin de faire connaissance pour vous parler. Il serait avisé que vous fassiez de même.  Votre rôle … »

« Je ne suis pas un guide, vu que je ne sais pas où on va. De plus, je ne veux ni vous servir, ni vous aider, ni même interagir avec vous ! » Trancha l’homme.

« Votre rôle c’est me permettre de parcourir le monde des humains et de me conseillez sur les rites et coutumes à suivre en présence d’humains. » reprit-elle.

« Vous ne m’écoutez pas, mais tant pis, il n’y a ni collaboration, ni dette.  Je vous remercie mais je vais y aller. » Fit l’homme en se levant de table avec un air déterminé.

Il s’éloigna à peine de la table. Une douleur se fit sentir dans ses entrailles. Il  se retourna et cria « Sorcière ! Que m’avez-vous fait ?»

« Vous alliez partir ? Et maintenant, vous hésitez ? » L’interrogea-t-elle avec ironie.

« Il n’y a pas de dette à honorer ! Une dette ne se crée que quand quelqu’un demande de l’aide. Je n’ai jamais demandé votre aide ou votre pitié. » S’exclama-t-il.

« Il y a toutes sortes de pactes qui engendre une dette, et nombreux sont ceux qui non pas besoin d’accords écrits ou oraux. Est-ce ma faute si vous ne les connaissez pas ? » Répondit-elle.

« Vous m’avez piégé ! » cracha-t-il. Visiblement énervé l’homme se rapprocha comme s’il voulait intimider son hôte. Elle le regardait avec un air amusé, toujours dans la même posture.

« Je ne piège personne. Vous aviez un but : survivre et moi le mien : voyager. Dans la mesure où vous avez survécu, cela engendre une dette. » Expliqua-t-elle.

« Alors pourquoi je souffre à la moindre réticence ? Cela ne serait pas un piège ? Quel nom donné vous à cette vilénie ? » Questionna l’homme qui ressentait une vive brûlure intérieure.

« Un pacte. Il permet de lier les buts d’une personne aux buts d’une autre personne. Un pacte permet que chacun soit utile à l’autre. Mais rassurez-vous si vous étiez mort, je vous aurais trouvé d’autres utilités. » Rétorqua-elle en arborant un sourire carnassier.

« Vous ne prenez pas de grand risque en faisant des pactes avec des mourants. » Dit-il plein de haine.

« Je n’ai jamais dit que je prenais des risques. Un pacte commence quand une des parties est satisfaite. Vous devriez avoir la satisfaction d’être en vie ! » Assura-t-elle.

« En vie, mais au service d’un être immonde, égoïste et sournois ! » Coupa-t-il.

« Je vous sauve la vie, je vous nourris, vous me remerciez à peine et c’est moi qu’on traite d’immonde, d’égoïste et de sournois. Vous admettrez que c’est un comble. » Dit-elle amusée par la situation.

« Je sais qui vous êtes. Une sorcière. Les contes et légendes sont formels, vous n’êtes qu’un flot de malheurs, de mensonges. Vous n’êtes qu’un monstre de plus dans ces terres. Je passe un moment avec vous et me voilà enchainé à vos dessins par je ne sais quel sortilège. » Conclu-t-il.

« C’est pour ce genre de choses que j’ai besoin d’un guide. Les humains ne raisonnent qu’en contes et légendes quand on parle des terres qu’ils ne possèdent pas. Sorcière est le nom que vous donnez à beaucoup de personnes. Et s’il est vrai que j’en suis une, savez-vous ce qui fait que j’en suis une ?

Vous appelleriez sorcière n’importe quelle personne maniant un peu de mystère et de magie. Combien de personnes ont-elles vraiment vues les monstres de vos contes ? » Lança-t-elle, un brin énervé par la situation.

Il fronça les sourcils et afficha un air méprisant, le tout en adoptant une posture agressive. Devant cet acte, la sorcière décida de se lever. L’atmosphère s’électrisait, la jeune femme paraissait de seconde en seconde plus menaçante. Alors, l’homme hésita à tenir tête un peu plus à son interlocutrice ou à la laisser avant que cela ne dégénère. Un sentiment montait en lui, un étrange malaise, comme si le monde se resserrait petit à petit autour de lui.  Il fit un pas en arrière.

« Votre vie, votre dette, tel est le pacte ! Continuez ainsi et je risque de m’énerver. » Affirma-t-elle.

« Je n’ai pas à vous rendre de compte, pacte ou non. Je veux … . » Sans qu’il est eu le temps de finir sa phrase son hôte disparut instantanément. L’homme n’avait jamais vu une telle chose et redouta la suite.

La voix de son hôte retentit comme si ces paroles l’enveloppaient et venaient de partout à la fois. Cette voix avait une puissance et une aura impressionnante. Cela résonnait en lui et sa cage thoracique en vibrait.  Il se sentait plier, son corps fléchissait sous cette indescriptible force.

« Vous réclamez le choix. Je vous le laisse. Rester et accepter le pacte ou briser le pacte. » Somma la voix. L’air devint plus épais et suffocant. La pression fit siffler les oreilles de l’homme dans un couinement strident continu. L’air se mit a vibré. Tout sembla trembler comme si on venait de jouer sur la corde de l’univers. Le corps de l’homme fut pris de spasmes. Son être était pris de la même vibration et résonnait en réponse. Il mit genoux à terre et dû bientôt s’aider de ses bras pour ne pas se retrouver la tête contre le sol. Il utilisait toute sa force rien que pour se maintenir à quatre pattes.

Ses sens lui hurlaient qu’il était en danger. Cette peur avait bien une raison. Ces instincts primaires ne s’étaient pas trompés. Une pensée lui traversa l’esprit : et dire qu’elle commence juste à s’énerver. Il saisit toute l’ironie de la scène. Il ressentit alors toute l’énergie en suspens, il ressentit tout ce pouvoir latent, comme si elle l’écrasait du bout de l’ongle.

Il ne pouvait rien faire, tous ses muscles s’employait déjà à garder un semblant de résistance. Son corps commença à donner des signes de faiblesses. La lutte allait déjà se terminer. Il n’était pas de taille, le combat devint une simple démonstration de force.

« Vous saviez que je n’avais aucune chance. » Susurra-t-il en s’écrasant par terre.

Le bouillonnement d’énergie se calma. L’homme resta un moment sur le sol puis il se releva péniblement, épuisé par l’effort. La voix puissante se fit plus simple et provint de derrière lui.

« Vous ne m’avez toujours pas répondu, acceptez-vous ou refusez-vous le pacte ? »

« Toujours le pacte hein. Vous y tenez. » Ricana  nerveusement l’homme encore engourdi.

« Acceptez-vous ou refusez-vous ? » répéta-t-elle.

« Les histoires que l’on raconte sur vous sont à mille lieues de ce que je viens de voir. Dans nos contes vous êtes plutôt versées marmites, potions et pommes empoisonnées. Je n’avais jamais ressenti une telle chose, cette « énergie » je veux dire. C’est effrayant. Cela en est même désespérant. » S’exclama-t-il un brin vexé.

« Je le dis une dernière fois avant de décider pour vous, acceptez-vous ou refusez-vous le pacte ? » S’exaspéra-t-elle.

« Je crois que je n’ai pas vraiment d’autre choix que de vous suivre. » Lui dit-il d’un ton fataliste.

« Très bien. Je n’ai pas vraiment besoin de votre accord, je m’assure juste de votre utilité.» Lança-t-elle.

« Mon utilité ? Et si j’avais voulu rompre le pacte ? » La questionna-t-il.

« Si vous ne comprenez pas le pacte, vous ne comprenez pas ce que veut dire : le rompre. » Affirma-t-elle.

Elle posa une main sur l’épaule de l’homme et continua sa phrase avec un air sulfureux et un brin menaçant.

« Rassurez-vous, j’aurais honoré votre dette. On trouve de nombreuses utilités à un cadavre. »

Il la regarda par-dessus son épaule, il était déconcerté par ce discours et ne savait pas ce qu’il devait en conclure. Il la suivi du regard. Elle vint se poster devant lui. Elle lui lança un sourire malsain. Il eut un rire nerveux. Elle pencha la tête sur le côté.

« On n’utilise pas les cadavres chez vous ? » Fit-elle.

« Non. » Retoqua-t-il.

« Vous perdez de précieuses ressources. » Déclara-t-elle.

« On préfère généralement honorer les morts et leur donner une fin décente. Les enterrés, les incinérer, les embaumer. » Enuméra-t-il.

« Les humains sont du genre à nourrir la terre avec leur défunt, c’est intéressant. » Remarqua-t-elle.

« Non, on fait tout ça pour leur rendre un dernière hommage, pas pour nourrir la terre ou les asticots. » reprit-il.

« C’est amusant, même pour ceux que vous ne connaissez pas ou pour les individus sans importances ? » I ’interrogea-t-elle.

« Pour tout le monde, on respecte les morts. On fait en sorte que leur corps soit préservé. » Répondit-t-il.

« Les êtres que vous mangez et les êtres que vous haïssez ont donc aussi leur cérémonie. » dit-elle.

« Euh non. Pas les animaux, enfin ceux qu’on mange. Après il y a différente façon de traiter un mort qui  a fait du mal et ça dépend aussi des lois et croyances. » Expliqua-t-il.

« Cela fait beaucoup pour simplement nourrir la terre. » Coupa-t-elle.

« Mais on ne fait pas ça pour nourrir la terre. » S’offusqua l’homme.

« C’est pourtant la seule utilité que vous avez trouvé à vos morts. » Conclut la jeune femme.

L’homme se tut sachant qu’il ne pourrait convaincre une personne qui ne comprenait l’attachement à un défunt. Il aurait voulu riposté avec une phrase assassine, mais l’utilité des morts le faisaient réfléchir. La sorcière lui rabattait les oreilles avec l’utilité des choses. Elle semblait totalement se désintéresser du reste. Il essayait de la comprendre. Le temps d’une réflexion la voilà déjà repartit dans ses allers et retours en faisant des petits tas d’objets.

 Il la regarda crapahuter sans l’interrompre. Elle avait l’air si joyeuse, effectuer cette tâche semblait totalement l’absorber. L’attentiste pensa que la jeune femme était très lunatique pour ainsi passer d’une émotion à une autre sans aucune logique.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire GoM ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0