Espagne, 1712.

- Les pages sont en or ?

Alya releva la tête en sursaut. Cela devait bien faire trois heures que ses yeux étaient rivés entres les lignes d'un ancien ouvrage. Elle avait réussi à le dérober sous les yeux endormis d'un garde dont l'ivresse s'était scrupuleusement emparé. Là-bas, une immense bibliothèque dominait la pièce soigneusement gardée. Malgré les chants et les danses qui résonnaient depuis la grande salle de bal, Alya se laissait portée par l'aventure d'une toute autre histoire. Les bals et les cérémonies mondaines ne représentaient pour elle qu'un pénible calvaire et son unique échappatoire se trouvait entre ses mains doucereuses.

Elle observa l'homme qui l'avait interpellée, serrant fermement le livre poussiéreux contre sa poitrine.
- N'y a-t-il rien de plus intéressant que l'or, monsieur ?

L'inconnu marqua une pause, sa curiosité piquée à vif.

- Vous n'aimez pas la soirée ? renchérit-il.
- Pas vraiment.
- Qu'aimez-vous ?
- Les livres, répondit-elle simplement.
- Au vu du titre, celui-ci évoque le récit d'une grande aventure.
- C'est exacte.
- Vous aimez l'aventure ?
Alya était issue de la famille royale dont le seul but était de préserver l'apparence. La superficialité faisait partie intégrante de ses journées ennuyantes qui se succédaient les unes après les autres.
Elle voulait être heureuse mais tout lui rappelait sans cesse à quel point sa vie était pathétique.
Mais comment sortir d'une suite logique d'évènements préconçus ? Personne n'avait réussi à s'en réchapper. Pas même les plus grands.
Sa santé dépérissait à petit feu, ne laissant que de minuscules cendres s'éteindre progressivement.
La nuit, elle levai les yeux pour observer les étoiles briller à sa place, et se plaisait à entendre le vent frais compter ses histoires tout en caressant sa peau fragile.
Tout était si sombre et pourtant si joliment éclairé, pensait-elle. Le silence était absolu et pourtant si assourdissant. Ces moments l'emplissaient d'un sentiment différent.
Elle ressentait ce bonheur là où le vaste ciel embrassait tendrement l'horizon. Était-ce cela, la vie ? se demandait-elle, ou n'était-ce que de simples parenthèses qui disparaîtraient à l'Aube ?
Alya baissa la tête, intimidée par la question présomptueuse de cet homme décidément trop intrusif.
- J'aime la liberté, murmura-t-elle enfin. Et les livres me donnent l'illusion d'être libre.
- Vous pouvez l'être.
- Excusez-moi ?
- Ne me faites pas répéter, je sais que vous avez entendu, dit-il avec nonchalance.

Le cœur d'Alya s'emballa, et ses mains devinrent de plus en plus moites. L'adrénaline l'emplit de tout son être et contre toute attente, des larmes roulèrent sur ses joues laiteuses. Voilà bien des années que l'on ne lui avait plus demander son avis, ni même ses envies.
- Êtes-vous sérieux ? Vous savez bien que je suis condamnée à être une noble dame dont le seul but est de jacassée à longueur de journées et dont la seule utilité est de faire plaisir à son tendre époux qu'on aura évidemment précautionneusement choisi tout en disant amen à ses moindres désirs, lâcha Alya à présent à bout de souffle. Son monologue s'était rapidement transformer en un sentiment de colère.
Le jeune homme observa intensément cette femme pleine de fougue qui ne ressemblait manifestement à aucune autre. Durant une fraction de seconde, l'envie de l'embrasser le traversa.
- Je vous ai dit aimer l'aventure, mais je ne suis pas courageuse, avoua-t-elle. Je ne suis jamais réellement sorti de la demeure et je n'ai jamais réussi à confronter ma famille et la société. Je suis terrifiée rien qu'à cette simple idée. C'est pathétique.
L'homme avança lentement sa main vers le visage d'Alya et passa délicatement son pouce sur sa joue afin d'essuyer les quelques larmes qui caressaient la commissures de ses lèvres charnues.
- Ce ne sont que des gens, chuchota-t-il.
Alya releva les yeux, frappée par la simplicité d'une vérité qu'elle n'avait jamais envisagée. Elle avait toujours eu peur des gens mais tout à coup, cela lui sembla absurde.

- Je m'excuse, je pleure souvent pour un rien. Pourquoi n'êtes-vous pas à la cérémonie ?
- Je m'ennuie vite quand il n'y a pas d'action.
Il attrapa une pomme rouge qui était posée sur un plateau d'argent parmi d'autres mets, et croqua à pleine dents.
- Je me nomme Adam, dit-il, la bouche remplie.
- Enchantée Adam. Moi c'est...
- Je sais qui vous êtes. Des yeux comme les vôtres ne sont pas communs.
- Vous appréciez les sucreries ? Continua-t-il.
Alya hocha la tête, une étincelle dans le regard.
- Voulez-vous goûté ? Elle est délicieuse, souffla-t-il en tendant la pomme.
Alya se mit à rougir timidement. Elle n'avait encore jamais embrassé un homme, et la simple pensée que ses lèvres toucheraient peut-être l'endroit où celles de ce bel homme se trouvaient à l'instant, lui fit monter la température.
Elle s'avança lentement et croqua le fruit. Adam la fixa intensément, troublé par la sensualité involontaire de son geste. Des pensées obscènes traversèrent son imagination. Les lèvres d'alya avaient une courbe désireuse, et ses yeux océan transperçaient son cœur lourd.
Comment une jeune femme si prude pouvait-elle provoquer en lui de telles pensées ?
- Allez-vous me fixer comme cela encore longtemps ?
- Aussi longtemps qu'il le faudra pour me soigner.
Une cicatrice barrait l'arcade sourcilière d'Adam, et d'autres blessures laissaient deviner une vie marquée par la violence.
À cette pensée, elle passa délicatement ses doigts sur la cicatrice, comme pour l'apaiser et ce fût comme une plante guérisseuse dans l'âme d'Adam.
- Comment vous êtes-vous blessé ? demanda-t-elle, de sa voix doucereuse.
- Quand on se bat pour la liberté, ce n'est jamais sans conséquence.
- Votre cœur est-il autant blessée ?
Le regard d'Adam s'assombrit. Brusquement, il s'éloigna.
- Je dois y aller.
Il fit une légère révérence, tourna les talons, et s'enfonça dans la salle de bal extravagante, laissant Alya seule avec ses pensées et un frisson au creux de l'échine.