Chapitre 10 : Vengeance (3/3) (Corrigé)

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Étendue perdue pour notre repère éphémère ! D’ici nous discernions l’erreur, l’horreur, la peur. Une fournaise se propageait en lieu et place de notre campement tandis que des parcelles entières de château étaient détruites ! En-dessous des colonnes de fumée devaient s’étendre des montagnes de cadavres… Et ces sanglots couplés aux quérimonies promettaient de nous tenailler longtemps.

Shimri se rejeta à genoux, bouche grande ouverte, ses joues inondées de larmes.

— Nous payons le prix de notre destruction… Est-ce la fin ? Pourquoi continuer le combat ? Pourquoi nous précipiter vers notre propre perte ? Ce déluge de violence restera d’une absurdité sans nom…

Je ne pouvais qu’acquiescer. Nous avions goûté à l’impardonnable échec sur chaque front. Sibien que nos alliés étaient contraints à abandonner l’endroit. Ils détalaient par-delà l’orée, vers l’inaccessible ponant. Tonia et Adhara transportaient Ryntia, à peine remise de son amputation, tandis que Lorem guidait d’autres militaires blessés et Nalionne emmenait maladroitement tous ses livres. Innocents et combattants se confondaient, s’égalaient dans cette lutte pour la survie, subissaient les conséquences de nos choix. Surtout des miens…

Nos prisonniers décampaient par la direction opposée. Tel était le principal objectif des troupes ennemies : secourir femmes, hommes et enfants que nos griffes avaient privés de leur liberté fondamentale. Des dizaines de mages les escortaient vers des meilleurs lendemains, eux pour qui un sourire supplanterait bientôt les larmes.

Leur victoire, notre défaite.

Qui ne sombrerait pas par-devers une telle dévastation ? Qui blâmerait les soldats, prétendus sauveurs, pour s’immobiliser sans se rattraper ? Qui survivrait à ce jour ?

Maedon, Ashetia et Denhay s’alignèrent face à ce champ désolé. Ils se heurtaient à ce bain de flammes et de sang au sein duquel la douleur anéantissait l’ardeur. Devant eux, à quelques mètres, une soldate à la figure dépiautée rampa, mais elle s’éteignit dans un soupir. Rien de ce que mon commandant tenta n’y changea quoi que ce fût…

— Où te caches-tu, Aldenia ? vociféra-t-il. Tu m’entends, enfoirée de génocidaire ? Arrête de te cacher et viens te battre ! Je vais te massacrer !

Tandis que nous étions encore paralysés, tandis que nos perspectives se réduisaient de plus en plus, Ashetia tendit de nouveau sa main à Maedon. Elle-même devait lutter contre ses pleurs…

— C’est difficile pour tout le monde, compatit-elle. Mais nous pouvons encore agir.

— Nous avons des alliés à défendre ! proposa Denhay. Ce château est perdu, inutile de s’acharner pour lui. L’important, ce sont les vivants !

— Je suis d’accord, consentit Guerrante. Aldenia a tué mon frère, mais… je ne me sens pas de taille à le venger. Erdiesto n’aurait pas voulu qu’on abandonne les nôtres !

— Je pars avec vous, décida Shimri.

Dans l’urgence du contexte, notre commandant parvenait encore à foudroyer notre consœur du regard.

— Tu abandonnes ta propre unité ? imputa-t-il. Guerrante et Andilla ont un beau prétexte, si lâches qu’ils n’osent même pas affronter le meurtrier de leur frère, mais toi ? Tu n’as aucune excuse.

— Commandant, sauf votre respect, je ne suis pas faite pour détruire ! Tant que nous répliquerons au mal par le mal, les nôtres ne cesseront de périr ! Alors je préfère sauver des vies, le devoir d’un véritable soldat !

— Je vais faire pareil, trancha Rohda. J’ai assez tué pour aujourd’hui.

— Elles ont raison, soutint Denhay. C’est ta seule façon de rattraper tes fautes, Maedon. Regarde en face de toi ! Voilà à quoi ta quête de vengeance insensée a mené : à la mort, à la destruction et au désespoir ! Tu crois être capable de vivre avec ça sur la conscience ?

— Les Ridilanais sont des ennemis tenaces ! objecta mon supérieur. Dès qu’ils auront mis les leurs en sûreté, ils nous traqueront jusqu’au dernier ! La solution la plus raisonnable consiste donc à nous séparer. Ne perdons plus de temps !

Maedon et Denhay avaient donc trouvé un accord. Derrière l’unité douze se coalisèrent des centaines de protecteurs, hors du massacre, vers les survivants, pour une tâche des plus ardues. Shimri les suivit, non sans nous accorder un regard de regret, alors que j’emboîtais le pas des deux autres commandants. Ainsi nous allions au cœur du massacre… À cette base encore intacte une heure plus tôt.

— Aidez les survivants ! ordonna Ashetia. Tous ceux que vous pourrez !

Peu devaient avoir survécu… Entre les bâches et les tuiles rapiécées n’étaient disséminées que des dépouilles brûlées. Les miraculés avaient déjà abandonné les lieux, ne demeuraient plus que les malchanceux. Nos commandants eurent beau s’opiniâtrer, Lisime, Vandoraï et tant d’autres eurent beau affronter les flammes, personne ne saurait ramener les décédés. Disparus par conviction, dans l’appel du devoir, eux qui n’avaient pas accompagné l’assaut désespéré…

Des craintes s’exaucèrent par-delà le brasier. Aldenia émergea depuis la brèche de la muraille, Fherini dans ses bras. Nous fûmes éjectés d’un claquement de doigt, ce qui lui laissa le champ libre pour pratiquer une bien étrange magie. Des filaments noirâtres jaillirent de ses paumes et se transmirent jusqu’à sa compagne, laquelle convulsa dans un premier temps. Ses bras repoussèrent aussitôt ! Aucune séquelle du sectionnement ni de ses meurtrissures n’était encore présente. C’était comme si notre précédent combat avait été rendu vain…

— De la magie noire ! reconnut un confrère. On aurait dû y penser, on est mal !

— Elles sont deux…, murmura Vandoraï. Elles peuvent unir leur magie, non ?

Reformée pour une meilleure forme, Fherini s’abandonna dans les bras de sa bien-aimée. Un moment à s’admirer, figée sur l’instant, elles s’échangèrent quelques doux murmures. Et mes camarades fusèrent en masse vers elles, les imaginant vulnérables, sauf qu’aucune arme enchantée ne perçait leur bouclier. Les deux mages s’isolaient pour partager leurs retrouvailles. Un regard mutuel suffit d’abord comme elles se fendirent d’un sourire authentique. Puis elles s’embrassèrent, longtemps, passionnément. Rien d’autre n’importait à leurs yeux.

— Quelle horreur ! s’exclama Maedon. Non seulement c’est d’un dégoûtant, mais en plus vous commettez l’affront de nous ignorer !

— Ah bon ? fit Lisime. Moi je trouve que c’est une vision agréable !

— Garde ta main sur ton épée, Lisime ! Après toutes les vies qu’elles ont prises, c’est le moment ou jamais de les arrêter ! Camarades, ensemble, abattons-les !

Le cri de ralliement tonna. Entre l’amour et la mort persistaient des soldats qui batailleraient aux limites de leur vigueur. Cette base était perdue. Il n’y avait plus de vie à secourir, sinon les nôtres. Pourtant nous nous échinâmes, armés d’une volonté nouvelle, prompts à triompher là où tous avaient échoué.

Mais Aldenia et Fherini maîtrisaient leur domaine. Sitôt leur baiser terminé que de multiples jets de flux circulaient autour d’elle, bariolé d’une myriade de nuances, et s’intensifiaient à chaque instant. Ce que Vandoraï présageait se déroulait bel et bien devant nos yeux ébaubis ! Nos ennemies se tinrent la main, fermèrent leurs paupières, et, penchées l’une sur l’autre, unirent leur magie.

— Qu’est-ce qu’elles mijotent ? s’alarma Maedon. Du nerf avant qu’elles ne ripostent !

— C’est trop tard…, présagea Ashetia. Je crains le pire.

Au début nous perçûmes juste de légers grondements. Craquelures et fracas s’amplifièrent à mesure que des ombres géantes et irrégulières s’étendirent ! Il suffit alors de jeter un coup d’œil de biais… Fherini et Aldenia avaient déployé tant de force qu’elles arrachaient des flancs des collines alentour ! Et les roches massives, insidieuses, terrifiantes, s’élevèrent très haut dans le ciel, semblables à des météorites.

— Fuyez ! hurlèrent les militaires à l’unisson. Fuyez !

Tous renoncèrent au combat, peu s’y furent préparés. En-dessous de la grandeur du monde s’exprimèrent les hurlements. Mes compagnons coururent dans tous les sens, cherchèrent une échappatoire. Mais on ne trouverait que notre salut.

Et la chute survint.

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