On a volé ma kioulotte !
Chapitre 4 - On a volé ma kioulotte !
Deux jours se sont déjà écoulés depuis le départ de Saint-Nazaire et le Judas des Epinettes trace vaillamment son sillage sur le grand océan.
Une vilaine dépression a quelque peu secoué le bâtiment et ses passagers dans le golfe de Gascogne mais le commandant le Merlec est un bon capitaine. Il a su parer à la lame vicieuse, la mauvaise, celle qui vient vous secouer en loucedé, vous titiller le gaster et vous gâcher la digestion.
La traversée s’annonce longue, les passagers s’installent dans cette parenthèse de leur vie entre les deux continents et s’occupent en vaquant à diverses occupations.
Dans sa cabine le professeur Tutu rumine, il est inquiet. Son expédition risque fort de tourner au fiasco s’il ne récupère pas comme prévu ses bagages à l’arrivée à Belém. En même temps, laissant vagabonder son imagination et songeant aux courbes généreuses de Lady Rochester, il ne peut s’empêcher d’avoir une pensée émue. En clair, ce vieux lubrique trique grave en pensant aux nibards de la douairière …
Sur le pont supérieur, le colonel de Bersagliere, en caleçon court et maillot de corps tente d’épater Juanita avec des exercices de culture physiques, supposés mettre en valeur ses biscottos graissés à l’huile d’olive de Toscane.
Evidemment c’est très ballot : tenter d’impressionner une authentique contorsionnistes capable de se gratter le nez avec son pied gauche passé derrière son oreille droite, c’est tout simplement ridicule. Il a beau pousser des grognements terribles, rouler les yeux, souffler par le nez, le résultat est décevant pour ne pas dire pitoyable…
Dans le fumoir, Angus Mac Gregor et Grigor Bellamou s’écharpent autour d’une controverse théologique où il est question du concile de Nicée, de la vénération du Saint Prépuce et du degré d’alcool du vin de messe dans les églises de Haute Silésie.
Dans le salon du troisième pont, Natacha est en train de ridiculiser l’honnête commerçant Papadopoulos en lui infligeant une sévère piquette au Strip poker. Le grec en caleçon claque du bec, encore une partie et il aura le bouzouki à l’air…
Sur la passerelle le capitaine surveille du coin de l’œil le maître timonier Le Gonidec qui tient fermement la barre du navire mais qui ne peut s’empêcher de lorgner la corde qui actionne la sirène. A chaque tentative de ce dernier pour donner un bon coup de trompe, le commandant vocifère :
- Non Goni, non ! Tu ne touches pas à la sirène. Ce n’est pas un jeu !
Le Gonidec se renfrogne et chantonne dans sa barbe : pouët, pouët, pouët, tra la la…
– Je t’entends Goni, je t’entends ! Te fous pas de ma gueule où je te fouette.
– Ah oui, ah oui, roucoule le maître timonier en jetant un regard enamouré au capitaine qui fait semblant de regarder les vagues.
Soudain la porte de la passerelle s’ouvre violemment, le chef cuisinier du bord fait irruption en braillant qu’il exige de voir le commandant. Le cuistot est rouge de colère, il agite les bras en faisant de grands moulinets, sa toque graisseuse pendouille de travers au sommet de son crâne.
A la vue du capitaine, il semble se calmer mais se campe bras croisé devant le seul maître à bord après Dieu.
- Et bien mon vieux, bougonne le commandant que me vaut cette irruption sur ma passerelle ?
- Commandant, c’est intolérable on vient encore de piller mes réserves, au moins un mètre de saucisse, quatre pots de crème de marron, une bouteille de Saint Emilion et trois yaourts aux ananas…
- Comment, tu es sûr ?
- Mais oui capitaine et le pire que c’est la deuxième fois depuis que nous avons appareillé de Saint-Nazaire ! Un jambon et trois mètres de boudin, pfft, envolés !
- Sacrebleu, qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ?
- Ca, je n’en en sais rien, mais si ça continue ma provision de charcuterie va fondre comme neige au soleil et on va devoir zigouiller le cochon avant le cap Horn.
Il convient de rappeler que la traversée étant très longue, le navire doit embarquer un avitaillement conséquent. Afin de pourvoir à la fraicheur de ses menus, le bosco entretient une véritable basse cour, dix poules pour les oeufs frais ainsi qu’un porc. On sacrifie traditionnellement ce dernier après le passage du cap mythique au sud du continent pour agrémenter les repas lors de la remontée du Pacifique vers Callao. Et puis il est de tradition sur le Judas des Epinettes de servir des tranches de saucisson pour l’apéro de l’équipage. Le commandant y tient et c’est une des raisons qui signe sa popularité.
– Oui, oui, c’est bien embêtant cette histoire,
– Surtout que le charcutier n’embarque qu’à l’escale de Montevideo ! Alors moi, tintin, je ne le trucide pas le cochon !
– Écoutez mon vieux, nous allons bien trouver un tueur à bord pour saigner ce porc. En attendant surveillez vos frigos et vos garde-manger, je ne sais pas moi, organisez des tours de garde avec vos marmitons.
– Le cuistot ressort en maugréant, foutu barlu…
Le calme semble revenu sur le fier vaisseau quand tout à coup, des cris déchirants éclatent dans la coursive qui dessert les cabines des voyageurs.
– Stop thief ! Ao viouleur ! Help !
Alors, quoi, mais que se passe-t-il encore s’écrie le malheureux commandant qui dégringole l’escalier de la passerelle et se précipite, suivi par un groupe de passagers aussi curieux qu’inquiets.
C’est Lady Rochester qui brame ainsi devant la porte de sa cabine ouverte :
– C’est une scandale, shocking, ao viouleur !
Le commissaire de bord vient également d’arriver sur les lieux attiré par le barouf.
– Voyons Milady, que se passe-t-il ?
Mince se dit-il en lui même, la vioque a dû se faire tirer son collier de perles. Ça va encore être pour ma pomme, ce genre d’enquête a le don de me casser les bonbons. Il soupire…
Les passagers entourent la douairière qui peine à reprendre son souffle…
POMMM POMMMMM… Ah saligaud, grince le capitaine entre ses dents en levant les yeux vers la passerelle, Goni, mon salaud, tu perds rien pour attendre.
– Captain, caomamandante, je praotest on vient de me violer…
– Quoi ? vos bijoux Milady ?
– No, no, no !
– Mais quoi alors ?
– On a barboting mon kioulote !!!
– Pardon ?
Le commandant et le commissaire de bord se regardent ahuris…
- Yes mon kioulote ! My lace panties !
Juste Ciel on s’est attaqué à la culotte en dentelle de lady Rochester brame Angus Mac Gregor !
Ah mécréant !
Et vlan le malheureux Angus se prend illico un nouveau coup de pébroc dans le derche asséné avec vigueur par son irascible et pieuse épouse, toujours prompt à veiller sur la moralité des propos de son pasteur de mari.
Voyons, voyons du calme, de la dignité. Mesdames, Messieurs ne restez pas là. Le capitaine, on connait son sang froid légendaire, reprend la direction des opérations et disperse l’attroupement des curieux.
- Venez Milady, tentons de tirer cette affaire au clair.
Le commandant, suivi du commissaire de bord soutenant Lady Rochester qui retrouve peu à peu ses esprits, pénètre dans la cabine de la riche Anglaise.
Une malle est ouverte, les effets de la dame répandus sur le sol, mais à part ce foutoir, rien. Le coffre à bijoux est intact et trône sur la coiffeuse. Rien ne semble avoir été volé ou détérioré.
Ben ça… s’exclame le Mafflu en se grattant la tête, le commandant fronce les sourcils lui aussi fort perplexe. Il flaire le coup foireux, le vicelard de service, le fétichiste de mes deux qui hante les coursives de son beau navire.
- Yess, look captain : my kioulote a été stolen ! Suffoque la dame,
– Stolen ?
Oui, volé, le Mafflu ; traduit le capitaine qui pratique la langue de Shakespeare.
Ah oui, stolen, le commissaire de bord hoche la tête d’un air pénétré,
– Une seule culotte Mylady ?
– Yesss ! Mais la plou nice, one exemplary iounique, cadeau de sa majesté the Queen of British Empire…
A ces mots le commandant Le Merlec se met au garde à vous, Le Mafflu enlève respectueusement sa casquette… la culotte de la reine, manquait plus que ça…
Le Merlec sent perler les gouttes de sueur sur son front. Ah si le scandale fuite, je suis bon pour reprendre du service sur un morutier, merde alors…
– A wonderful kioulotte en lace comment you dite, « en dentelle » ?
Milady au nom de la France, au nom de la compagnie des Chargeurs Amalgamés je vous assure que nous allons tout mettre en œuvre pour retrouver au plus vite vos effets clame le capitaine !
– La douairière émet un borborygme approbateur, le naturel reprend le dessus, elle pince le nez et méprisante congédie les deux officiers qui sortent à reculons en saluant bien bas.
Le Mafflu, non d’un cachalot, vous allez mettre tous les moyens pour retrouver cette bon sang de culotte de mes deux !
A vos ordres commandant !
Dans sa cabine, pourquoi Couic adossé à la porte qu’il vient de refermer reprend-il péniblement son souffle ?
Il tire de sa poche un délicat tissu de dentelle qu’il agite devant ses yeux en souriant : le sacripant ! La kioulote c’est lui !!!
C’est que le panty en question, au regard du diamètre généreux des cuisses royales, va lui permettre de tailler deux magnifiques filets à papillons pour son cher professeur…
On ne sait jamais, si le Latécoère de l’Aéropostale s’abimait en mer avec les bagages, il convient de prévoir un plan B.
Annotations
Versions